2 Octobre 2010
Amadou Toumani Touré ("ATT"), le président du Mali, sait de quoi il parle quand il évoque le facteur ethnique en Afrique. Après avoir rendu le pouvoir aux civils en 1992, dans son pays, cet ancien putschiste a fréquenté la région des Grands lacs après le génocide rwandais. Il a été facilitateur entre le Zaïre et le Rwanda, à l'époque des présidents Mobutu Sese Seko et Pasteur Bizimungu. Il a également participé au premier panel de l'Organisation de l'union africaine (OUA) formé pour analyser les causes du génocide rwandais, avant de passer plus de deux ans en République de Centrafrique (RCA). Médiateur, ATT le reste en Guinée, où il n'hésite pas à faire le déplacement pour calmer le jeu – contrairement à Blaise Compaoré, le président du Burkina Faso, un leader sous-régional qu'on vient plutôt consulter chez lui. Pour le général Sékouba Konaté, président par intérim de la Guinée, empêtré dans les reports du second tour d'une élection présidentielle censée rendre le pouvoir aux civils, ATT représente un modèle, un aîné et un confident.
Pourquoi êtes-vous allé plusieurs fois en Guinée ces derniers mois ?
ATT : La Guinée se trouve à 90 km de Bamako. Ce pays est très lié au Mali. J'ai parlé avec le général Sékouba Konaté. Je suis passé par là, moi aussi, et je comprends ses états d'âme, ses difficultés. Il ne parle pas beaucoup : il est resté un soldat dans l'âme et ne comprend pas le monde des turpitudes politiques. J'ai toujours fait savoir à mon cadet que le meilleur moyen de partir, c'est d'organiser son départ. Je n'ai jamais vu quelqu'un avec autant de volonté et de détermination... Aujourd'hui, il ne peut intervenir que si une date est retenue pour les élections. Sa position est très embarrassante et difficile, sur le plan humain. Dès qu'il se penche un peu, on l'accuse d'être pour un camp ou pour l'autre.
Le spectre de rivalités ethniques en Guinée vous inquiète-t-il ?
La Guinée a toujours compté autant d'ethnies que le Mali... L'ethnicisme n'est qu'un programme politique pour certains, qui se trouvent en mal de slogans. Le brassage est important, comme chez nous. C'est un pays avec lequel nous partageons le plus grand patrimoine culturel. Des Guinéens ont des champs au Mali et des Maliens des champs en Guinée. Ils parlent la même langue, ont les mêmes coutumes. La Guinée, depuis la première République jusqu'à aujourd'hui, a connu un parcours politique que les Guinéens sont libres de qualifier comme ils l'entendent. Une chose est sûre : l'ethnicisme exacerbé n'existe pas en Guinée.
Nombre de jeunes juntes ont promis, en Gambie, au Niger ou en Guinée de rendre le pouvoir, sans pour autant se décider à partir. Est-ce une part embarrassante de votre héritage, en tant qu'inventeur du putsch démocratique ?
Il n'y a pas de putsch démocratique ! Un putsch est toujours condamnable, car il résulte d'un échec. Si les politiciens sont mauvais et que l'armée représente la seule force organisée, elle prend position pour prendre le pouvoir. Ce sont les civils qui créent les conditions du putsch. On nous donne ce rôle facile à jouer, à nous les militaires, parce qu'il n'y a que deux réponses aux grandes crises : la rue, et c'est le désastre, ou bien l'armée. Cependant, certains des militaires que vous évoquez ont quitté le pouvoir. Très souvent, les putschistes donnent leur engagement de partir avant d'avoir fait une analyse objective et profonde de la situation, qui peut s'avérer beaucoup plus dégradée qu'ils ne le pensaient, sur le plan politique ou social. Il faut alors demander du temps supplémentaire pour s'organiser au mieux. Et puis vous devenez un enjeu, entre ceux qui veulent que vous restiez, ceux qui veulent que vous partiez et ceux qui sont dubitatifs. Aucun groupe n'est neutre, et finalement, on ne sait plus où se mettre. Certains sont restés, pas par goût du pouvoir mais parce qu'ils n'ont pas pu résoudre cette équation. Ils sont devenus un enjeu, dans une situation où la responsabilité de la classe politique est aussi engagée.