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La Guinée nouvelle

En Libye, tout homme noir est devenu suspect

 

Des Africains ont été pris pour cible par des opposants libyens qui les soupçonnent d’être à la solde du régime

Une cinquantaine de baraques s’alignent près de l’université de Gar Younes de Benghazi, non loin du littoral. Dans une allée boueuse – il a plu trois jours de suite –, un groupe de jeunes hommes africains observe avec attention qui entre et sort du camp où étaient logés à l’origine les ouvriers d’une société de construction turque travaillant en Libye. 

Ils sont maintenant près de 2 000 à occuper les lieux, africains pour la plupart : des Ghanéens, Camerounais, Maliens, Guinéens…

« Nous amenons désormais là tous les Africains qui n’ont nulle part où aller. Il en arrive tous les jours. » Youssef Ojli, un étudiant de 23 ans, a décidé avec quelques autres opposants de s’en occuper. « Certains sont pris pour cible dans la rue, à cause des mercenaires noirs utilisés par Kadhafi. Nous essayons d’assurer leur sécurité. »

Une prime pour chaque personne tuée

Trois jours après le déclenchement de la révolte à Benghazi, les Libyens ont vu arriver des Africains qu’ils soupçonnent être à la solde du régime pour attaquer les manifestants. Les rumeurs, difficilement vérifiables, ont commencé à circuler : ces soldats toucheraient une prime pour chaque personne tuée, ils entreraient dans les maisons pour violer les femmes…

Certains d’entre eux ont été lynchés par la population, d’autres ont été arrêtés et remis aux comités révolutionnaires : quelques-uns sont détenus au palais de justice de Benghazi, le quartier général de l’opposition. 

« Des enquêteurs les interrogent pour savoir si ce sont vraiment des mercenaires ou simplement des migrants que les habitants ont pris par erreur pour des mercenaires », explique Moustafa Gheriani, responsable des relations avec les médias.

Tout homme noir est devenu suspect

Après les atrocités des semaines passées, tout homme noir de peau est en effet devenu suspect. Dans le camp de Gar Younes, beaucoup racontent avoir été expulsés par le propriétaire de leur logement, effrayé d’être lui-même accusé d’héberger des mercenaires.

D’autres sont venus se réfugier après avoir été attaqués. Ibrahim Diaolo, 19 ans, raconte que des hommes armes ont débarqué à 23 heures dans l’appartement qu’il partageait avec trois autres Guinéens. « Ils ont commencé à nous frapper. Je me suis enfui par la fenêtre. Quand je suis revenu le matin, mes trois amis avaient été tués à coups de couteau. »

Il affirme qu’il n’a plus un sou en poche. Les agresseurs lui ont tout volé. « Les entreprises de construction dans lesquelles on travaille ne nous paient qu’une fois tous les trois mois. Du coup, la plupart d’entre nous n’avons pas du tout d’argent. » 

L’ambassade de Guinée lui a simplement dit ne rien pouvoir faire pour lui. « Tous les autres ouvriers, les Philippins, les Pakistanais, les Indiens… ont pu sortir du pays. Il ne reste que nous, les Africains ! », s’exclame-t-il.

Convoi gratuit pour quitter le pays

Les insurgés ont décidé d’emmener gratuitement tous ceux qui veulent quitter le pays jusqu’à la frontière égyptienne. Un premier convoi de 400 personnes est parti lundi 28 février au soir. « Les chauffeurs sont armés. Les migrants africains ont en effet très peur d’être attaqués par la population », explique Youssef Ojli.

Autre casse-tête : beaucoup de ces ouvriers n’ont pas leurs papiers d’identité sur eux. « Quand on t’engage sur un chantier, on prend ton passeport et on te donne une carte de l’entreprise en échange. Il n’est rendu que lorsque tu quittes l’entreprise », explique Osman Bamburi, un Burkinabé de 21 ans, qui travaillait sur un chantier dans la ville côtière de Derna. Il montre son badge d’employé.

« Les gens de l’entreprise ont quitté le pays, le téléphone ne répond plus, affirme Osman. Comment va-t-on pouvoir entrer en Égypte sans papier d’identité ? Et même si les Égyptiens nous laissent passer, que pourra-t-on y faire ? Sans argent, on n’ira nulle part. »

« Beaucoup d’entre eux étaient  dans l’intention d’émigrer vers l’Italie »

Certains Africains présents dans le camp refusent de partir. « Beaucoup d’entre eux étaient en fait en Libye dans l’intention d’émigrer vers l’Italie », assure un médecin égyptien, Ahmed Hamed, venu osculter les occupants du camp deux jours plus tôt. « Nous avons déjà recensé plusieurs cas d’infection de l’appareil respiratoire, peut-être des tuberculoses », ajoute-t-il.

Les Libyens qui s’occupent du camp de Gar Younes craignent maintenant qu’une épidémie ne s’y développe. Une crise supplémentaire dont Benghazi se passerait bien, au moment où beaucoup d’opposants craignent une contre-attaque de Kadhafi sur la ville qui a été le fer de lance de la révolte.
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