3 Avril 2010
Vernissage exceptionnel ce samedi à Dakar : LA sculpture au centre de toutes les polémiques au Sénégal depuis des mois, dont le président Abdoulaye Wade revendique la paternité personnelle, est inaugurée en présence d'une douzaine de chefs d'Etat, et même du numéro deux de la dictature nord-coréenne, qui a réalisé l'oeuvre. Toutes les manifestations d'opposition sont interdites.
Cette bataille d'Hernani autour du caprice de Wade a sérieusement chauffé les esprits. Furieuse de voir sa manifestation prohibée, la coalition des partis d'opposition Bennoo Siggil a décidé de braver ce refus, et de protester d'une autre manière contre ce qu'elle qualifie de « mégalomanie présidentielle ».
Dans les médias sénégalais, la menace est ouvertement avancée :
« Au moment même où va débuter la cérémonie d'inauguration du Monument de la renaissance africaine. Abdoulaye Wade se rendra compte que la majorité des Sénégalais est contre son monument. Ça va chauffer dans tous les quartiers de Dakar. »
Inauguré alors que le pays lance les cérémonies du 50e anniversaire de son indépendance, le monument du président divise les Sénégalais.
Situé en haut de 251 marches pour être vue de loin, la sculpture monumentale en bronze d'une cinquantaine de mètres -plus grande que la statue de la Liberté, à New York- est tout à fait dans le style des oeuvres réalistes-socialistes nord-coréennes, revues et corrigées par le lyrisme panafricain d'Abdoulaye Wade.
Elle représente une famille se libérant du joug de l'esclavage et de l'obscurantisme, et regardant vers l'avenir radieux et la lumière. Certains détracteurs de l'oeuvre trouvent que les traits des personnages évoquent plus la Corée que l'Afrique…
D'autres y voient des symboles maçonniques, le président ayant reconnu avoir appartenu à la franc-maçonnerie. Les imams de ce pays majoritairement musulman dénoncent la tenue légère de la femme, et les féministes le fait que celle-ci soit derrière l'homme…
Son coût, estimé à 24 millions d'euros, fait également jaser. Mais il n'aurait officiellement rien coûté au budget de l'Etat, même si la société civile sénégalaise dénonce l'absence de transparence.
Le monument est surtout venu cristalliser toutes les polémiques autour du personnage d'Abdoulaye Wade, agé de 83 ans, au pouvoir depuis dix ans et qui gouverne dans une ambiance de fin de règne aux intrigues nombreuses. Ces dernières tournent notamment autour de son fils Karim qu'il aimerait bien adouber comme successeur, à l'instar d'autres « fils de » sur le continent.
Le président a lui-même déclenché les polémiques en revendiquant la propriété intellectuelle de la sculpture, et en s'attribuant ainsi 35% des recettes d'exploitation du site qui sera agrémenté de restaurants, d'un centre de conférences, etc.
Une décision d'autant plus surprenante de la part d'un chef d'Etat que la sculpture est inspirée d'un projet initialement commandé au grand sculpteur sénégalais Ousmane Sow, qui s'est ensuite brouillé avec Wade.
Dans une interview au Journal du dimanche, ce weekend, Abdoulaye Wade contre-attaque et rejette les critiques vis-à-vis de son « oeuvre » :
« Je ne les comprends absolument pas. Que voulait-on que je fasse, une petite statue ? La statue de la Liberté, est-ce de la démesure ? Le Christ rédempteur qui domine Rio, est-ce de la mégalomanie ? Se demande-t-on pourquoi les Egyptiens ont construit le Sphinx ? »
Paradoxalement, ces débats animés auraient pu être la célébration de l'existence d'un véritable espace démocratique au Sénégal, l'un des premiers, sous Leopold Sedar Senghor, à avoir pratiqué le mulipartisme en Afrique, et à n'avoir jamais connu de coup d'Etat militaire contrairement à la plupart de ses voisins.
C'est pourtant dans un profond malaise que le pays célèbre ses cinquante ans d'indépendance, dont les excentricités de son président octogénaire ne sont que la partie la plus voyante.
Pour sa part, la France fait profil bas dans cette polémique autour de la sculpture.Nicolas Sarkozy a adressé à Abdoulaye Wade un message de félicitations pour le lancement des cérémonies anniversaires, sans faire allusion au Monument, et en s'abstenant d'être présent ce week-end à Dakar où il avait été invité.
La France sera représentée à l'inauguration ce samedi après midi par son ambassadeur, l'écrivain Jean-Christophe Rufin, qui, en esthète, appréciera.