Le fils aîné du président de Guinée équatoriale a accumulé propriétés somptueuses, voitures de
luxe, et objets d'art. Paris et Washington le soupçonnent de détourner les fonds publics.
Maudits magistrats... Dans sa propriété de Malabo, face au golfe de Guinée, Teodoro Nguema Obiang
Mangue, 42 ans, rumine sans doute ses mésaventures judiciaires en déambulant entre les statues de marbre de son patio. Car "Teodorin", alias "Son Excellence" ou "Prince", fils aîné du
président de la Guinée équatoriale, est dans le collimateur de la justice international : en France et aux Etats-Unis, il est soupçonné de piller les richesses de sa patrie, petit émirat
pétrolier et hispanophone, pour financer son train de vie de nabab.
A Los Angeles et à Washington, ses biens sont visés par deux procédures civiles ouvertes en
octobre 2011. Objectif des autorités : mettre la main sur 70 millions de dollars d'actifs, dont 3 millions en objets ayant appartenu à Michael Jackson, "au profit des citoyens du pays auquel ils
ont été soustraits". A Paris, les juges d'instruction Roger Le Loire et René Grouman ont sollicité le feu vert du parquet pour lancer un mandat d'arrêt international contre Obiang junior
pour "blanchiment".
Il jette l'argent par les fenêtres
Teodorin donnerait cher pour renouer avec l'insouciance de sa vie d'avant. Sauter dans son jet
privé pour rallier ses demeures de Paris, de Malibu (Californie), ou du Cap (Afrique du Sud). Faire ses emplettes chez Gucci, Dolce & Gabbana et Versace, ses marques fétiches. Courir les
antiquaires ou les salles des ventes.
Le célibataire aux cheveux gominés a beau être un homme très occupé - il est ministre de l'Agriculture et des Forêts depuis
1998, vice-président du parti présidentiel, patron d'une demi-douzaine de sociétés et délégué adjoint de son pays auprès de l'Unesco -, il ne rate pas une occasion de jeter l'argent par
les fenêtres.
Le jeune Obiang s'est livré très tôt à son passe-temps favori. Après sa scolarité à l'école des
Roches, très chic pensionnat normand, il s'inscrit à l'université Paris-Dauphine. L'étudiant apprécie moins les études que les fêtes. Son cursus à la Pepperdine University de Malibu dure... cinq
mois, en 1991. Le temps de dépenser 50 000 dollars dans les boutiques de Beverly Hills et au Beverly Wilshire, l'hôtel cinq étoiles où il occupe une suite.
Il débarque à la messe en hélicoptère
"Teodorin ? Un jeune arrogant et pourri de fric", tranche un diplomate familier des arcanes
guinéens. Les fidèles réunis dans la cathédrale de Mikomeseng, le 3 août 2011, pour célébrer l'anniversaire de la prise du pouvoir par Obiang père, ne diront pas le contraire. Ce jour-là, la
messe suit son cours depuis une heure et demie quand le fils débarque dans son hélicoptère, noyant l'édifice aux murs ajourés dans un nuage de poussière.
Pourtant, sur le site Internet à sa gloire, Monsieur Fils n'est que modestie et vertu. "La politique est faite d'abord pour
servir ses concitoyens", affirme-t-il. Et se servir au passage. A en croire les enquêteurs, l'intéressé prélève une "taxe révolutionnaire" sur les exportations de bois - la deuxième source de
devises du pays après le pétrole - et touche une dîme sur les contrats signés avec des sociétés étrangères.
Au fil des ans, l'enfant gâté, adulé par sa mère, s'offre de luxueuses propriétés en Afrique du
Sud et en Californie. Celle de Malibu, payée 30 millions de dollars, compte huit cheminées, autant de salles de bains et un golf de quatre trous. En décembre 2004, il jette son dévolu sur un
hôtel particulier de six étages, avenue Foch, à Paris.
Une vingtaine de voitures dont une Rolls et une Lamborghini
Monsieur Fils a un faible pour la capitale française. Début 2005, il séjourne au Crillon, le
palace de la Place de la Concorde, avec papa et maman, avant d'emmener ses géniteurs aux Bahamas, le temps d'une croisière à bord d'un yacht loué pour la modique somme de 800.000 euros. Autres
repères favoris de Teodorin lors de ses fréquentes virées sur les bords de Seine: le Bristol (en décembre 2000, sa présence y est signalée par une Ferrari jaune citron) et le Plaza-Athénée. A la
fin des années 1990, le personnel de l'établissement le surnommait Dodi al-Fayed, du nom du défunt amant de Lady Di, lui aussi héritier à l'abri du besoin. En ce temps-là, le client possédait
déjà une vingtaine de voitures, dont une Rolls-Royce Barclays blanche et une Lamborghini jaune, toutes deux immatriculées en Suisse.
Car l'amateur d'escort girls - selon plusieurs témoins entendus aux Etats-Unis - collectionne les
grosses cylindrées. En novembre 2009, les douanes françaises notent que "26 voitures de luxe et 6 motos", en provenance des Etats-Unis, sont réexpédiées par Teodoro Obiang vers la Guinée
équatoriale. Dans le lot figurent 7 Ferrari, 5 Bentley et 4 Rolls-Royce.
Rien n'est trop beau pour lui. Lorsqu'il fête son anniversaire à l'hôtel du 3-Août de Malabo, en
2009, il fait venir vins fins et pièce montée géante de Paris. Prenant ses quartiers d'automne à Hawaii, la même année, il emporte plusieurs de ses bolides et l'un de ses deux hors-bords Nor-Tech
5000. Mais la vie de nabab héréditaire ne va pas sans certains revers.
Le 7 décembre 2012, peu après l'inauguration de la basilique Notre-Dame-de-l'Immaculée-Conception
de Mongomo, fief du clan Obiang, à l'extrême-est du pays, Teodorin est ainsi giflé en public, dans le hall du plus grand hôtel de la ville, par une jeune femme du cru qu'il importunait. La
rebelle appartenant à l'aristocratie locale, son audacieux camouflet restera impuni...
Dans le collimateur de la justice américaine
Depuis plusieurs années, Teodorin est la cible, aux Etats-Unis, d'enquêtes pour blanchiment et
corruption. Rendu public le 4 février 2010, un rapport du "Permanent Subcommittee on Investigations" du Sénat américain brosse un tableau implacable et détaillé de la kleptocratie
équato-guinéenne. Les auteurs consacrent plus de 100 des 325 pages du document aux opérations financières réalisées par Obiang junior entre 2004 et 2008, par l'entremise de sociétés écrans et
avec le concours d'une cohorte de courtiers, agents immobiliers et avocats. Ils estiment le montant total des transactions suspectes à 100 millions de dollars. Pas mal pour un ministre d'Etat à
l'Agriculture et à la Pêche, dont le traitement mensuel ne dépasse pas 5000 dollars...
De ce côté de l'Atlantique, M. le Ministre, un temps pressenti pour succéder à son président de
père, est dans le collimateur de Tracfin, la cellule française de lutte contre le blanchiment, qui pointe ses dépense, mois après mois : 2,7 millions d'euros d'antiquités en mars 2008 ; 18
millions pour l'acquisition de 109 lots lors de la vente de la collection Yves Saint Laurent en février 2009 ; 820 000 euros pour une montre Piaget en juillet 2011...
"Mon client n'est pas un play-boy très sex and drugs and rock'n roll, proteste son avocat parisien, Me Emmanuel Marsigny. C'est un homme intelligent et travailleur. Il est ministre, mais aussi
entrepreneur et chef d'entreprise, ce qui n'est pas incompatible en Guinée équatoriale, et ses sociétés réalisent des bénéfices. L'origine de sa fortune n'a donc rien de
suspect."
Embarras à l'Elysée
Il est pourtant persona non grata à Paris. L'an dernier, le ministre français de l'Agriculture
Bruno Le Maire invite ses homologues à Paris afin de préparer le G-20 de Cannes à la faveur d'une réunion programmée le 22 juin. Y compris Teodorin, dont le papa préside alors l'Union africaine.
L'intéressé débarque à Paris le 21 dans la soirée, via Moscou et Rome, où il a accompagné son Président de père. Des journalistes, informés de sa venue, pilonnent l'Elysée : est-il judicieux
d'accueillir un personnage à ce point mouillé dans le dossier des biens mal acquis ? Lourd malaise au Château. Un diplomate suggère donc au confident du chef d'Etat équato-guinéen, un architecte
francophile d'origine libanaise, d'inviter celui-ci à ordonner à son fils de zapper l'étape parisienne. Le messager pressenti réagit tellement mal qu'André Parant, le conseiller Afrique de
Nicolas Sarkozy, doit se résoudre à appeler Obiang Senior en pleine nuit, alors que le fiston a déjà posé ses bagages dans le "pied-à-terre" de l'avenue Foch. Sur ordre du père, Teodorin
-furieux- et sa délégation quittent donc en catimini, et avant l'aube, le sol français.
Sur son site officiel, le quadragénaire se présente à ses 700 000 concitoyens, condamnés pour 70
% d'entre eux à survivre avec moins de 2 dollars par jour, comme un "homme de vision, de justice et d'égalité", "acharné au travail" et "humble". "Je n'ai pas peur des critiques, jure-t-il, car
elles sont souvent salutaires pour ne pas dévier du chemin que l'on s'est tracé." Vraiment ?
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