27 Août 2011
Après l’abandon des charges contre DSK, accusée d'agression sexuelle sur Nafissatou Diallo, la presse africaine exprime son dépit.
Ce sont les compatriotes guinéens de la jeune femme de chambre du Sofitel new-yorkais qui sont les plus loquaces, après que le procureur Cyrus Vance Jr a demandé l’abandon des accusations pour agression sexuelle qui pesaient sur Dominique Strauss-Kahn, l’ancien directeur général du Fonds monétaire international. En Guinée, l’affaire DSK, devenue depuis lors l’affaire Nafissatou Diallo, est sur toutes les lèvres. «La partie serait-elle terminée pour Nafissatou», s’interroge GuineeNews, un portail guinéen d’information. Dans un long article, le site publie une série de réactions de plusieurs internautes.
Certains d’entre eux, interrogés à Conakry, la capitale de la Guinée, estiment que les contre-vérités fournies par la femme de chambre de l’hôtel Sofitel ne pouvaient pas mener à une autre issue que l’abandon des charges contre DSK:
«Si le procureur a jugé nécessaire d’abandonner ces poursuites pénales c’est tout simplement parce qu’il a vu qu’elle n’était pas crédible. Elle a trop de contre-vérités», fait savoir une employée du commissariat central de Kaloum, une commune de la capitale guinéenne. Une autre lectrice observe pour sa part que, Nafissatou Diallo n’a tout simplement pas eu de chance, parce qu’elle est africaine. «Je ne crois pas qu’elle sera dédommagée même au civil», souligne-t-elle, avant de passer la parole à une autre femme qui affirme sans ambage que le procureur new-yorkais a dû recevoir de l’argent de DSK:
«C’est injuste de la part du procureur. Il est élu pour défendre les femmes violées et il abandonne carrément le procès à mi-chemin. Il a dû recevoir de l’argent de la part de DSK. C’était prévisible que Nafissatou ne pouvait pas remporter ce pari vu que son interlocuteur est trop puissant financièrement.»
Les lecteurs de GuineeNews semblent donc tous dénoncer un «combat inégal» et demandent d’ailleurs au gouvernement guinéen de faire revenir leur compatriote dans son pays.
Ce même sentiment de frustration est relayé par le site de Sahara Reporters. Lui aussi propose une série de réactions, notamment celles de la communauté des immigrés Ouest-Africains du Bronx. Par la voix d’Emmanuel Donkor, un de ces porte-parole, ils dénoncent tous une injustice:
«Peu importe si elle a pu mentir sur certains points. Si elle a été violée, c’est tout ce qui compte», déclare-t-il. Ce à quoi un autre membre de la communauté, Barry Boubacar répond: «Le procureur Vance Jr aurait dû laisser le juge décider. Je suis plus que déçu.»
Certes, les journaux du continent ne sont pas très nombreux à avoir commenté l’issue de cette affaire qui a alimenté les passions et focalisé l’attention depuis mai 2011. Mais, les rares publications qui lui ont consacré quelques colonnes n’hésitent pas à évoquer les possibles pressions qu’auraient exercées les réseaux de Dominique Strauss-Kahn sur le procureur new-yorkais. Ainsi, le quotidien mauricien L’express revient sur la conférence de presse tenue le 23 août à Paris par l’un des avocats de Nafissatou Diallo pour dénoncer «des pressions des proches de DSK, destinées à décourager les femmes qui seraient tentées de témoigner contre l’ex-directeur général du FMI».
C’est peut-être ce qui amène le journal satirique burbinabè L’observateur Paalga à s’interroger sur l’avenir de Nafissatou Diallo, dans un article intitulé:
«DSK-La justice américaine débande»
Dans cet article qui a toutes les allures d’une plaidoirie, L’Observateur dénonce «la procédure alambiquée» du système judiciaire américain qui aura finalement joué en faveur de DSK.
«Mais cela ne signifie absolument pas que sa relaxe est synonyme de virginité morale et qu’il est indemne de tout égarement dans ce mystère qui se sera passé dans le secret de la chambre d’hôtel», écrit le journal.
Et il s’interroge:
«Il se pourrait que la femme de chambre, dans son humiliation, agonise et voie désormais sa vie pourrir et devenir un enfer vécu au quotidien. Elle, à présent, sait que cette affaire désormais classée, commence pour elle le pire des cauchemars. Et la question se pose de savoir comment et combien de temps elle l’endurera.»
Une question qui rejoint la préoccupation des féministes qui craignent que l’abandon des poursuites pénales contre DSK ne décrédibilisent la parole des femmes victimes de violences sexuelles. L’hebdomadaire burbinabè Le Pays, dans un article repris par le portail MediaGuinée, écrit à propos de Nafissatou Diallo:
«Quel que soit le montant dont elle pourra bénéficier suite à l’affaire DSK, jamais des pluies de dollars ne l’aideront à dissimuler sa peine et ses larmes. Pire, les femmes guinéennes, et au-delà, la communauté guinéenne, vivant aux Etats-Unis risquent de pâtir de cette affaire.»
Et pour le quotidien sénégalais Walfadjri, tout ceci n’est que la conséquence d’une «justice humaine qui montre ses limites»:
«Comment faire tomber un homme comme DSK surtout lorsqu’on s’appelle Nafissatou Diallo, noire, Africaine, analphabète, femme de chambre. Et pourtant, certains y croyaient, car les preuves semblaient irréfutables. Aujourd’hui encore, même ceux qui ont prononcé la libération de l’ex-directeur général du Fonds monétaire international reconnaissent l’existence de rapport sexuel non consentant entre le Français et Nafissatou Diallo. Mais, au lieu de reconnaître le viol, la justice américaine, où ceux qui l’incarnent dans cette affaire dite DSK, préfèrent parler de relation sexuelle hâtive. N’est-ce pas là, une hérésie verbale dont le seul but est de sauver Dominique Strauss-Kahn de la prison», écrit Walfadjri .
Cette inquiétude quant au deux poids deux mesures semble donc provoquer un sentiment d’injustice dans la presse africaine.
Et cela fait titrer ainsi le site Guineeconakry.info: «Justice: DSK, libre mais pas innocent» Le journal considère que la décision de Cyrus Vance Jr est un «déni de justice» alors même que le procureur de New York n'est pas convaincu de l'innonence de DSK.
Guinée Conakry.info ajoute que cette décision d'abandonner les charges n'aurait été dictée que par «sa crainte de perdre le procès, ce qui aurait été préjudiciable pour sa carrière».