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La Guinée nouvelle

De Conakry à Nairobi, les Africains votent mais ne décident pas (suite)

traduction: Vous n'auriez pas autre chose?

La tentation autoritaire demeure perceptible, y compris dans des pays jadis exemplaires, comme le Sénégal, où le joumaliste Mamadou Coulibaly - auteur d'un livre critique sur le président Abdoulaye Wade - a fait l'objet d'intimidations. Plus simplement, les pouvoirs en place n'hésitent pas à utiliser les ressources de l'Etat pour gagner la partie au moyen de campagnes dispendieuses, souvent avec l'aide de «communicants» ou de conseillers juridiques européens. Face à eux, les partis d'opposition n'ont pas toujours des électeurs suffisamment prospères pour les financer.


Pour se maintenir au pouvoir, les dirigeants suscitent aussi la création de petits partis d'opposition afin de disperser les voix à leur avantage (Gabon, Cameroun, Burkina Faso, etc.). Dans certains pays, il existe plus de cent formations susceptibles de solliciter les suffrages des électeurs. Par ailleurs, la démocratisation n'a pas mis fin à la «politique du ventre» décrite par le politiste français Jean-François Bayart. Quand le clientélisme est roi, les candidats ne se déplacent jamais sans cadeaux : distribution de billets ou avantages matériels. Confrontés à la pauvreté et à une répartition des richesses aussi inégale qu'insolente, les électeurs assimilent ce jeu à une compensation légitime : « On récupère ce qu'ils nous ont volé, entend-on souvent. Ils nous ont poussés à la misère et ils pillent l'Etat pour nous faire saliver. Nous sommes obligés de leur monnayer nos suffrages. »


CLOCHARDISER ET ISOLER L'OPPOSANT

Si on ne moleste plus les opposants autant qu'avant - le visage tuméfié de M. Morgan Tsvangirai, adversaire de M. Mugabe, après un interrogatoire des forces de l'ordre en 2008, montre à quel point la tendance est fragile -, il existe de multiples manières de faire taire le contradicteur. « S'il est fonctionnaire, raconte le journaliste camerounais Etienne de Tayo, président du réseau Afrique intègre, tout est mis en oeuvre pour le pousser à la démission. S'il travaille pour une structure privée, des pressions sont mises sur son employeur pour qu 'il le licencie. S'il exerce pour son compte, le pouvoir s'arrange pour fermer les débouchés à ses produits ou empêcher qu'on lui accorde le moindre marché. Des pressions sont aussi exercées sur son entourage afin qu'il ne le fréquente plus. Parfois, sur son épouse, pour qu'elle le quitte.» Clochardiser et isoler l'opposant : la pratique a pour nom «chantage à la marmite».


Certains dirigeants détournent aussi la «lutte contre la corruption» - en progrès depuis quelques années pour répondre à la demande des populations et des bailleurs de fonds - pour éliminer les adversaires politiques. Lesquels se retrouvent alors devant les tribunaux sous le coup des charges peu claires. C'est le cas du Nigeria, pour Atiku Abubakar, en 2007, ou au Sénégal pour M. Idrissa Seck. In fine, les dés étant pipés, une partie de l'opposition préfère l'exil à cette vie de tranchée dans l'indifférence générale. A noter que le soutien de la « communauté internationale » n'offre pas toujours un avantage. Il peut même se révéler un « piège », selon Tayo, quand des opposants, à l'image de M. Tsvangirai, apparaissent comme les défenseurs des intérêts des occidentaux et se coupent progressivement de leur peuple.



A propos de la junte guinéenne et des manipulations constitutionnelles au Niger, l'écrivain ivoirien Venance Konan ironise : « Qui, parmi nos chefs d'Etat, peut vraiment donner des leçons de démocratie et de respect des droits de l'homme à Tandja et à Dadis Camara sans faire rire ? »



ETATS DECREDIBILISES

En Afrique, la démocratisation s'effectue dans le cadre d'Etats décrédibilisés par l'échec des stratégies de développement mises en oeuvre après les indépendances. L'avènement du pluralisme coïncide avec le resserrement de l'étau financier international après l'explosion de la dette dans les années 1980. Tout en conditionnant leur « aide » à l'instauration du multipartisme et au respect des droits de l'homme, les bailleurs de fonds - Institutions financières internationales (IFI), Union européenne, etc. - ont imposé des contraintes économiques. Il en résulte un jeu politique affadi où les multiples partis disposent d'une unique option macroéconomique, celle des plans d'ajustement structurel (PAS) et autres « schémas directeurs de réduction de la pauvreté ». Aucun candidat ne peut paraître crédible s'il ne bénéficie pas de l'aval des IFI, et la classe politique semble parfois davantage inquiète de l'opinion des bailleurs que celle des peuples. Manquant des moyens, infantilisé et subissant les contraintes de l'Etat minimum imposé de l'étranger, l'Etat africain est-il en mesure de servir de cadre à la démocratie ?



Aux élites souvent désintéressées des années 1960 - on pense au rôle joué par la Fédération des étudiants d'Afrique noire en France (FEANF) - se sont substituées des castes corrompues. Multinationales prédatrices, gouvernements étrangers (France, Royaume-Uni, Chine, etc.) et les élites vénales se distribuent les rôles dans une sinistre pièce où le citoyen n'est que spectateur. «Dans mon pays, raconte un militant altermondialiste du Congo-Brazzaville, où ELF a longtemps joué un rôle dominant, n'hésitant pas à soutenir un coup d'Etat, il y a la légitimité démocratique et la légitimité pétrolière. » Si des personnalités progressistes ont été physiquement éliminées avec le soutien des puissances internationales (Patrice Lumumba au Congo ou Thomas Sankara au Burkina Faso), où de nombreux observateurs africains mettent en cause les responsabilités locales. L'économiste ghanéen George Ayittey pointe ainsi du doigt les « hippopotames fainéants qui ont ruiné l'Afrique post-coloniale » et qui trahissent leur peuple (Joseph Mobutu, par exemple, a été le bras armé des services secrets belges dans l'élimination de Lumumba). Il s'insurge contre les « gouvernements vampires » qui pillent les ressources locales mais blâment la colonisation pour les malheurs des populations.



EFFETS PERVERS DE LA BONNE GOUVERNANCE

Facteur aggravant, les politiques prescrites par les IFI ont administré aux pays africains les « médicaments qui tuent » : le libre-échange et la concurrence « libre et non faussée ». Paradoxe fatal ; les libertés conquises coïncident avec la paupérisation. Comme le souligne Francis Akindes, professeur de sociologie à Bouaké (Côte d'Ivoire), « la liberté d'expression cohabite avec l'impunité économique ». Et il ajoute : « C'est toute la question de contradiction inextricable entre la logique d'efficacité des politiques d'ajustement structurel, avec leur lot de privations, et l'équité consbstantielle à la démocratie qui se trouve posée ». Les populations perdent confiance dans les partis et, face aux injustices qui décrédibilisent la démocratie, les militaires se positionnent en justiciers tandis que les la rébellion armée devient une solution logique dans le cas des régimes bloqués, comme au Tchad. En outre, la violence des inégalités sociales crée un terreau favorable à des conflits toujours prêts de dégénérer, comme en RDC.

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