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Guinée: Tourisme de proximité, dans mon quartier [Sangoyah]

Ce sont les vacances en Guinée. C’est surtout l’hivernage à Conakry. Période pendant laquelle la capitale guinéenne ressemble plus à Londres qu’à une ville du sud du Sahara. Ça flotte comme vache qui pisse, transformant les rigoles des quartiers en de véritables rivières urbaines. La fourniture du courant électrique reste soumise à la célèbre règle du «Tour-Tour». «Conakry électricité, c’est chacun son tour, comme chez le coiffeur». Vous connaissez la chanson. Merci Tiken Jah Fakoly.


Bref, pas l’endroit idéal pour passer les vacances les pieds secs sur du sable fin, se prélassant sous les rayons d’un soleil taquin. Rien à voir par ici, circulez. Les vacances à Conakry c’est surtout pour la famille et… les boites de nuit.

Et puisque c’est le Ramadan et que ces lieux sont momentanément désertés même par Satan, je vous convie à une ballade de proximité pour découvrir mon quartier Sangoyah. Pour ce, chaussez vos «Lammaye Parr» new look, version 2012 des fameuses «Lalla Yara», ces chaussures plastiques devenues une véritable légende dans les villages de Guinée où elles empruntent le nom de «Sögölö Kotthiou» (Diable de gravier) dans certains hameaux de la Région du Fouta. Des «tout terrain» qui se vendent comme de petits pains en ce moment.

Quartier Sangoyah, dans l’immense commune de Matoto.  Subdivisé enSangoyah-marché et Sangoyah-mosquée séparés par la grande route. J’habite  Sangoyah-marché : sept Secteurs pour environ 20.000 âmes. Vingt ans de vie ici et, saperlipopette, je me rends compte je ne connais pas mon quartier d’adolescence! C’est fou ce que l’on peut découvrir chez soi, ce que l’on court chercher tout le temps ailleurs. Faites l’expérience autour de vous, vous m’en direz des nouvelles.

Pour commencer, je vous propose d’inaugurer cette visite à partir du toit de ma maison. Euh…rectificatif, c’est celle de mon oncle hein. Mais puisqu’on est en Afrique de l’Ouest et que ton oncle paternel est ton père, qu’il doit te loger, te nourrir, te vêtir – ce qui ne t’empêche pas de le critiquer– qu’il n’y a pas d’âge pour faire tes valises et quitter chez lui et que ce qui lui appartient, t’appartient (du moins théoriquement), je dis donc que c’est MA maison.

On a la chance d’habiter un duplex assez coquet, sur le toit duquel j’ai une vision panoramique à 360 degrés de Sangoyah. Réel observatoire spatial à partir duquel je mesure les convulsions de ce quartier de la banlieue-est de Conakry à l’urbanisation chaotique. Une forêt de maisons en briques aux couleurs changeantes posée sur un socle en forme de puzzle en reconstitution. Une flore urbaine composée de nombreux manguiers, de quelques goyaviers et de rares cocotiers complètent le tableau de ce paysage de carte postale épuré par les fortes pluies qui lavent Conakry à grande eau.

Descendons de mon observatoire pour emprunter les ruelles de Sangoyah. Pour humer la senteur du  poisson qu’on frit dans de l’huile rouge, celle des beignets et de patate douce découpée en fines lamelles accompagnées d’une sauce aux épices qui titillent les papilles gustatives. Sentons, à l’heure du repas de la rupture du jeûne, l’odeur exquise du Môni (bouillie à base de farine de manioc), celle pavlovienne du tô accompagné de son inséparable sauce veloutée. Pardons de vous mettre l’eau à la bouche en cette période de Ramadan.


Rue Sory Doumbouyah


Des ruelles tantôt bitumées, tantôt crevassées. Bitumées si elles mènent chez le Général Sory Doumbouyah, Chancelier national de l’ordre du mérite ou chez Général Mamadouba Toto Camara, ministre de la Sécurité aux 4×4 rutilants. Les ruelles sont jonchées de nids de poule si elles aboutissent à la modeste concession de Fodé Doukouré Camara, 78 ans, ou de Thierno Saïdou Diallo, la soixantaine. Des notabilités «effacées» du quartier qui me parlent de l’histoire de Sangoyah avec une pointe de nostalgie dans la voix.

Fodé Doukouré Camara qui habite Secteur Barry comme moi, se rappelle avoir mis pied dans ce qui n’était alors qu’une «brousse» par une fin d’hivernage de l’année 1962. Cet ancien tâcheron devenu patriarche a exercé tour à tour comme menuisier, maçon, orfèvre, ferrailleur. «Vieux Doukouré» a certes perdu la vue à cause d’une cataracte non soignée, mais sa mémoire intacte lui permet de se rappeler avec précision que l’un des premiers habitants de Sangoyah fut un certain Alhadj Momo Camara natif de la localité de Manéyah, près de la ville de Kindia. Le fils héritier de ce dernier, Fodé Balancey Camara, était le plus grand propriétaire terrien possédant la moitié de Sangoyah, dont le nom viendrait d’un ancêtre, «Vieux Sango», et du suffixe «Yah», signifiant «chez» en langue vernaculaire Soussou. Sangoyah signifie donc «Chez Sango» ou la «Concession de Sango», située  à Sangoyah-Tâakouye (centre-ville).

Diallo Saïdou, quant à lui, se souvient que dans les années 1970-1980, l’actuel Secteur Condéyah densément peuplé, était un buisson dédié en champ de tir pour l’Armée. Raison pour laquelle il abrite aujourd’hui un Point d’Appui (PA). Cet ancien mécanicien, fin comme un sarment de vigne, occupe sa petite villa enclavée qu’il a construite à la sueur de son front depuis 1982. Année à laquelle le Secteur Barry n’était qu’un vaste verger de manguiers, d’orangers et d’avocatiers, dont le propriétaire n’était autre qu’Ibrahima Barry, dit Barry 3. Une célébrité guinéenne. Ancien Secrétaire d’État aux Finances, Barry 3  originaire de Bantighel (Pita, 1923) est une victime du régime Sékou Touré, pendu le 25 janvier 1971 au pont du 8 novembre de Conakry. Triste sort qu’il partagea avec trois compagnons d’infortune : Baldé Ousmane, Kéita Kara et Magassouba Moriba.

Avant cette funeste date, Barry 3 aimait séjourner à Sangoyah pour visiter et entretenir son jardin. Il y avait construit une magnifique case ronde de trois chambres et salon (voir photo) qu’occupe aujourd’hui un neveu qui connait mal les contours de la tragique histoire de son oncle.


Ancienne case de Barry 3


Une histoire que ne maitrisent pas non  plus les milliers de jeunes gens natifs de Sangoyah dont les arrières-parents ont fondé ce quartier cosmopolite. Une université (Nelson Mandela), une école professionnelle (Nako Diabaté), quelques boites de nuit (Reflet, Le Bourgeois), une savonnerie (Alpha), de nombreuses mosquées, etc. Sangoyah se développe peu à peu et attire de plus en plus d’étrangers séduits par sa desserte permanente en eau de robinet et sa sécurité relative.

Vivement le ramassage plus efficace des ordures, les terrains de jeu, les bibliothèques, les cybercafés et l’éclairage publics pour que Sangoyah soit un joyau.

Vous venez quand nous rendre visite ?

 

ma guinée plurielle

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