16 Décembre 2010
A Abidjan, la marche sur la télévision d'Etat à l'appel du camp Ouattara a tourné à l'affrontement : les Forces nouvelles ont échangé des tirs nourris avec les forces de l'ordre, fidèles à Gbagbo. Des combats ont également eu lieu au centre du pays. Des morts ont été dénombrés dans les rangs des FN et parmi les civils. Le camp Ouattara appelle néanmoins à poursuivre la "mobilisation".
A Abidjan, quelque 300 jeunes manifestants pro-Ouattara qui avaient commencé à marcher, vers midi, précédés par les
Forces nouvelles (FN) parties en reconnaissance, sur la télévision d'Etat(RTI) à l'appel du Premier ministre d'Alassane Ouattara, le chef de l'ex-rébellion des
FN Guillaume Soro, ont vite dû rebrousser chemin, en raison d'un accrochage entre FN et FDS avec armes lourdes, tirs d'obus et de canons qui a
fait deux morts et un blessé dans le camp Ouattara, selon l'envoyé spécial à Abidjan du Nouvel Observateur, Christophe Boltanski. (voir ici le compte-rendu complet de la
journée, heure par heure)
Outre ces deux morts, d'après Meité Sindou, le porte-parole de Guillaume Soro, cité par notre envoyé spécial, son camp a dénombré 30 morts et 100 à 110 blessés parmi les
civils dans différents quartiers populaires d'Abidjan qui ont plutôt voté Ouattara : Adjamé, Koumassi, Abobo, Treichville, Yopougon. L'AFP confirme pour sa part quatre décès parmi
les manifestants dans deux de ces quartiers.
A l'Hôtel du Golf, où se sont repliés les manifestants, les tirs se sont progressivement tus dans le courant de l'après-midi, selon notre envoyé spécial, lui-même bloqué à l'intérieur du
bâtiment, où il s'apprêtait à passer la nuit. Le porte-parole de Guillaume Soro a affirmé que la garde républicaine avait fait plusieurs tentatives pour attaquer le périmètre de sécurité de
l'Hôtel du Golf, a rapporté notre envoyé spécial.
D'après Meité Sindou, les tirs provenaient de la garde républicaine mais aussi de miliciens libériens, que Laurent Gbagbo aurait recrutés en nombre – il les évalue au nombre
de 3.000. Il a affirmé qu'il y avait trois blindés des forces pro-Gbagbo autour de l'hôtel. "Pourraient-ils être tentés de prendre d'assaut l'hôtel ? Je ne crois pas", nous a confié
Christophe Boltanski. "Les casques bleus de l'Onu sont toujours postés autour du bâtiment. Les forces françaises de la Licorne ont en outre assuré qu'elles interviendraient si l'Onu le demandait,
ce qui peut être assez dissuasif pour les forces de Gbagbo".
En dépit des affrontements, Meité Sindou a annoncé qu'il maintenait l'objectif de se rendre à la RTI aujourd'hui et à la "Primature" demain, occupée par le
Premier ministre du camp adverse, Aké N'Gbo. Ces bureaux sont voisins du palais présidentiel où siège Laurent Gbagbo.
Dans un communiqué, Guillaume Soro a appelé, en début d'après-midi, "les populations à la mobilisation" et les a invité "à ne pas se laisser distraire par cette dictature des
chars, et à réclamer la liberté de l'information pluraliste par les médias d'Etat".
Ni Guillaume Soro, ni Alassane Ouattara n'ont quitté l'hôtel ce jeudi, a rapporté notre
envoyé spécial, racontant qu'une fois les manifestants repliés dans le bâtiment, Alassane Ouattara avait fait une brève apparition pour rassurer ses troupes.
L'objectif visé par Guillaume Soro était de s'emparer d'un pilier du pouvoir du chef de l'Etat sortant Laurent Gbagbo, en y mettant en place un nouveau directeur général : la RTI est, depuis
l'éclatement de la crise née de la présidentielle, tout entière dédiée à la défense du régime. Cette manifestation devait être une étape majeure dans l'affrontement entre les deux hommes, tous
deux présidents proclamés après l'élection du 28 novembre.
Une opération, annoncée en début de semaine par Guillaume Soro, qui risquait de tourner à l'affrontement, s'était-on inquiété à l'étranger.
Au moins quatre morts dans les quartiers populaires
Dans la matinée de jeudi, de premiers incidents avaient été rapportés dans les quartiers populaires d'Abidjan.Quatre personnes ont été tuées par balles au moment où les forces de l'ordre fidèles à Laurent Gbagbo ont dispersé des manifestants qui voulaient marcher sur la télévision d'Etat à l'appel du camp de son rival Alassane Ouattara, avaient rapporté des journalistes de l'AFP et des témoins. Selon le porte-parole de Guillaume Soro, ce seraient en fait 30 morts qui seraient à déplorer.
Dans le quartier populaire d'Adjamé (nord), un photographe de l'AFP a vu les corps de trois personnes tuées par balles. Dans un autre quartier populaire, Koumassi (sud), un journaliste de l'AFP a vu la Croix-Rouge emporter le corps d'une victime également tuée par balle. La tension était très vive dans cette zone, où une trentaine de personnes faisaient face à une dizaine de policiers armés, a-t-il constaté.
Un peu plus tôt, entre 300 et 400 jeunes qui tentaient de quitter le quartier d'Abobo (nord) un fief d''Alassane Ouattara, avaient été dispersés à l'aide de gaz lacrymogènes par une quinzaine de membres des Forces de défense et de sécurité (FDS) qui leur faisaient face. Un journaliste de l'AFP avait pu voir trois jeunes étendus à terre, inertes, sans qu'il soit possible dans l'immédiat de déterminer leur état.
Dans le quartier d'Adjamé, situé à proximité d'Abobo, d'autres jeunes manifestants avaient barré une route et jeté des pierres, mais des gendarmes les avaient dispersés en tirant en l'air.
En plus des tirs de sommation, d'autres coups de feu avaient été entendus par l'AFP dans ce quartier et avaient cessé vers 9h locales (8h heure française). Aucune précision n'était dans un
premier temps disponible sur l'origine de ces coups de feu.
Ces deux quartiers populaires se trouvent au nord du quartier chic de Cocody où est situé le siège de la télévision publique RTI.
Mercredi, déjà, plusieurs manifestants pro-Ouattara ont été blessés par balles dans la capitale politique Yamoussoukro (centre) quand les FDS ont voulu empêcher un défilé.
Ban Ki-moon redoute un "retour à la guerre civile"
L'inquiétude se fait sentir à l'étranger.
Paris appelle "à la retenue de part et d'autre" en Côte d'Ivoire, avait affirmé jeudi matin Michèle Alliot-Marie. "Je crois à l'acceptation par Gbagbo des résultats de l'élection où les Ivoiriens ont très clairement désigné Ouattara comme leur président, nous appelons également à la retenue de part et d'autre", avait déclaré la ministre des Affaires étrangères à LCI. "Je crois effectivement qu'il faut éviter toute violence. La Côte d'Ivoire n'a pas besoin de ça", avait répondu la ministre à une question sur l'opportunité ou non de demander l'annulation de la marche annoncée par les partisans d'Alassane Ouattara.
Le chef de l'ONU Ban Ki-moon redoutait un "retour à la guerre civile" dans ce pays coupé en un sud aux mains du camp Gbagbo et un nord FN depuis le putsch manqué de 2002. L'armée avait averti qu'elle tiendrait les Nations unies, qui selon elle soutiennent la marche, pour responsables d'éventuelles violences.
Le procureur de la Cour pénale internationale, Luis Moreno-Ocampo, a lui, prévenu, qu'il engagerait des poursuites contre quiconque serait responsable de violences meurtrières en Côte d'Ivoire.
Alassane Ouattara a été désigné vainqueur de la présidentielle par la commission électorale et reconnu président par une communauté internationale quasi-unanime.
Mais le Conseil constitutionnel ivoirien, acquis au sortant, a invalidé ces résultats et proclamé la victoire de Laurent Gbagbo. Face à ce blocage lourd de menaces, le président de la Commission de l'Union africaine, Jean Ping, pourrait se rendre d'ici vendredi à Abidjan pour relancer les efforts de médiation.