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Guinée : La détention et l’intimidation d’activistes doivent faire l’objet d’enquêtes

 

 

Le gouverneur de Conakry et la police empiètent sur l’indépendance du système judiciaire

 

(Washington, le 11 novembre 2011) – Le gouvernement guinéen doit enquêter sur le rôle joué par deux hauts responsables dans ce qui apparaît comme la détention illégale et l’intimidation de membres d’une importante organisation de défense des droits humains en Guinée, a déclaré aujourd’hui Human Rights Watch. Le comportement du gouverneur de Conakry, Sékou Resco Camara, et d’un colonel de la police, Amadou Camara, équivaut à la fois à un abus d’autorité et à une tentative flagrante d’empiéter sur l’indépendance du système judiciaire, a ajouté Human Rights Watch.
 
Cinq employés de l’organisation Les Mêmes Droits Pour Tous (MDT), dont son président, Frédéric Foromo Loua, qui est avocat, ont été arrêtés le 3 novembre 2011 et soumis pendant des heures à un interrogatoire policier, apparemment sur ordre de ces deux responsables hauts fonctionnaires. Lors de leur détention, des témoins ont entendu le gouverneur ordonner à la police d’abattre les activistes s’ils tentaient de fuir.
 
Les membres du groupe ont été arrêtés alors qu’ils tentaient d’accompagner deux détenus qui venaient d’être libérés de la prison principale de Conakry. Le Procureur général de Conakry et le Directeur national des prisons avaient tous deux ordonné la libération de ces deux hommes. Depuis, la police a remis en détention ces deux prisonniers, qui restent incarcérés. L’un d’eux se trouvait en détention préventive depuis 2001, l’autre depuis 2005.
 
« Ces actes inacceptables de la part du gouverneur de Conakry et d’un officier de police de haut rang constituent non seulement un abus choquant d’autorité, mais aussi une ingérence flagrante dans le système judiciaire, en principe indépendant » a déclaré Corinne Dufka, chercheuse senior sur l’Afrique de l’Ouest à Human Rights Watch. « Les autorités doivent ouvrir immédiatement une enquête sur le sort de ces activistes des droits humains et faire rendre des comptes à toutes les personnes responsables de leur situation. »
 
Les membres de MDT ont été détenus au siège de la Compagnie Spéciale d’Intervention de la Police (CSIP), qui est commandée par le colonel Camara. Des témoins ont affirmé à Human Rights Watch que ce dernier était opposé à la libération des prisonniers « car les libérer encouragerait la criminalité ». Peu après, le gouverneur Camara, qui n’est pas un parent du colonel, est arrivé au siège de la CSIP et a ordonné l’arrestation des cinq membres de MDT pour leur « soutien à des délinquants ». Le gouverneur a ensuite ordonné à une vingtaine de policiers, dont certains étaient armés, d’escorter les membres de MDT dans leurs bureaux et de leur demander de présenter le certificat les autorisant à faire leur travail.
 
Un témoin a raconté à Human Rights Watch qu’avant de quitter le siège de la CSIP, il a entendu le gouverneur Camara ordonner aux policiers d’abattre les membres de MDT s’ils tentaient de s’échapper de leur bureau. Camara aurait également déclaré: « J’ai entendu parler de cette ONG et c’est le moment d’en finir avec elle. »
 
Après avoir été ramenés au poste de police par les officiers de police, les activistes des droits humains ont été interrogés pendant deux heures. Au bout de près de neuf heures entre les mains de la police, les activistes ont été relâchés mais avec l’ordre de revenir le lendemain matin pour répondre à d’autres questions.
 
Le lendemain, 4 novembre, les défenseurs des droits humains ont été retenus pendant cinq heures supplémentaires. Après une rencontre entre le procureur général et le directeur régional de la sécurité, les membres de MDT ont été libérés sans qu’aucun chef d’accusation ne soit retenu contre eux.
 
MDT travaille depuis 2004 à promouvoir et défendre les droits des Guinéens à qui l’on a dénié les garanties d’une procédure régulière, en fournissant un conseil juridique gratuit aux détenus adultes ou mineurs, en particulier ceux qui sont détenus illégalement ou qui ont de graves problèmes de santé. Ses militants ont apporté une assistance juridique à plus de 2 000 prisonniers maintenus illégalement en détention préventive.
 
Facely Fofana, l’un des deux hommes renvoyés en prison, était détenu depuis 2005 pour son implication présumée dans une affaire de vol à main armée et de meurtre et a été libéré parce que son dossier a été égaré. Mamadou Bilo Barry, le second homme réincarcéré, était accusé de vol à main armée et détenu sans procès depuis 2001. La libération de Bilo Barry a été ordonnée parce qu’il est gravement malade.
 
La police n’a présenté aucun élément pour justifier l’arrestation et la détention des défenseurs des droits humains, qui ne faisaient qu’accompagner Facely Fofana et Bilo Barry après que leur libération eut été ordonnée par des responsables du ministère de la Justice. En outre, le fait que le gouverneur et la police aient contrevenu à un ordre donné par des responsables du ministère de la Justice constitue un manquement au respect de l’état de droit. Enfin, l’actuelle détention sans mandat de Facely Fofana et de Bilo Barry constitue une détention illégale ou arbitraire.
 
La Guinée a longtemps souffert d’une culture de l’impunité, d’une corruption endémique et d’une pauvreté dévastatrice. Les élections de 2010, qui ont porté Alpha Condé au pouvoir, ont été considérées comme une étape déterminante pour un pays qui a enduré une série de dirigeants autoritaires et abusifs. Bien que le président Condé ait pris certaines mesures pour résoudre les graves problèmes de gouvernance et de non-respect des droits humains dont il a hérité, les progrès vers un meilleur respect de l’état de droit sont entravés par un manque de discipline au sein des forces de sécurité et par l’insuffisance du soutien apporté à l’institution judiciaire, secteur traditionnellement négligé.
 
De graves pénuries de personnel judiciaire, un système de classement et d’archivage des dossiers inadéquat, une infrastructure et des ressources insuffisantes, ainsi que la conduite non professionnelle de personnes travaillant dans les secteurs judiciaire et pénitentiaire ont donné lieu à des abus généralisés en matière de détention, notamment des cas de détention préventive prolongée et des conditions carcérales déplorables, a indiqué Human Rights Watch.
 
On estime entre 80 et 90 pour cent la proportion des personnes détenues à la Maison Centrale de Conakry, la plus grande prison de Guinée, qui n’ont ni comparu devant un juge ni été reconnues coupables du délit qui a conduit à leur détention. Beaucoup d’entre eux, comme les deux hommes pour qui MDT avait obtenu des ordres de libération, sont détenues sans procès pendant plus de cinq ans.
 
Le manque d’indépendance par rapport à la branche exécutive et l’intimidation des magistrats par les membres des services de sécurité caractérisent depuis longtemps le système judiciaire guinéen, a ajouté Human Rights Watch. Le ministre de la Justice devrait s’assurer que les ordres signés par Directeur national des prisons et par le Procureur général près de la Cour d’appel et demandant la remise en liberté des deux détenus soient respectés par les autorités du pays.
 
« Le ministre de la Justice devrait intervenir et faire en sorte que les organisations de défense des droits humains puissent travailler librement, comme le prévoient la loi guinéenne et le droit international », a conclu Corinne Dufka. « Ces organisations ne devraient pas faire l’objet de menaces et d’arrestations arbitraires de la part de responsables locaux du gouvernement et des forces de sécurité. » 

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