13 Février 2010
En prévision de l’arrivée de la Procureur adjointe de la Cour pénale internationale à Conakry, le futur ex Ministre des Affaires étrangères, Alexandre Cécé Loua a organisé une réunion des membres du gouvernement intéressés par les évènements du 28 septembre 2009. D’après le communiqué du « correspondant diplomatique » tous les participants à cette réunion entendaient faire comprendre à la communauté internationale que la Guinée a la capacité de juger ce dossier.
Pour « démontrer cette capacité, le Ministre de la justice, le Colonel Siba Lohalamou a désigné un collège de trois juges pour s’occuper du dossier.
Doit-on en rire ou pleurer ? Car cette réunion s’apparentait tout simplement à une cellule de crise pour trouver des arguments afin de faire perdurer l’impunité en Guinée.
Les personnes présentes
Parmi elles :
-le Ministre de la Jeunesse, Fodeba Isto Keira. C’est lui le 26 septembre 2009 qui a décidé de fermer le stade afin de garder la pelouse intacte pour le match devant opposer la Guinée au Burkina Faso.
-Le Ministre de la Justice, le Colonel Siba Lohalamou, membre du CNDD -le Ministre Secrétaire général à la présidence, le commandant Kélétigui Faro- plusieurs officiers supérieurs dont le chef d’état major général des armées, le colonel Oumar Sano, Rappelons que la Commission d’enquête des Nations Unies a directement imputé la responsabilité des évènements du 28 septembre à la chaîne de commandement de l’armée guinéenne dont le capitaine Moussa Dadis Camara.
-Le Président de la « commission nationale d’enquête », le Procureur Siriman Kouyaté. Sa commission a conclu qu’il n’y a qu’un seul responsable des évènements du 28 septembre, Toumba Diakité.
-Des représentants de la Cour suprême et de la Cour d’Appel
De l’incapacité de la justice guinéenne à juger des atrocités du 28 septembre
La Guinée ayant ratifié le Statut de Rome le 14 juillet 2003, la Cour pénale internationale peut connaître des évènements du 28 septembre si les crimes commis relèvent de sa compétence. Tel est le cas selon le rapport de la Commission internationale d’enquête des Nations Unies ainsi que celui de Human Right Watch qui considèrent qu’il y a eu crimes contre l’humanité, un des trois crimes que connaît cette juridiction pénale internationale. Cependant la CPI n’a qu’une compétence subsidiaire c'est-à-dire qu’elle n’est saisie qu’en cas de défaillance de la justice nationale. Et suivant l’article 17 au point 2, pour déterminer s’il y a manque de volonté de l’Etat, la Cour considère l’existence les garanties d’un procès équitable reconnues par le droit international. Elle prend en considération la volonté des autorités à soustraire les personnes concernées à leur responsabilité pénale, le retard injustifié dans la traduction en justice, la procédure qui n’est pas menée de manière indépendante ou impartiale.
Au vu de tous ces éléments, il n’y a pas de doute que la justice guinéenne est défaillante et réunit plusieurs critères caractéristiques de l’effondrement du système judiciaire.
Absence d’indépendance de la justice guinéenne
On aura remarqué que la cellule de crise réunissait des magistrats et des militaires. Les deux sont plus ou moins directement impliqués dans les évènements. D’abord les militaires dont la responsabilité individuelle et collective de la chaîne de commandement sont établies.
Ensuite les magistrats qui en cas de saisine de la justice guinéennes peuvent instruire les dossiers à titre du Ministère public (ce qui n’est pas du tout synonyme du Ministère de la Justice) ou de juges. La moitié des membres de la commission nationale d’enquête sont des magistrats. Or à travers leur « enquête » ils ont déjà l’intime conviction qu’il n’y a qu’un coupable, qui de surcroît est en fuite, ce qui manifeste une volonté évidente de soustraire les auteurs à la justice. Sinon c’est incompréhensibles cette grande différence d’appréciation qu’il y a entre cette commission et les deux précédentes évoquées qui ont déduit à la responsabilité de plusieurs officiels de l’armée.
Méconnaissance des règles par les autorités chargées d’appliquer la loi
A l’issue de cette réunion préparatoire à la venue de la Procureur Adjointe de la CPI, nous apprenons que le Ministre de la Justice a décidé de nommer trois juges pour connaître les dossiers du 28 septembre. Sans insister sur cette étrange coïncidence de ne saisir la justice que maintenant, nous allons surtout démontrer la méconnaissance même de la procédure judiciaire par le Ministre de la justice et certains magistrats.
-Le fait que ce soit le Ministre de la Justice qui choisisse les juges est en soit une violation de la séparation des pouvoirs exécutif et judiciaire.
-Ensuite, en vertu l’article 82 du Code de procédure pénal de la Guinée, l’instruction préparatoire est obligatoire en matière de crimes sauf disposition spéciale et conformément à l’article 83 du même code, le juge d’instruction ne peut informer qu’en vertu d’un réquisitoire du Procureur de la République. Or, il n’y a eu aucun réquisitoire du Ministère public. D’après la commission internationale d’enquête de l’ONU, après les évènements du 28 septembre, sur instruction du Ministre de la Justice, le Procureur général près la Cour d’Appel de Conakry avait requis le Tribunal de Grande Instance de Conakry II d’ouvrir une instruction judiciaire contre X pour meurtres, viols et violation d’une interdiction de faire une manifestation. Mais après la création de « la commission nationale d’enquête », les instances judiciaires avaient été dessaisies au profit de cette commission. Par la suite, le Procureur n’a pas engagé de poursuites car il attendait les directives du Ministère de la Justice, ce qui montre encore une fois l’absence d’indépendance de la justice guinéenne.
Ainsi le Ministre de la Justice, qui est un officiel de l’armée et appartenant au CNDD dont plusieurs membres sont directement impliqués comme auteurs des atrocités, a déjà choisi les juges qui doivent connaître de l’affaire, sans avoir attendu le réquisitoire du Procureur.
Une méconnaissance par les Procureurs de leurs rôles
Le Ministère public est représenté par le Parquet, les Procureurs etc. Il a la qualité de partie principale à un procès pénal car c’est lui qui engage l’action publique et cette action, celle qui appartient à la société, a pour principal objet l’application de la loi pénale, la poursuite des infractions pénales. Si nous portons une attention aux membres de la commission nationale nommée par Moussa Dadis Camara, nous notons parmi eux des Procureurs à commencer par le Président de ladite Commission. Lors de la présentation de leur rapport et dans une interview ultérieure il s’est évertué à placer l’opposition organisatrice de la manifestation et les auteurs des atrocités au même niveau de responsabilité. Or dans les procès, le Ministère public est souvent du côté de la partie civile, c'est-à-dire la victime. En l’espèce, il a pris fait et cause pour les bourreaux dont il rejette la responsabilité. Nonobstant le fait que Conakry n’est pas le ressort territorial de Siriman Kouyaté, il y a dans cette commission d’autres magistrats sensés appliquer la loi dont Doura Chérif, premier président de la Cour d’Appel de Conakry. Comment garantir une justice impartiale et équitable quand ceux qui sont en charge de l’appliquer refusent de reconnaître certaines infractions et nient la responsabilité des auteurs ? Pour la commission de l’ONU,
« Indépendamment de la légalité de la manifestation, il ne saurait y avoir de justification en droit pour les moyens et méthodes utilisés et pour la gravité et l’ampleur des actes de violences commis contre les civils par les forces de sécurité guinéennes ce jour là ».
L’absence d’indépendance de la justice guinéenne se traduit aussi par les fréquentes intimidations exercées par l’armée contre les juges, les magistrats et les avocats. Par exemple Le Ministre chargé de la lutte contre la drogue et le grand banditisme, le Commandant Tiégboro a convoqué le juge Doura Chérif, premier président de la Cour d’Appel de Conakry parce que ce dernier a rendu une décision qui n’était pas à sa convenance.
le 19 janvier dernier deux bérets rouges de la garde présidentielle ont fait irruption dans une salle d’audience du Tribunal de Première instance de Dixinn (Conakry II) à la recherche d’un de leur protégé, dont ils ne comprenaient pas la condamnation à six mois de prison ferme pour vol.
Du Déni de justice en Guinée
La Guinée a une longue tradition d’impunité. Sans aller très loin dans le temps, L’Etat n’a jamais engagé des poursuites contre les auteurs des tueries et exactions commises par l’armée en juin 2006 et en janvier et février 2007. Une commission d’enquête avait été difficilement mise en place, mais est finalement restée ineffective.
De même les responsables de la répression brutale des policiers qui a fait des dizaines de morts en mai -juin 2008 n’ont jamais été inquiétés. Un grand nombre d’entres eux sont membre de la junte et du gouvernement. C’est le cas du lieutenant Claude Pivi Coplan, qui est de nouveau cité par la Commission internationale d’enquête et par Human Right Watch comme un des responsables de crime contre l’humanité.
De l’inadéquation du système juridique guinéen à connaître du crime contre l’humanité
Suivant l’article 29 du Statut de Rome les crimes contre l’humanité sont imprescriptibles. Or suivant le Code de Procédure pénal de la Guinée en son article 3, en matière de crime l’action publique se prescrit par dix ans à compter du jour où le crime a été commis. Et suivant l’article 8, une action civile, celle engagée par la victime, ne peut être engagée après l’expiration du délai de prescription de l’action publique.
En conclusion, la justice guinéenne ne peut juger des crimes commis le 28 septembre en raison de sa défaillance. Jusqu’à présent les crimes perpétrés par les forces de l’ordre lors de grèves notamment d’étudiants et ces quatre dernières années n’ont jamais fait l’objet de poursuites pénales et leurs auteurs n’ont jamais été inquiétés.
Il nous appartient tous, organisations des droits de l’Homme, citoyens, de nous mobiliser afin que prenne fin cette culture de l’impunité.
Que les organisateurs de la cellule de crise cogitent bien car Le Procureur vérifie le sérieux des renseignements reçus. Il peut rechercher des renseignements supplémentaires auprès, d’organes de l’Organisation des Nations Unies, d’ONG, ou d’autres sources dignes de foi qu’il juge appropriées.
Et la qualité officielle de chef d’État ou de gouvernement, de membre d’un gouvernement ou d’un parlement, de représentant élu ou d’agent d’un État, n’exonère en aucun cas de la responsabilité pénale.
Hassatou Baldé, Docteur en droit, Paris.