28 Avril 2011
Après avoir connu la prison en France en septembre 2003, où il a été arrêté et accusé de fomenter un coup d’Etat en Côte d’Ivoire, Ibrahim Coulibaly, alias IB, a dit avoir compris qu’ «il ne faut laisser à personne le soin de jouer à sa place un rôle majeur ». Allusion directement faite à Guillaume Soro à qui il aurait demandé d’animer la branche politique du MPCI (Mouvement patriotique de Côte d’Ivoire), la rébellion qui a pris souche dans le nord du pays. Selon lui, « Bogota » comme il appelait familièrement Guillaume Soro était tout indiqué pour occuper ce poste, lui qui avait fait « des études universitaires » et qui avait été leader de la fédération estudiantine, FESCI.
Ibrahim Coulibaly est un « intrigueur »
Tapis dans l’ombre il aime tirer sur les ficelles, ordonner un système sans qu’on ne découvre le métronome. Aujourd’hui encore il l’a mis en pratique en étant le chef d’orchestre du fameux « commando invisible », à la différence que cette fois, au terme d’une première phase d’actions, il se montre pour immédiatement chercher à en tirer les bénéfices.
Le 24 décembre 1999 Ibrahim Coulibaly était déjà un des cerveaux du coup d’Etat qui renversa le président Henri Konan Bédié. Ils étaient une bande de sous-officiers contestataires et révoltés qui ont pris les armes contre les autorités politiques aveuglés par leur nouvelle trouvaille « l’ivoirité ». Cette thèse qui se voulait déterminante dans l’expression de l’identité d’un pays est devenue le cauchemar des « gens au sang mêlé ». Les populations du nord du pays, de la grande famille du Mandé (empire du Manding) se sentaient marginalisées et traitées « d’étrangers » dans leur propre pays. IB est de ceux-là, dont le patronyme est autant du Sénégal, de Guinée, du Mali, du Burkina Faso ou du Niger que de Côte d’Ivoire. Pour eux il fallait vite revenir à la Côte d’Ivoire de Félix Houphouët Boigny. Aussi lors du putsch fallait-il trouver un officier, incarnant cette image et qui ne soit pas trop encombrant. « Nous sommes allés chercher le général Robert Guéi et là j’ai vu des officiers peureux », s’amusait Ibrahim Coulibaly.
Mais très vite Robert Guéi a pris de la bouteille et attendait beaucoup de respect dû à son grade. Général tout de même. Il ne voulait pas être sous la coupe de sous-officiers nerveux, fussent-ils grands, costauds et forts comme Ibrahim Coulibaly. Ce dernier, sergent-chef, mesurait environ 2m pour plus de 120kg de muscle, il était aussi judoka ceinture noire. Pour mieux asseoir son pouvoir le général Robert Guéi procèdait à une redistribution des cartes au sein l’ordre militaire et a fait « exploser le groupe des sous-off putschistes ». Le meneur IB est remercié pour ses bons et loyaux services et est nommé attaché militaire auprès de l’ambassade de Côte d’Ivoire au Canada. Un poste, en principe, réservé à un officier supérieur. L’homme se rend compte qu’on veut l’éloigner de tout et très vite organise un coup d’Etat qui échoue, en septembre 2000. Plusieurs de ses compagnons sont tués. Il promet de les venger en traitant le général Guéi « d’ingrat ».
Le rebelle marginalisé par les siens
Ibrahim Coulibaly prend le chemin de l’exile et trouve refuge au Burkina Faso. Il réorganise une prise de pouvoir à Abidjan le 19 septembre 2002. Laurent Gbagbo est président de la République. Le coup échoue mais de nombreuses personnalités sont tuées dont le général Robert Guéi. Les insurgés se replient dans le nord du pays qui passe sous leur contrôle. Chef militaire du Mouvement patriotique de Côte d’Ivoire (MPCI), il perd progressivement le pouvoir, dès 2003, au profit du secrétaire général du mouvement, Guillaume Soro. Ce dernier est sur tous les fronts de négociations. C’est lui qu’on voit. C’est lui le chef. Les deux hommes se brouillent. Guillaume Soro fédère les différentes tendances de la rébellion, MPCI, MPIGO (Mouvement populaire ivoirien du Grand Ouest), et MJP (Mouvement pour la justice et la paix) pour créer les Forces nouvelles. La rébellion contre le pouvoir d’Abidjan est désormais sous le commandement de Guillaume Soro. Ibrahim Coulibaly est marginalisé.
Puis c’est à Paris qu’il entreprend de «récupérer son travail », comme il se plaisait à dire. Il s’agissait du commandement général de la rébellion qui lui avait échappé. Mais entre-temps Abidjan et Paris avaient commencé de faire un pas l’un vers l’autre. Plusieurs accords de retour au calme étaient engagés et la France ne pouvait laisser IB retourner au pays. Il n’était plus un secret pour personne, que l’homme avait l’intention de régler ses comptes avec Guillaume Soro. Appréhendé quelques jours avant son retour au pays, en compagnie de quelques fidèles, le 25 août 2003, dans un grand hôtel parisien, il s’est vu reprocher « l’appartenance à une association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste » par les autorités françaises.
Ecroué, il obtient une libération sous contrôle judiciaire un mois plus tard. Il se fait discret,voyage en Europe et très rapidement rejoint le Bénin. Il reconstitue méthodiquement un groupe de dévoués mais un mandat d’arrêt international lancé en 2009 par la Côte d’Ivoire perturbe ses plans. Le Bénin lié par les conventions internationales ne peut plus lui offrir sa protection. IB disparait et donne des nouvelles de lui quelque part au Ghana. En se rapprochant de la Côte d’Ivoire, il organise des opérations d’infiltration avant d’occuper physiquement et clandestinement « le terrain », en l’occurrence le quartier Abobo.
IB sort de ca cachette et se met en scène lui-même
Les événements évoluent en Côte d’Ivoire. La victoire à l’élection présidentielle est revendiquée par Laurent Gbagbo et Alassane Ouattara. Guillaume Soro est dans le camp d’Alassane Ouattara et de fait, lui apporte l’appui des Forces nouvelles (ex-rebelles). IB et ses hommes harcèlent les Forces de défense et de sécurité pro-Gbagbo. Ils contrôlent des zones pro-Ouattara de la capitale, mais à la chute du régime il ne dépose pas les armes et n'opère pas non plus un ralliement automatique aux Forces républicaines de Côte d'Ivoire (FRCI). Autoproclamé, général de division, il attendait une reconnaissance « officielle » pour le travail accompli, avant de se mettre au service du président Alassane Ouattara. Il voulait avant tout négocier pour qu’on « donne à césar ce qui est à César » disait-il lors d’une récente conférence de presse. Car, sans armes il n’est rien, ses hommes non plus.
Mais l’offre des nouvelles autorités ivoiriennes était une pilule difficile à avaler. Le président Ouattara dont il avait été le garde du corps, lorsque ce dernier était Premier ministre au début des années 90, lui proposait de discuter avec Guillaume Soro, Premier ministre et ministre de la Défense. Il décline l’offre, mais le président met ses menaces en exécution : « Toutes les milices doivent déposer les armes sinon elles y seront contraintes par la force ».
Aujourd’hui c’est l’incompréhension dans le camp des Ouattaristes. Et ceux qui s’expriment parlent d’exécution de quelqu’un dont on voulait se débarrasser. Les autres, les autorités ont exprimé leur regret et le sort malheureux d’homme entêté.