La Guinée nouvelle
8 Mars 2010
L'OMNIPRESENCE DE LA « COMMUNAUTE INTERNATIONALE
Dressant le bilan de la démocratisation, l'ancien ministre togolais Atsusté Kokouvi Agbobli s'interrogeait avec justesse : « Peut-on démocratiser des pays dominés de l'extérieur ? » Pour qu'il y
ait démocratie, il faut que la souveraineté de l'Etat et du peuple ait un sens. Or, à la mise sous tutelle économique s'ajoute aujourd'hui l'omniprésence de la « communauté internationale ».
Les Nations unies (et leurs agences), l'Union européenne ou la justice internationale interviennent, en effet, dans la vie interne de nombreux pays africains. Si cette action se révèle la plupart
du temps indispensable pour sauver des vies (action humanitaire ou interposition dans les conflits, par exemple), les populations notent que, malgré la gravité des crimes commis par certains
Etats au Proche-Orient, Il échut à des prévenus africains d'inaugurer la Cour pénale internationale (CPI). Ce type de relations tourne parfois à l'absurde quand, par exemple, les nations
finissent par cautionner le report des élections ivoiriennes. Le continent paraît de plus en plus administré de l'extérieur sans que l'on s'en prennent jamais à l'une des sources principales de
son instabilité : la violence et l'iniquité des rapports mondiaux.
Phagocyté, marchandé, extraverti, c'est tout l'espace politique africain qui se trouve à reconstruire. Il n'existe pas de notion post-coloniale de l'intérêt général C'est aussi l'un des nombreux
effets pervers du concept de « bonne gouvernance » : dans la vision comptable de fonds, rien ne se révèle plus éloigné du « bon gouvernement » (au service des peuples) que la « bonne gestion ».
Le débat et les rapports publics sont pervertis par l'utilisation, et les classes moyennes qui se reconstituent depuis quelques années après avoir été laminées par les PAS, semblent animées avant
tout par un esprit de jouissance - ce qui inquiète l'historien Achille Mbembe, de l'Université de Johannesburg, à propos du géant sud-africain.
UN MODELE AFRICAIN DE DEMOCRATIE
A cela s'ajoute l'épineuse question communautaire. Mme si le sentiment national semble très vif dans des pays comme la République démocratique du Congo, le multipartisme se révèle souvent, en Afrique, à la fois régionaliste et ethnique, ce qui crée de solidarités hors de toutes catégories politiques. Pour le juriste congolais Mwayila Tshiyembe, il est possible de penser des mécanismes de représentation qui tiennent compte de ces phénomènes tout en respectant le jeu des élections. Cela permettrait, en outre, de contrecarrer les manipulations des « identités ethniques » auxquelles se livrent parfois, comme au Kenya, les adversaires politiques.
La question se pose d'un modèle africain de démocratie qui redresserait les frontières de l'individualisme occidental. Par exemple, les institutions ont souvent été inspirées par l'Europe, et la
Constitution de Vème République française a servi de modèle à de nombreux pays francophones. Sont-elles adaptées ? Pour la camerounaise Marie-Louise Eteki Otabela, qui racontait comment elle fut
empêchée de se présenter à la présidentielle dans son pays pour des « raisons administratives », il faut convoquer une Assemblée constituante afin d'adopter une nouvelle Loi fondamentale plus
conforme à leurs aspirations.
L'écrivain camerounais Célestin Monga souligne, quant à lui, la profondeur du mal : « Les civilisations africaines ont perdu beaucoup de terrain depuis des siècles ». Selon lui, le continent « souffre de quatre déficits profonds qui se renforcent mutuellement : le déficit d'amour propre et de confiance en soi ; le déficit de savoir et de connaissance ; le déficit de leadership et le déficit de communication. Il invite donc à envisager des réformes radicales, notamment celle des systèmes éducatifs, dont la « principale fonction est de fabriquer des fonctionnaires semi-illétrés ( ) pour en faire des auxiliaires de la post-colonie. »
C'est dans cet esprit que travaille l'écrivain kenyan Firoze Manji, qui a créé l'association Fahamu (« savoir » en swahili). Il s'agit de former à distance, grâce aux nouvelles technologies, des
militants sur tout le continent sur des sujets aussi variés que la défense des droits de l'homme, la prévention des conflits ou le rôle des médias. Tous parient sur ceux qu'Ayittey nomme les
cheetah, les jeunes générations qui n'ont pas connu la colonisation, qui n'ont pas les complexes qu'elle peut engendrer et qui ne s'en laissent pas conter. Un travail militant de longue haleine.