20 Janvier 2010
Le vice-président du pays le plus peuplé d'Afrique (137 millions d'habitants) n'est investi que de minces pouvoirs protocolaires, alors que le chef de l'Etat, Umaru Yar'Adua, a quitté le pays en catastrophe, fin novembre 2009, en raison de graves problèmes de santé. Il lutte depuis contre la mort dans un hôpital saoudien. Il n'a donné aucune consigne pour la gestion des affaires courantes. Alors que de grandes incertitudes planent sur son sort, en coulisse, une guerre de succession fait rage.
En ordonnant ce déploiement, Goodluck Jonathan se montre timidement aux commandes du Nigeria pour la première fois, même si l'opération avait été d'abord exigée par les services de sécurité. Dans un communiqué, le vice-président a affirmé que cette "crise de trop (était) susceptible de saper davantage l'unité de notre pays".
Les troubles, commencés dimanche, s'étaient d'abord atténués lundi. Un couvre-feu total, interdisant tout mouvement, avait été décrété dans la capitale de l'Etat du Plateau. Puis les affrontements ont repris, mardi matin, avec plus d'intensité, s'étendant jusqu'à Bukuru, agglomération voisine de Jos.
Lundi, le grand imam de la mosquée centrale de Jos, le cheikh Balarabe Dawud, appelait encore les fidèles au calme. Le lendemain, il affirmait à l'Agence France-Presse avoir dénombré 192 cadavres dans la grande mosquée. Le bilan des morts pourrait s'établir, selon les sources, entre cent et trois cents morts. "La violence est partie d'un quartier, mais elle s'est maintenant étendue à toute la ville. On entend des coups de feu. Les gens s'étaient préparés et avaient stocké des armes", commente une source qui préfère rester anonyme, jointe par téléphone mardi soir,
Dimanche, les violences semblent avoir été déclenchées par un conflit mineur : des travaux entrepris par des musulmans dans des quartiers où ils vivaient jusqu'à il y a deux ans aux côtés de chrétiens, mais qu'ils avaient quittés lors des grandes violences interreligieuses de décembre 2008, qui avaient fait plusieurs centaines de morts. Des milices chrétiennes auraient alors lancé des attaques contre des musulmans, avant que les troubles ne s'étendent.
Réputée pour son climat, son université et sa douceur de vivre, loin des grandes villes chaotiques du Nigeria, Jos a été frappée au cours de la dernière décennie par des violences ayant des origines multiples. Située dans la zone de contact entre un Sud majoritairement chrétien et un Nord où l'islam est prédominant, l'Etat du Plateau est aussi une zone fertile où de nombreux Nigérians ont migré, déclenchant des conflits fonciers complexes.
Depuis le retour à la démocratie (1999), de graves affrontements religieux ont éclaté au Nigeria dans les Etats du Nord, et dans le Plateau. Des milices confessionnelles ont été créées. Elles sont utilisées par des responsables politiques. En décembre 2008, à Jos, c'est un différend électoral qui a mis le feu aux poudres. Cette fois-ci, aucune élection n'a eu lieu, mais l'étendue des violences laisse imaginer l'existence de manipulations. Le ministre local des affaires policières, Ibrahim Yakubu Lame, a accusé "des individus très haut placés" d'être responsable de ces massacres "en exploitant l'ignorance et la pauvreté du peuple pour causer le chaos au nom de la religion".
Le patron des services de renseignement nigérians (SSS) a été dépêché à Jos pour établir les origines exactes du chaos et reprendre en main la ville avec l'armée. A moins de 100 kilomètres, à Bauchi, une opération des forces de sécurité contre les membres d'une secte islamique radicale, Kala-Kato, s'était soldée par plusieurs dizaines de morts, fin décembre, dans des circonstances confuses.