24 Juin 2010
Guère à l'aise sur sa chaise, Mishack Tibane martèle du pied le lino de la salle d'attente. Nerveux? "Voilà quatre ans que je veux me faire circoncire pour me protéger, mais j'avais peur", concède cet étudiant de 22 ans. Un peu auparavant, le patient a informé par téléphone sa petite amie qu'il passait enfin à l'acte. Elle a ri car elle n'y croyait plus. Sur le seuil de la clinique Bophelo Pele - "la santé d'abord" en sotho, l'une des langues locales - son oncle patiente aussi. "Mieux vaut que Mishack le fasse ici avec un docteur, avance-t-il. Lors des rites initiatiques traditionnels, c'est plus risqué. Trop de sang coule."
Le volontaire pénètre enfin dans la salle d'opération, dotée d'une dizaine de lits. En quelques minutes, tout sera réglé. Le médecin tranche sous anesthésie locale une partie du prépuce. Un pansement, et le néocirconcis peut rentrer à la maison. Paul, un de ses compagnons de scalpel, avoue son soulagement: "J'étais effrayé à la vue des ciseaux, admet ce jardinier, mais je n'ai rien senti!" Reste pour les deux opérés une ultime épreuve: toute relation sexuelle est proscrite durant les six prochaines semaines.
Depuis janvier 2009, de 15 000 à 16 000 jeunes Sud-Africains ont été circoncis dans la seule township d'Orange Farm, vaste banlieue noire à une trentaine de kilomètres au sud de Johannesburg. Objectif d'ici à la fin de l'année: 20 000 opérés. C'est à un chercheur français que l'on doit cette ambitieuse campagne. "A la fin des années 1990, se souvient Bertran Auvert, une enquête a montré que la circoncision pouvait réduire le taux d'infection par le sida. J'ai voulu en avoir le coeur net."
La gratuité, un argument décisif
De 2003 à 2005, il conduit une étude sur 3 000 hommes dans le bas quartier de Carltonville, fief d'anciens mineurs. Les tests se révèlent concluants. Bertran décide alors de poursuivre l'expérience à plus grande échelle. Cap sur Orange Farm. Logique: selon des recherches épidémiologiques, le procédé réduit de 60% le risque de contracter le VIH. "La face interne du prépuce est perméable au virus, soutient le pionnier. Son ablation supprime une des portes d'entrée du mal." Financé par l'ANRS, une agence française, ce programme d'un coût total de 3,6 millions d'euros tranche avec la stratégie du déni en vigueur sous l'ex-président Thabo Mbeki. Une inertie dévastatrice: on recense 5,6 millions de Sud-Africains séropositifs.
Pour vaincre les réticences, Bertran Auvert mise sur le dialogue. La moitié des 90 employés à la clinique ont pour mission d'informer la population mâle. Leur arsenal? Le porte-à-porte, la distribution de tracts, la diffusion de messages, tant sur la radio locale que via les haut-parleurs de voitures sillonnant Orange Farm. Parmi les arguments décisifs, la gratuité. Ailleurs, la brève intervention coûterait l'équivalent d'une quarantaine d'euros.
En cet après-midi d'avril, Robert et son équipe ont dressé trois tentes sur la pelouse d'un centre communautaire. "Nous visitons aussi les écoles d'initiation traditionnelle, précise-t-il. Histoire de convaincre les enseignants de notre complémentarité." Dès lors, rien n'empêche les jeunes de venir se faire circoncire en toute sécurité dans la clinique, avant de partir en brousse le temps de "devenir un homme". Des dizaines d'adolescents, il est vrai, meurent chaque année des suites d'opérations "artisanales".
En décembre 2009, le roi zoulou Goodwill Zwelithini a invité tous ses sujets de sexe masculin à passer brièvement sur le billard. Appel entendu par le nouveau président, Jacob Zuma. Lequel hasardait encore en 2006 qu'une bonne douche après un rapport sexuel non protégé suffisait à écarter le spectre du sida. Les temps changent : 50 centres de circoncision devraient prochainement voir le jour dans sa province du KwaZulu-Natal.