25 Juin 2010
Il y a encore peu de temps, les Forestiers exigeaient le retour de Moussa Dadis Camara pour aller voter. Aujourd’hui, la revendication semble oubliée : cet important bassin d’électeurs cherche son candidat. Et reste sous surveillance.
C’est un calme étrange qui règne en Guinée forestière, la région située dans le sud-est du pays. À quelques jours du premier tour, tous ceux qui faisaient du retour de Dadis une condition indispensable au bon déroulement du scrutin semblent avoir retrouvé la sérénité. Le capitaine Moussa Dadis Camara, originaire de N’Zérékoré, la ville principale de Guinée forestière, à 1 000 km de la capitale, avait incarné l’espoir pour les natifs de sa région : les Forestiers (Guerzés, Tomas, Kissiens) se sont longtemps sentis marginalisés par Conakry, et ce depuis Sékou Touré (ponts coupés pendant la saison des pluies, absence d’électricité…)
Alors, quand un Guerzé a pris le pouvoir, tous ont espéré un renouveau. Et après l’attentat contre Dadis, beaucoup ont crié au complot ethnique et ont vivement critiqué le pouvoir central. Mais si, il y a deux mois, des jeunes de N’Zérékoré assuraient que personne n’irait voter pour un autre, les menaces se sont aujourd’hui envolées.
Un retour à la normale à mettre sur le compte des nombreuses campagnes de sensibilisation, mais pas seulement. La Forêt est l’un des bassins électoraux les plus importants après Conakry (15 % de la population totale) : un enjeu que les candidats ne peuvent pas ignorer. Originaire de la région, l’actuel Premier ministre de la transition, Jean-Marie Doré, est interdit d’élection, mais son soutien comptera.
Retour au calme
Qu’en est-il des Forestiers qui regrettent de ne pas pouvoir voter pour Dadis ? Si personne ne joue la carte du remplaçant officiel, un de ses proches, Papa Koly Kourouma (PKK), pourrait rassembler sur le nom de son ami, avec qui il a passé une grande partie de son enfance. Candidat du Rassemblement pour la défense de la République (RDR), l’ancien ministre de l’Environnement et du Développement bénéficie de relais dans les associations de jeunes de N’Zérékoré. En avril, un représentant de la jeunesse, Sory Haba, lançait cet ultimatum aux autorités de la transition : « Si Dadis ne revient pas, nous n’irons pas voter. » Il menaçait de boycotter le recensement et de recourir à la force si sa demande n’était pas satisfaite. Aujourd’hui, le même Sory assure que tout le monde s’est rangé derrière PKK : « Papa Koly est notre candidat, il nous demande d’aller voter, et je passe le message dans toute la région. »
Les jeunes rebelles se sont donc rendus à l’évidence, et c’est apparemment PKK qui a fait tomber la pression : dès l’annonce de sa candidature, les revendications belliqueuses se sont éteintes. Ce retournement tombe bien : l’agitation des Forestiers commençait à déranger les autorités. Il y a d’abord eu la mutinerie du 31 mars, dans le camp de Kaleah, où les jeunes soutiens de Dadis étaient formés. Mais la tentative de soulèvement a donné l’occasion au président par intérim, Sékouba Konaté, de fermer le camp et d’arrêter plusieurs officiers proches de l’exilé de Ouagadougou.
Peu de temps après, à N’Zérékoré, en avril, des dizaines de jeunes ont voulu manifester lors de la venue de l’ambassadeur de France. Beaucoup, en Forêt, considèrent que c’est la France qui a contraint Dadis à suivre sa convalescence au Burkina Faso ; l’Occident serait une « mafia qui a tout planifié ». Les banderoles et les pancartes n’ont pas eu le temps d’être déployées : la marche a été stoppée par les soldats, et certains manifestants sont restés enfermés plusieurs jours dans le camp militaire de la ville.
Que pense Moussa Dadis Camara de ces revendications ? Ses « lieutenants » soutiennent qu’il les désapprouve, et le gouverneur de la région assure qu’il l’encourage à maintenir le calme. Une proclamation qui ne convainc ni Sékouba Konaté ni Laurent Gbagbo. Lors d’une rencontre à Abidjan, en avril, les deux chefs d’État auraient reconnu la main de Dadis derrière les manœuvres de déstabilisation dans cette région proche de la Côte d’Ivoire.
Les Forestiers sous surveillance
Aujourd’hui, tout paraît oublié, mais les Forestiers restent sous surveillance. Sékouba Konaté a méthodiquement purgé l’armée guinéenne des proches de Dadis. L’état-major a été remanié, son chef destitué, tandis que Claude Pivi, maintenu à un poste clé, ne fait plus parler de lui. Une épuration propice à la frustration. Les anciens dignitaires pourraient se tourner vers les milliers de jeunes qui ont été formés à Kaleah pour la protection de Dadis et qui ont été rendus à la rue. Le président de la transition a conscience de cette menace. Sékouba Konaté a envoyé un important contingent de soldats de la Fossepel, la force de sécurisation du processus électoral. Drôle de paix en Guinée forestière…