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Côte d’Ivoire : A qui profite la crise ivoirienne ?

 

 

 

La guerre fait rage en Côte d’ivoire. La première économie de l’Union économique et monétaire ouest-africaine tourne au ralenti. Quelles vont être ses retombées sur la zone franc ?

 

 

 

Ce n’est pas la première fois que la Côte d’Ivoire traverse une telle crise. En 2002 déjà, le pays avait plongé dans la guerre civile —forces nouvelles contre militaires fidèles à Laurent Gbagbo. Un bis repetita dont l’économie ivoirienne qui venait à peine de se relever se serait bien passée. A force de réformes, le pays avait atteint en 2009 le point d’achèvement de l’initiative pour les pays pauvres et très endettés (PPTE) et bénéficié depuis de l’annulation d’une grande partie de sa dette extérieure. Son taux de croissance en 2010 tournait aux environs de 3%.

Les Ivoiriens sont les premières victimes

Aujourd’hui, rien ne va plus. Le président sortant Laurent Gbagbo a été désavoué par l’Union économique et monétaire ouest-africaine (Uemoa), comme par la très grande majorité de la communauté internationale. Ce n’est plus lui, mais son rival, Alassane Ouattara, qui a la signature sur les comptes de la BCEAO, la Banque centrale de l’Union. Laurent Gbagbo a tout de même tenté par la force de prendre le contrôle du siège de la Banque dans le pays. Du coup, c’est tout le système bancaire qui en pâtit, la BCEAO garantissant les transferts de fond à l’international.

Autre exemple du bras de fer que se livrent les deux hommes : Alassane Ouattara a suspendu l’exportation des fèves de cacao. La Côte d’Ivoire en est le premier producteur mondial. Une manière pour le président reconnu par la communauté internationale de couper son adversaire de ses sources de revenus et de l’empêcher de payer les fonctionnaires et les militaires. En l’asphyxiant, Alassane Ouattara espère réduire l’influence de Laurent Gbagbo sur les organes de l’État qu’il contrôle depuis dix ans. Et les premières victimes de ce conflit à la fois politique, économique et militaire sont avant tout les Ivoiriens.

Le Fonds monétaire international (FMI) vient de tirer la sonnette d’alarme (PDF). L’organisation financière internationale craint que cette crise remette en cause la reprise économique non seulement en Côte d’Ivoire, mais dans toute la sous-région. D’après ses estimations, l’Uemoa avait retrouvé un niveau de croissance économique comparable à celui qui existait avant la crise économique mondiale et la flambée des prix des denrées alimentaires de 2007-2008. Seule une résolution rapide et pacifique de la crise ivoirienne et la poursuites de réformes, poursuit l’institution de Bretton Woods, permettraient à toute la sous-région de continuer sur cette voie et d’atteindre en 2011 4,5% de taux de croissance, soit un demi-point de plus que l’année précédente.

Les enseignements de 2002

Pour Laurent Bossard, directeur du Club du Sahel et de l’Afrique de l’Ouest, les opérateurs économiques ouest-africains ont une très forte capacité d’adaptation.

« Je n’ai jamais eu l’impression qu’en 2002, les flux économiques avaient été affectés. Au contraire, il y a eu un boom extraordinaire », explique-t-il.

A la suite de la crise en 2002, le port d’Abidjan avait perdu une partie de son trafic au profit des autres ports de la région. Le Sénégal, la Guinée, le Ghana, le Togo et le Bénin ont tous des infrastructures portuaires. Pour les pays enclavés comme le Burkina Faso ou le Mali, des routes alternatives existent. Traditionnellement, c’est le port d’Abidjan qui est préféré —pour des raisons historiques et linguistiques. Mais le port de Conakry se trouve à 750 kilomètres à peine de Bamako. Dakar n’est guère plus loin de la capitale malienne. Ouagadougou peut également servir d’alternative avec les ports d’Accra, de Lomé ou de Cotonou.

D’autant plus que la crise ivoirienne de 2002 avait encouragé les autorités des pays voisins à réaliser des projets routiers de contournement. Elles avaient aussi permis une réduction très nette des barrages sur les routes alternatives déjà existantes.

« Le malheur des uns fait le bonheur des autres », explique un transporteur sénégalais. « J’ai pu investir et augmenter mon chiffre d’affaires en 2002 et dans les années qui ont suivi. On avait même des problèmes dans le port de Dakar et les autres ports de la région car le flux de marchandises était trop important. »

Le FMI note que depuis cette crise justement, et avec le développement des routes alternatives, les dynamiques de croissance des pays de l’Uemoa sont très interdépendantes et que le commerce interrégional en lui-même est de fait assez peu développé. Et la situation qui prévaut aujourd’hui en Côte d’Ivoire devrait encore renforcer la compétitivité de ces autres couloirs de transport.

Qu’adviendra-t-il des produits d’exportation ivoiriens —notamment le cacao et le coton— si le conflit perdure ? Là aussi, 2002 est riche en enseignements.

« La Côte d’Ivoire est le seul pays d’Afrique de l’Ouest à être divisé en quatre régions ayant des caractéristiques ethnolinguistiques globalement homogènes. Ces groupes sont le substrat des échanges économiques et ne connaissent pas les frontières », explique encore Laurent Bossard.

Ce que le Club du Sahel et de l’Afrique de l’Ouest a relevé, c’est qu’en 2002, une partie de la production de cacao ivoirien avait été exporté par le Ghana frontalier. Et le même phénomène s’était produit pour le coton ivoirien avec le Mali et le Burkina.

L’impact de la crise aujourd’hui

Parmi les autres conséquences —beaucoup moins positives pour la sous-région— il y a l’afflux massif de réfugiés. Ils ne sont pas moins de 90.000 à avoir trouvé refuge au Liberia. Même si ce sont avant tout les organisations internationales qui supportent le surcoût lié à ces déplacements, l’impact sur les pays d’accueil est réel : risque de conflits avec les populations autochtones, occupation de terres, accaparement de ressources. A terme, évidemment, cela pourrait également dynamiser les marchés avoisinants par le surplus de consommation. Mais pour cela, il faudrait que ces réfugiés disposent de ressources.

Plus difficile peut-être encore à évaluer, la réduction des transferts d’argent de migrants travaillant en Côte d’Ivoire. La commission de l’autre grande organisation sous régionale, la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (Cédéao), a condamné ces derniers jours le discours incendiaire des citoyens de ses États membres. Les violences postélectorales ne touchent pas seulement les Ivoiriens, mais aussi la très large communauté d’Africains de l’Ouest qui réside en Côte d’Ivoire. A titre d’exemple, quelques 2.000 personnes viennent de trouver refuge au Mali, parmi lesquels des Ivoiriens, mais aussi des Maliens qui travaillaient dans le pays. Or ces communautés africaines envoyaient une partie de leurs revenus vers leur pays d’origine. Un transfert sud-sud qui, avec la mise à l’arrêt des banques et au-delà des violences, risque de s’interrompre. Une baisse de la consommation en Côte d’Ivoire pourrait également avoir un impact sur les pays de la sous-région qui exportent vers ce pays et notamment sur la filière bétail.

Sortir de la zone franc

Mais ce qui inquiètent le plus les économistes aujourd’hui, c’est le discours et l’attitude de Laurent Gbagbo vis-à-vis de l’Uemoa. Il menace de sortir de la zone franc et créer sa propre monnaie, le MIR, la monnaie ivoirienne de la résistance. Or, sans la Côte d’Ivoire, c’est l’Uemoa qui risque de disparaître. Le pays contribue à hauteur de 60% au compte d’opération de la BCEAO. C’est le fonds de réserves de change des pays de l’Union qui fait l’objet d’un dépôt auprès du Trésor français, conformément à une convention signée entre les pays africains de la zone franc et la France. Ce mécanisme est souvent décrié, et plus récemment par le camp de Laurent Gbagbo qui affirme que la France s’enrichit ainsi sur le dos des Etats africains. Mais en contrepartie, Paris accorde une garantie quasi-illimitée de convertibilité à la BCEAO et offre une possibilité de découvert aux pays de la zone franc.

Sans la contribution ivoirienne, le franc CFA perdrait inévitablement en crédibilité et en valeur. Pour avoir une idée de ce qui pourrait se passer, il suffit d’étudier les conséquences de la dévaluation de 1994. Elles avaient été dramatiques pour les pays de l’Union largement importateurs comme le Sénégal. Mais le scénario catastrophe serait la disparition de la zone CFA et le retour aux monnaies nationales —au moins à court et moyen termes— car quelle serait alors la valeur de ces monnaies ? La Côte d’ivoire, elle non plus, n’en sortirait pas indemne.

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