8 Juin 2011
Aussi féroce que méconnue, la guerre des docks fait rage sur les côtes africaines. Elle se livre dans les antichambres et les prétoires, à coups de combines, d'intox, de rapports d'audit et de procès. En l'espèce, la bataille pour la gestion du terminal à conteneurs du Port autonome de Conakry (PAC) mérite de figurer dans un manuel de polémologie maritime, au chapitre des conflits fratricides : elle oppose en Guinée deux groupes français. Résumons.
En 2008, sous la dictature agonisante de Lansana Conté, le consortium Getma International, filiale de NCT Necotrans, devance, à la faveur d'un appel d'offres, Bolloré Africa Logistics. Suspendue l'année suivante, la concession survivra pourtant aux foucades ubuesques du capitaine putschiste Moussa Dadis Camara. Mais pas à l'élection, en novembre 2010, du vieil opposant Alpha Condé.
Le 3 février 2011, celui-ci reçoit Vincent Bolloré et visite en sa compagnie le PAC. Cinq semaines plus tard, il résilie par décret la convention, ordonnant la réquisition manu militari des bureaux de Getma-Necotrans. Et ce, deux jours avant de confier à l'ami breton de Nicolas Sarkozy un jackpot élargi à la totalité des activités portuaires. Argument avancé : la défaillance de Getma, coupable de n'avoir engagé que le dixième des 30 millions d'euros d'investissements promis. Le 16 mars, la société ainsi délogée dépose une plainte devant le procureur de la République de Paris pour "corruption internationale". Ses avocats accusent Bolloré d'avoir financé la campagne électorale de Condé via l'agence de communication Euro RSCG, filiale de l'empire. "Pas d'autre explication, tranche l'opposant et ancien chef de gouvernement Cellou Dalein Diallo, crédité de 43,69 % des suffrages au premier tour, contre 18,25 % au futur élu. Alpha a voulu récompenser un ami : tu m'aides à remonter mon handicap, et le port est à toi."
"Le marché ne fait guère de doute, souligne en écho un analyste guinéen. Au PAC, comme au ministère des Transports, on estime que Getma a été lésé. Reste que les preuves manquent. Ni facture ni reçu..." Autant de soupçons vigoureusement récusés chez Bolloré, où l'on invoque l'expertise éprouvée d'un géant titulaire de 13 concessions sur le continent.
Il n'empêche. "La séquence des événements est pour le moins troublante, concède un ponte du Quai d'Orsay, que l'''autoritarisme'' de Condé inquiète. Mais Paris se garde bien d'intervenir dans ce merdier franco-français." Laissant ce soin à la justice : le 26 mai, le tribunal de Nanterre a sommé sous astreinte Bolloré de produire le texte de la convention. A quand le prochain éperonnage en eaux troubles?