Dans la capitale ivoirienne, les rumeurs d’assassinats effraient la population, tandis que chacun redoute la marche promise,
et pour l'instant reportée, par les Jeunes patriotes pro-Gbagbo vers l’hôtel où séjourne Alassane Ouattara.Reportage.
En ce début janvier 2011, le climat est contrasté dans la capitale ivoirienne. Si la moitié d’Abidjan reste calme,
certains quartiers sont devenus de véritables zones de non-droit.
Tandis que des supporters du président sortant Laurent Gbagbo érigent des barricades et n’hésitent pas à s’attaquer
directement aux casques bleus, des militants d’Alassane Ouattara, le président reconnu par la communauté internationale, tentent d’imposer la grève générale réclamée par leur
chef.
Depuis un mois, la capitale économique vit au rythme de la crise politique. Sur les marchés, les prix des denrées grimpent en flèche. Le soir, les rues se vident de bonne heure et les taxis
craignent de se faire attaquer.
Les Abidjanais vivent dans la peur. Les rumeurs d’enlèvements et d’assassinats nocturnes circulent dans toute la ville. Un
habitant d’un quartier populaire s’emporte, évoquant des hommes masqués, en uniforme : « À Adjamé, on se défend nous-mêmes. »
Dans certaines familles, père et fils se relaient pour monter la garde toute la nuit. Les Nations Unies déplorent 179 morts ainsi que de nombreuses disparitions et arrestations arbitraires sur la
seconde moitié du mois de décembre.
Les casques bleus ont dû faire face la semaine dernière à d’importants heurts avec la population. S’il était devenu courant pour les patrouilles d’être bloquées par des barrages improvisés ou de
se faire insulter par une partie des passants, le niveau de violence est monté d’un cran. Dans le quartier populaire pro-Gbagbo de Yopougon, deux soldats ont été blessés, dont un par un coup de machette, alors qu’une foule de plusieurs centaines de personnes les accusait de vouloir
saboter une centrale thermique.
Le lendemain à Abodo, autre quartier modeste d’Abidjan, leurs collègues essuyaient plusieurs coups de feu au cours d’une altercation semblable. Les soldats de la paix ont dû tirer en l’air pour
pouvoir se replier.
Cette agressivité est une conséquence directe de la propagande. Les Abidjanais peuvent lire chaque jour à la une des quotidiens ivoiriens que l’ONU participe à un complot contre le président Gbagbo. Ce dernier a de nouveau appelé les casques bleus à quitter le pays samedi 1er janvier, les accusant
d’avoir ouvert le feu sur des civils.
MENACES
Le chef du département des opérations de maintien de la paix, Alain le Roy, s’est rendu en Côte d’Ivoire fin décembre pour assurer son soutien aux casques bleus. « Il n’est pas question que
nous partions, a-t-il assuré au cours d’une conférence de presse. Nous bénéficions du mandat le plus robuste des Nations Unies. »
Mais les forces de l’ONU en Côte d’Ivoire éprouvent de plus en plus de difficultés pour mener à bien leur mission. À Abidjan,
les effectifs ont été renforcés et le nombre de patrouilles augmenté. Certaines zones restent cependant inaccessibles et les équipes chargées d’enquêter sur d’éventuels charniers dans les villes
d’Anyema et N’Dotré sont systématiquement bloquées par les Forces de défense et de sécurité pro-Gbagbo.
Malgré les appels de la communauté internationale, Laurent Gbagbo a promis de ne pas partir. Dans les rues, personne ne met sa parole en doute. « Vu la situation actuelle, il ne cédera
pas », pense Claude, un habitant de Yopougon. Difficile de dire qui pourrait chasser celui que les Ivoiriens appellent le « boulanger », en hommage à son talent pour « rouler ses adversaires
dans la farine ».
Derrière les casques bleus, les soldats de la force française Licorne ont comme consigne de faire profil bas. Tout le monde
compte sur la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) pour mener les négociations et une éventuelle opération militaire. Mais ces derniers ont laissé échapper des signes
d’hésitation en ce qui concerne cette solution radicale.
À l’Hôtel du Golf, où le président Alassane Ouattara et ses fidèles sont bloqués depuis un mois, le gouvernement reconnu par
la communauté internationale fait son possible pour installer son pouvoir. Les Jeunes patriotes pro-Gbagbo et leur chef, Charles Blé-Goudé, menacent d’attaquer, « à mains nues », ce que les
Ivoiriens appellent la « République du Golf ».
La marche déjà reportée deux fois, serait potentiellement catastrophique si ces militants pro-Gbagbo vindicatifs, têtes de file de la chasse aux Français de 2004, cherchaient à passer en force
le cordon de casques bleus qui protège l’établissement de luxe transformé en bivouac militaire.