11 Mai 2012
Minuscule pays pauvre d'Afrique de l'Ouest (1,5 million d'habitants), périodiquement déstabilisé par des coups d'Etat militaires, la Guinée-Bissau, à peine plus étendue qu'une région moyenne française, est le théâtre d'une lutte d'influence régionale apparue alors que la communauté internationale cherche àsortir le pays de la crise qui le secoue depuis le putsch du 12 avril.
Deux lignes distinctes se sont dessinées lors d'une session du Conseil de sécurité de l'ONU lundi 7 mai consacrée à cette ancienne colonie portugaise. L'une est tracée par la Communauté des Etats d'Afrique de l'Ouest (Cedeao) avec le Sénégal, le Nigeria et le Burkina Faso à la manoeuvre. L'autre est tirée par l'Angola au nom de la Communauté des pays de langue portugaise (CPLP).
RENDRE LE POUVOIR AUX CIVILS
Officiellement, les différentes parties prenantes à la résolution de la crise explorent ensemble les voies du dialogue avec la junte - qualifiée "d'arrogante" par un connaisseur du dossier - pour rendre le pouvoir aux civils.
De concert, elles menacent aussi d'emprunter d'autres pistes plus radicales : des sanctions ciblées contre les putschistes et le déploiement d'une force armée qui pourrait notamment se charger de protéger les institutions d'un pays où, en moins d'un an, le premier ministre a été arrêté abusivement et emprisonné deux fois par des militaires en colère. Mais à ce jour, CPLP et Cedeao ne parviennent pas àtrouver une solution commune.
En attendant, la junte s'accroche à la tête de cet Etat failli. Son coup de force du mois d'avril - le énième de la part d'une armée qui depuis longtemps a perdu le prestige de sa lutte armée pour l'indépendance acquise en 1974 - est intervenu entre les deux tours de l'élection présidentielle.
Ce scrutin organisé après la mort, en janvier, du président Malam Bacai Sanha, aurait probablement débouché sur la victoire du premier ministre Carlos GomesJunior (49 % des voix au premier tour). Celui-ci, favorablement perçu par les organisations internationales, bénéficiait en outre du soutien déterminant de l'Angola sur lequel il comptait s'appuyer pour mener une délicate mais indispensable réforme de l'armée, cet Etat dans l'Etat et source d'instabilité nationale étroitement liée au trafic de drogue en provenance d'Amérique du sud.
INFLUENCE DE LUANDA
"Cette élection aurait renforcé le régime de Carlos Gomes Junior et donc menacé beaucoup d'intérêts politico-militaires", considère Vincent Foucher, analyste principal pour l'Afrique de l'Ouest au sein du centre de réflexion, International Crisis Group (ICG), pour expliquer le coup de force de la junte.
La victoire de M. Gomes aurait aussi consolidé l'influence directe de l'Angola. Puissance pétrolière et lusophone africaine, Luanda a déployé en 2011 "une mission militaire de coopération" robuste en Guinée-Bissau mais agissant dans"une relative opacité", soulignait un rapport d'ICG publié fin janvier.
Ce déploiement décidé unilatéralement a contrarié les intérêts de plusieurs pays de la région. Plus particulièrement ceux du Sénégal, voisin de la Guinée-Bissau, du Nigeria, la puissance régionale, et du Burkina Faso. "Aucun ne veut seretrouver avec l'Angola dans les pattes", note un observateur. "La Côte d'Ivoire, aussi, veut aujourd'hui faire payer à l'Angola son soutien à l'ancien président Gbagbo durant la crise ivoirienne de 2011."
Chacun de ces pays, tous membres de la Cedeao (dont une mission était attendue jeudi à Bissau), veut profiter de la crise pour pousser l'Angola hors de Guinée-Bissau. Ce qui passe par la non-participation de Luanda à une éventuelle mission de la paix. Cet antagonisme bloque l'envoi d'une force internationale, jugé indispensable par les observateurs, et prolonge la crise d'un pays que l'on dit au bord de l'asphyxie financière.