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La Guinée nouvelle

De Conakry à Nairobi, les Africains votent mais ne décident pas: mise à jour ( 1ère partie)

traduction: Vous n'auriez pas autre chose?

Le 06 Mars, les Togolais élisent leur président malgré la crainte de fraudes. En effet, si la démocratie s'est répandue sur le continent noir, elle demeure fragile : coup d'Etat en Guinée, multiples reports de la présidentielle en Côte d'Ivoire. L'année 2010, qui marque le cinquantième anniversaire de l'indépendance de seize pays africains, offre l'occasion d'esquisser un bilan de la démocratisation entamée dans les années 1990.

« J'étais sur mes nerfs. J'ai ouvert le feu sur le président, une balle du côté droit de la nuque. Il est tombé. Son chef des opérations est arrivé avec une arme lourde, On a commencé à se bagarrer. Je me suis échappé alors qu'on évacuait le blessé.» Le «président», c'est le capitaine Moussa Dadis Camara, qui a pris le pouvoir en Guinée le 23 décembre 2008, à la faveur d'un putsch. Le tireur, c'est son aide de camp Toumba Diakité, toujours en fuite depuis ces événements du 3 décembre 2009. Le 22 janvier, le général Sekouba Konaté - président intérimaire - a nommé un premier ministre «de transition» issu de l'opposition, M. Jean-Marie Doré, tandis que M. Camara est en convalescence au Burkina Faso.


On trouve en Guinée tous les ingrédients du cauchemar politique africain : le coup d'Etat (avant l'actuelle junte, le président Lansana Conté avait lui-même accédé au pouvoir par un putsch en 1984); le militaire justicier plus ou moins sain d'esprit - la mégalomanie meurtrière du capitaine Camara était patente depuis la répression sanglante des manifestations du 28 septembre 2009 à Conakry ; la violence et la pauvreté sur fond de prévarication.


Après une période d'euphorie démocratique au début des années 1990, qui a vu la disparition des régimes à parti unique et l'adoption de Constitutions entérinant la démocratie libérale, les années 2000 se caractérisent, en effet, par de nombreuses régressions politiques en Afrique. Le spectre de la guerre civile, qui hante de nombreux pays depuis la colonisation, n'a pas disparu. Il a même pris corps en 2002 dans un pays réputé pour sa stabilité, la Côte d'ivoire. Incapable de déterminer un corps électoral accepté par toutes les parties en raison du flou de l'état civil, le pays n'est pas en mesure, depuis 2005, d'organiser des élections. Celles-ci ont été repoussées à plusieurs reprises, avec l'accord de la «communauté internationale», faisant du président Laurent Gbagbo une sorte de monarque de fait.


A ces turpitudes s'ajoute une nouvelle façon de contourner la démocratie : la manipulation ou la modification autoritaire de la Constitution par le chef de l'Etat afin de se faire réélire. Ce fut le cas en Guinée en 2001 et au Cameroun en 2008, où fut mis fin à la limitation du nombre de mandats présidentiels, au Togo en 2002 avec l'adoption d'un scrutin à un tour, très favorable au pouvoir en place. Au Niger en 2009, le président Mamadou Tandja a dissous l'Assemblée nationale et organisé un référendum (boycotté par l'opposition) afin d'entériner une révision constitutionnelle lui permettant de se présenter indéfiniment.



Cependant, si l'actualité se montre souvent violente sur le continent noir, les progrès réalisés depuis vingt ans sont réels et plus personne n'oserait, comme le président Jacques Chirac en 1990, prétendre que «l'Afrique n'est pas mûre pour la démocratie». En revanche, les libertés conquises s'exercent dans un faisceau de contraintes qui fragilisent en permanence les acquis.



CHANTAGE A LA MARMITE

Organiser les élections est considéré dans toute l'Afrique comme un droit normal des citoyens et un élément indispensable à toute société « moderne ». Seule l'Erythrée, régime à parti unique, ne s'encombre ni de présidentielle ni de législatives, tandis que la Somalie, Etat théorique, n'est pas en mesure d'en organiser. Même malmenés, les scrutins se tiennent partout. La République de démocratique du Congo (RDC) a ainsi organisé, en juillet 2006, les premières élections générales libres de son histoire.

L'Union africaine fait du respect de la démocratie et des droits de l'homme un objectif cardinal de son action. Elle condamne les coups d'Etat et, contrairement à l'institution qui l'a précédée, l'Organisation de l'unité africaine (OUA), prévoit des sanctions en cas de manquement. Ainsi, la Guinée du capitaine Camara a vu ses droits au sein de l'Union suspendus. Les bailleurs de fonds conditionnent, eux aussi, leur «aide» à des règles politiques. Même la pratique du coup d'Etat s'est «modernisée»: en 2003, les militaires bissau-guinéens ont protocolairement prévenu par téléphone le président en exercice de la Communauté économique des Etats de l'Afrique de l'Ouest (Cedeao) qu'ils étaient en train de réaliser un putsch, mais qu'ils organiseraient bientôt des élections (ce qui fin fait en 2004 et 2005). On assiste aussi à des coups d'Etat «démocratiques» destinés à abattre une dictature pour transmettre le pouvoir aux civils (au Mali en 1991, en Mauritanie en 2005).

La population, qui a pris conscience de son nouveau pouvoir, n'hésite pas à mettre les candidats sur le gril des revendications. Les débats électoraux sont animés et les électeurs mobilisés. «Dans les villages, raconte le politiste français Richard Banégas, les populations ont mis sur pied des comités de réception et d'animation. Lorsqu 'un candidat à la députation ou chef de parti politique annonce son arrivée, on affiche ses photos et ses bulletins (...). Juste quelques heures après son départ, un autre groupe spécialisé dans le nettoyage du décor [intervient] et voilà ce même lieu prêt à accueillir un autre candidat.» La liberté de la presse s'est généralisée, et les blogueurs y vont bon train de leurs commentaires militants, dubitatifs ou acerbes.



Contrairement à l'époque des partis unique, l'opposition est devenue une figure acceptée du jeu social, tout comme les « forces vives de la nation », c'est-à-dire les syndicats et surtout les associations. Celles-ci, développées avec l'aide internationale, ont permis de contourner l'absence du pluralisme politique dans les années 1970. La démocratisation a commencé grâce à ces cadres lors des « conférences nationales » au début des années 1990.



Leur irruption avait surpris, et le dictateur béninois, Mathieu Kérékou, poussé vers la sortie par son propre peuple en 1990, avait dénoncé, avec un humour involontaire, « un coup d'Etat civil ». Lorsque la vie politique se bloque, la population n'hésite pas à manifester. Ce qui conduit parfois à des situations confuses quand tous les camps en présence mobilisent de cette manière. A Madagascar, l'opposant Andry Rajoelina et le président Marc Ravalomanana ont rivalisé de grands meetings sur fond de scrutin contesté fin décembre 2008. Le chef de l'Etat a dû quitter le pouvoir, mais son adversaire peine à s'imposer. L'installation d'un gouvernement d'union nationale, sous l'égide de l'Union africaine, s'effectue dans la plus grande tension.


Malgré ces progrès de principe, l'éthique de la compétition électorale n'est pas garantie, et les dirigeants s'emploient à respecter les apparences tout en orientant les scrutins. La fraude reste courante (ah, le flou des listes électorales, et ces bulletins qui dorment dans des hangars avant qu'on les dépouille !) et la «communauté internationale» n'est pas toujours très regardante. Si elle se montre sévère - à juste titre - avec M. Robert Mugabe au Zimbabwe, elle parait très indulgente avec MM. Ali Bongo (Gabon) ou Paul Biya (Cameroun), grands amis de la France. A propos de l'élection présidentielle gabonaise de 2009, le blogueur ivoirien Théophile Kouamouo dénonce ainsi « les litotes approbatrices de Paris» et « les silences de Washington ou de Londres qui ne voient la démocratie qu'aux portes de l'Iran ».

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