16 Mars 2011
Un observateur de la scène ivoirienne propose une solution radicale et iconoclaste. Ecarter les deux présidents, élu et sortant, du pouvoir. Une solution peut être idéale, mais tardive à l’heure où la situation a atteint un point de non-retour
Abidjan comme dans le reste du pays, Forces
loyalistes et soldats des Forces nouvelles sont désormais séparés par une barrière de feu, au grand malheur d'une population prise entre le marteau et l'enclume. Des frappes parfois sans
discernement où même des femmes aux mains nues sont prises pour cibles à l'arme lourde comme ce fut le cas jeudi passé à Abobo. Lente descente aux enfers, comme si cette Côte d'Ivoire qui
s'enfonce dans l'abîme depuis une vingtaine d'années cherchait à toucher le fond pour mieux rebondir.
Mais que faire face à une telle tragédie qui risque d'entraîner toute une sous-région dans le gouffre ? Plus personne, pas même les panélistes de l'UA qui font mine de croire à leurs propres
gesticulations diplomatiques, ne se fait guère d'illusions sur une issue négociée.
Les deux camps sont allés si loin qu'aucun ne peut véritablement faire machine arrière sans risquer une forme de suicide politique. D'un côté, Laurent Koudou Gbagbo est bien décidé à boire
jusqu'à la lie la coupe du hold-up électoral et a toujours été prêt à s'accrocher, dût-il y laisser sa peau ; de l'autre, on voit mal Alassane Dramane Ouattara devenir le Morgan Tsvangirai ou le
Raila Odinga ivoirien ; ou même accepter un poste de vice-président taillé à sa mesure pour les besoins de la cause.
Le voilà donc, tout élu démocratiquement qu'il est, prisonnier au Golf Hôtel où il ronge son frein, en attendant une hypothétique "opération chirurgicale" (l'expression est de lui) qui enlèverait
Gbagbo pour l'installer.
De source diplomatique, les différents scénarii d'une telle intervention militaire seraient prêts et les chefs d'état-major de la CEDEAO n'attendraient plus que le feu vert politique pour
descendre sur Abidjan. Un des plans, le plus privilégié dit-on, consisterait à prendre la capitale économique en étau à partir du Nord et du Sud après avoir exfiltré auparavant les dignitaires de
la République du Golf. Côté Nord, des troupes burkinabè et d'autres pays tel le Sénégal, renforcées par les FAFN, fondraient sur la perle des lagunes depuis Bouaké. Au Sud, la tâche reviendrait
au contingent nigérian soutenu par les forces spéciales américaines dont un commando enlèverait le président sortant.
Ne riez pas, c'est sérieux même si ça ressemble au synopsis d'un film d'action et de suspense façon "24 heures chrono". Plus sérieusement, "tout ça, c'est papier" comme on dirait justement à
Abidjan et la réalité du terrain peut s'avérer un piège mortel pour les assaillants. Car tout de même, les autres, on l'imagine, ne dorment pas en attendant qu'on vienne les cueillir tels des
agneaux du sacrifice.
De fait, les scénaristes, réalisateurs et producteurs de cet "Apocalypse now" sur la lagune savent pertinemment que ce n'est pas joué d'avance et qu'à tout le moins le coût humain serait trop
lourd. ADO lui-même est-il prêt à le supporter ? Ce n'est du reste pas un hasard si après avoir joué du biceps durant les premières semaines qui ont suivi le coup d'Etat constitutionnel, certains
tenants de l'option militaire, qui pensaient ainsi faire peur à Gbagbo (c'était mal le connaître), se sont progressivement démotivés pour n'être plus sûrs, aujourd'hui, de vouloir monter au
front.
Ce qu'on va lire ci-après peut faire scandale pour les esprits bien-pensants, mais en vérité, la solution au problème ivoirien peut résider aussi dans ce qu'on pourrait appeler un coup d'Etat
démocratique (ou salvateur, c'est comme vous voulez). Mais pas pour installer ADO sur un trône dont on aurait débarqué Gbagbo. Il faut plutôt les renvoyer dos-à-dos car à supposer même que le
scénario hollywoodien de la CEDEAO tourne à merveille, ADO une fois intronisé pourra-t-il gouverner en paix ? On peut en douter.
Il faut donc balayer tous ces caciques qui polluent depuis deux décennies le marigot politique ivoirien. Henri Konan Bédié, qui est en grande partie responsable du désastre étant forclos, il faut
aussi accorder une retraite anticipée aux deux adorables ennemis : l'opposant historique qui a bataillé ferme pour parvenir à ses fins et qui n'entend pas quitter la scène sur la pointe des pieds
; et "l'étranger" que le Vieux, mourant, avait appelé pour traire les vaches, qui s'est ensuite mis à compter les veaux et qui entend depuis être berger. Il a gagné la présidentielle ? Il a été
démocratiquement élu ? Indiscutable, mais ce ne sera pas la première fois qu'un candidat sera injustement floué de sa victoire et devra faire le deuil de ses ambitions "pour sauver la patrie.
Demandez donc à Cellou Dallen Diallo, à Gilchrist Olympio ou à André Mba Obame [candidats malheureux en Guinée, au Togo et au Gabon].
Ni Gbagbo ni ADO. Un "bon" putsch, voilà peut-être la solution palliative à l'utilisation de la "force légitime" à laquelle beaucoup de gens pensent sans oser l'avouer. Il y eut un temps, le
général trois fois étoilé Philippe Mangou aurait pu jouer le rôle de putschiste salvateur, mais il a mangé son pain blanc le premier puisqu'il doit être aujourd'hui l'un des hommes les plus
surveillés d'Eburnie. Mais rien n'interdit de penser que si la chienlit devait perdurer, un capitaine sorte du rang pour mettre tout le monde d'accord, à moins que ce ne soit Gbagbo lui-même qui
mette en scène sa propre destitution quand la situation sera encore plus intenable qu'elle ne l'est déjà.
Scandaleux ? Peut-être, mais ayons présent à l'esprit l'intérêt supérieur de la Côte d'Ivoire et le péril que court l'Afrique de l'Ouest ; et ne soyons pas hypocrite. Qui n'a pas applaudi il y a
un an quand, au Niger, le commandant Salou Djibo a renversé Mamadou Tandja qui voulait jouer les prolongations avec l'onction d'un référendum télécommandé ?
Ce putschiste consensuel au pays d'Houphouët serait, à bien des égards, l'équivalent moderne du dictateur que les Grecs se choisissaient librement en cas de grave danger menaçant même les
fondements même de la cité (épidémie, troubles intérieurs, agressions extérieurs, etc.).
Si ceux qui ont "inventé" la démocratie il y a plusieurs millénaires de cela ont jadis eu le trait de génie de renoncer momentanément à leurs droits pour sauver la maison commune, pourquoi
aujourd'hui les Ivoiriens ne pourraient pas s'en inspirer en accordant deux à cinq ans à un "dictateur éclairé" pour raccommoder le tissu social, panser les plaies et soigner les meurtrissures,
renouveler par la même occasion le personnel politique avant de rêver à une élection pacifique dont les résultats seront acceptés par tous ?
Robert Guéi, le général papa noël qui était venu le 24 décembre 1999, appelé par les "jeunes gens", délivrer le pays d'Houphouët-Boigny des errements du Sphinx de Daoukro (l'ancien président
Henri Konan Bédié) avait avec lui les circonstances et l'autorité morale pour être ce "dictateur". Hélas, on sait ce qu'il en est advenu, mais cette terre d'hospitalité ne saurait être à cours de
messie pour la sauver.