14 Janvier 2010
L'inquiétude monte au sein de l'opposition et de la société civile guinéennes. L'arrivée de Dadis Camara à Ouagadougou (Burkina Faso) mardi suivie de l'amorce de discussions entre le chef de la junte et son successeur intérimaire Sékouba Konaté, créent la confusion. Un éventuel retour de Dadis Camara à Conakry remettrait en effet en cause les minces avancées en vue d'une transition démocratique en Guinée.
Très critiqué pour son implication dans le massacre d'opposants le 28 septembre 2009, Dadis avait été gravement blessé à la tête le 3 décembre, victime d'une tentative d'assassinat par son aide de camp. L'évacuation du capitaine Camara au Maroc, où il a été soigné pendant un mois, semblait alors arranger tout le monde. Son successeur par intérim, le général Sékouba Konaté, promettait même début janvier de partager le pouvoir avec l'opposition lors d'une période de transition devant mener à des élections présidentielle et législatives.
Une promesse qui n'a pas forcément convaincu Bill de Sam, 42 ans, rappeur guinéen installé à Paris. Il a fondé le Collectif guinéen contre le pouvoir militaire (CGCPM) en 2006, deux jours avant
les événements du 28 septembre 2006. Il a écrit une chanson intitulée «Chef menteur» (Manguè Wouléfalè) après le massacre du 28 septembre 2009. Informaticien de profession, doué pour
les nouvelles technologies, multipliant les allers-retours entre Paris et Conakry, il est devenu le porte-parole des Forces vives, un vaste front qui rassemble les partis politiques, les
syndicats et la société civile guinéenne.
Que pensez-vous du départ de Dadis pour Ouagadougou ?
L'éventuel retour de Dadis menace tout le processus entamé par Konaté. Des voix se lèvent, partout dans le monde, pour dire que Dadis peut aller partout, sauf en Guinée. Son retour va réveiller l'aile dure des pro-Dadis, qui veulent continuer à voler, à piller l'Etat. Le général Konaté a entrepris des négociations pour que Dadis reste à Ouagadougou. Tout le monde espère que la CPI (Cour pénale internationale) ira le trouver là où il est.
Que vous inspire la promesse de transition faite par le général Sékouba Konaté ?
Il ne faut pas se réjouir trop vite. Les mêmes promesses ont été faites par Moussa Dadis Camara. Certains partis, au sein des Forces vives, vont envoyer des gens à Conakry pour tâter le terrain. Le général Konaté montre surtout une volonté d'unifier l'armée autour de la transition. Les militaires semblent l'avoir compris : il faut lâcher le pouvoir. Mais il y a encore des troubles, des gens qui manipulent l'armée, des mouvements de soutien à Dadis tels que "Dadis doit rester", qui regroupe tous les cousins de Dadis et l'actuel ministre de la Justice. Ces gens ont intérêt à ce que la situation reste bloquée. Ce n'est pas forcément l'armée, en Guinée, qui veut garder le pouvoir.
D'où vient la violence, jamais vue en Guinée, qui a marqué les massacres et les viols du 28 septembre 2009 ?
La violence était déjà là avant. Nous avons connu des troubles en 2006, en 2007 et en 2008. En fait, le 28 septembre a marqué le passage à une autre forme de violence. Un viol doublé d'un meurtre s'était déjà produit en 2008, dans une mosquée. Une culture d'impunité s'est installée. Des miliciens qui viennent de Guinée forestière, des jeunes qui ont fait la guerre en Sierra Leone sont venus commettre des crimes à Conakry, pour museler l'opposition.
Le général Sékouba Konaté, qui a dit ne pas être intéressé par le pouvoir, n'a-t-il pas meilleure réputation que les autres membres de la junte ?
Sékouba Konaté n'a pas bonne réputation. Il a le dos au mur ! Quand Moussa Dadis Camara est arrivé au pouvoir, il était l'homme de l'ombre. Dans tous ses discours, Dadis a toujours fait référence à Konaté. Sous Dadis, les fonctionnaires prêtaient serment au nom de Dieu, du général Konaté et de Moussa Dadis Camara. Pendant les événements du 28 septembre, Konaté se trouvait à l'intérieur du pays. En tant que membre de la junte, il devait être au courant de tout. Il aurait pu poser des actes pour empêcher le massacre.
Les civils sont-ils prêts à prendre les rênes du pays, après 25 ans de pouvoir militaire ?
Sur le plan intellectuel, aucun militaire n'est qualifié pour gérer le pays. Certains ne peuvent même pas gérer leur propre famille ! Je préfère un civil médiocre à un militaire sans cervelle. On n'a jamais donné leur chance aux civils. Depuis l'indépendance, nous avons eu un révolutionnaire, Sékou Touré, et puis un militaire, Lansana Conté. Les Premiers ministres issus de la société civile n'ont jamais été que des fantoches, des exécutants.
A quelles conditions pourriez-vous envisager un retour en Guinée ?
Une procédure de la Cour pénale internationale, ce serait le début de la liberté d'expression pour nous. L'impunité, c'est ce qui plombe la Guinée.