La Guinée nouvelle
7 Novembre 2010
Les Guinéens ont voté. Dans ce pays où l'organisation du second tour de l'élection présidentielle, otage depuis quatre mois des mauvaises volontés politiques, paraissait incertaine, c'est déjà une victoire. Dans les rues de Conakry, l'enthousiasme pour ce premier scrutin libre en cinquante-deux ans d'indépendance et autant d'années de dictature n'en était que plus grand ce dimanche.
À Matoto, entre les baraques de tôle rouillée de ce quartier populaire de la capitale, on s'est pressé très tôt devant les bureaux de vote. «C'est une occasion de tourner la page sur des années de misère», affirme Aliou Camara, un jeune qui, comme tous ses amis, se dit «footballeur», manière polie et rêveuse de cacher son chômage. Un peu plus loin, Rabiatou Diallo veut croire, dans un grand sourire, que «le nouveau président dirigera bien le pays».
Mais en dépit de cette bonne humeur, nul ne traînait dans les rues ce dimanche. Chacun se méfie. «Le dépouillement, puis la proclamation des résultats sonneront l'heure de vérité. On saura alors si la Guinée a échappé à la violence», explique un officier de l'armée. Les premiers chiffres ne sont pas attendus avant mercredi. Il reste donc trois jours pour tenter de conclure la démocratisation à marche forcée de la Guinée.
Le premier tour, le 27 juin, avait été organisé cinq mois à peine après l'attentat contre le chef de la junte, Moussa Dadis Camara, et l'installation d'un gouvernement provisoire présidé par le général Sékouba Konaté. «C'est très rapide, c'est vrai. Il fallait faire vite pour éviter que ne s'installe un nouveau despote», souligne un diplomate. Ce processus a conduit à une première manche chaotique et contestée dont sont finalement sortis les deux favoris.
La lutte pour le fauteuil présidentiel n'oppose plus que Cellou Dalein Diallo et Alpha Condé. Les deux hommes s'ignorent et ne se connaissent guère. Fort de ses 43,69%, «Cellou», premier ministre pendant dix ans de l'ex-président Lansana Conté, se présente comme un bon gestionnaire. «Alpha», crédité de 18,25% des votes, joue sur son passé d'opposant pugnace et éternel, sur son refus de toute compromission, qui lui valurent une condamnation à mort en 1970 et deux ans de prison entre 1998 et 2000. Mais, pour les Guinéens, cette opposition de style se réduit à une rivalité ethnique entre le Peul Diallo et le Malinké Condé, les deux plus grands groupes du pays. Cet antagonisme tribal a ouvertement empoisonné la campagne.
En septembre, Alpha Condé, lors d'un entretien avec Le Figaro, accusait «la mafia peule » de chercher à «accaparer tous les pouvoirs ». Dans le clan Cellou, on répliquait en rappelant les années noires du malinké Sékou Touré, premier chef d'État guinéen et dictateur sanglant. Entre les militants des deux camps, les rixes se sont enchaînées. Début octobre, l'intoxication par de l'eau non potable de militants d'Alpha lors d'un meeting à Conakry a fait courir des rumeurs d'empoisonnement. En retour, des commerçants peuls furent attaqués à l'autre bout du pays.
Depuis, les discours se sont adoucis. Sous la pression de la communauté internationale, les deux hommes ont accepté de signer, vendredi, une lettre promettant d'éviter la violence et de se serrer la main. Mais la rencontre fut froide, sans un regard. «Si les engagements sont tenus par tous, cela ira», s'est contenté de dire Alpha Condé. «Je sais que mes militants ne feront pas de provocation», a rétorqué Cellou Dalein Diallo. Aucun des deux n'envisage un seul instant la défaite.
«Les tensions sont montées beaucoup trop haut, déplore Suleiman Diallo, directeur de l'hebdomadaire Le Lynx. Les jeunes des deux partis se sont radicalisés, et il sera difficile de les canaliser.» Les militaires, habitués depuis des lustres à contrôler le pouvoir, ont prévenu: ils ne toléreront aucun désordre.