1 Août 2014
Chaises et tables cassées, amas de tôle, chaussures et cheveux postiches abandonnés sur le sable jonché d'affiches déchirées: la plage de Rogbanè, à Conakry, est dévastée, deux jours après la cohue meurtrière ayant suivi un concert.
C'est "un investissement de plus de 15 ans (qui part) en fumée", affirme à l'AFP entre deux sanglots Aminata Camara, qui gérait une petite boutique alimentaire sur ce site habituellement fréquenté, dans la commune de Ratoma (banlieue nord de Conakry).
Mariatou Sylla, qui y vendait des galettes et des beignets tous les soirs, ne reconnaît plus les lieux. "L'endroit est +démoli+, c'est triste".
Tout a basculé mardi soir, après un concert avec les groupes de rap Instinct Killers et Banlieuz'Art, très populaires dans le pays, qui avait célébré la fête marquant la fin du ramadan.
Après la soirée, "une foule de plusieurs centaines de personnes qui n'avait pas eu accès à la plage a tenté de forcer le passage alors que les autres qui ont assisté au spectacle sortaient au même moment. Et il y a eu cette opposition de forces", explique un gendarme.
"Quand la foule a voulu sortir, il y avait une corde qui barrait le passage. Ceux qui étaient derrière ont poussé (ceux qui étaient devant), il y a eu des gens qui sont tombés, donc une panique générale", dit une source policière.
Bilan de la bousculade: 33 morts dont onze mineurs, et une soixantaine de blessés.
En raison de la tragédie, le président Alpha Condé a décrété une semaine de deuil national à compter de mardi et ordonné la fermeture de toutes les plages de Conakry à compter de mercredi "jusqu'à nouvel ordre", avec consigne aux autorités nationales et locales "de veiller à l'application correcte de cette décision".
- "Nous avons grandi ici" -
A Rogbanè, des jeunes en colère ont incendié mercredi une partie des nombreuses petites boutiques sous le regard de forces de l'ordre qui n'ont pas réagi.
Puis un bulldozer est venu démolir le reste des échoppes ainsi que le bar, pendant qu'habitués et riverains, mêlant femmes, jeunes et très jeunes enfants, essayaient de sauver ce qu'ils pouvaient: un bout de tôle, une caisse de boissons, une brouette, un seau. Des jeunes filles s'aident pour transporter deux groupes électrogènes.
Sur la plage, gisent quelques étals en bois renversés, des chaises en plastique bleu et rouge cassées. Dans le sable, traînent aussi des affiches déchirées, des chaussures, des sacs à main, des perruques, énormément de sachets d'emballage...
"C'est la panique qui a fait que les jeunes ont tout abandonné ici", avance un riverain, qui raconte avoir été alerté mardi soir "par les appels au secours, les cris et les pleurs".
A son arrivée sur les lieux, il a vu "des jeunes gens coincés entre les murs du portail (d'accès au lieu du concert) et les véhicules qui sortaient".
Selon un gendarme rencontré sur place, environ 4.000 tickets ont été vendus pour le spectacle, mais un nombre indéterminé de billets frauduleux ont été monnayés. Jusqu'à jeudi matin, les organisateurs du spectacle n'avaient pu être joints par l'AFP.
Mariatou Sylla indique que grâce à leur petit commerce sur la plage de Rogbanè, ses amis et elle se débrouillaient pour gagner leur vie. "Nous avons grandi ici, nous ne connaissons nulle part qu'ici", dit la jeune femme, désormais au chômage forcé. Comme bien d'autres dans ce pays de plus de 12 millions d'habitants dont plus de la moitié vit avec moins d'un euro par jour.
Pour d'autres familles guinéennes, les préoccupations de la vie au quotidien sont pour l'heure occultées par la douleur.
Certains proches de victimes, effondrés, sont restés longtemps à l'hôpital de Donka où ont été déposés les corps.
Le président guinéen Alpha Condé leur a rendu visite mercredi. Dans une brève déclaration, il a invité les parents à assumer leurs "responsabilités". "On ne doit pas laisser des enfants de 5 à 8 ans aller à des manifestations de nuit", a-t-il dit.