2 Juin 2011
Takana Zion, reggaeman guinéen d’à peine 25 ans, est déjà une vedette en Afrique de l’Ouest. Son dernier opus mériterait de devenir plus populaire dans l’hexagone que le nouveau ministre des sports de son pays, un certain Titi Camara…
Le foot a compté dans ta jeunesse ?
Beaucoup. J’étais un arrière latéral très offensif, au collège je jouais dans un petit club de Conakry, le FC Séquence. On s’entraînait dur, sur la plage, deux fois par jour, le matin très tôt à 6 h et de 16h jusqu’à la tombée de la nuit. Je rêvais de faire carrière, je m’étais procuré le dossier pour postuler au centre de formation du FC Nantes, je l’avais rempli et donné à ma grande sœur qui vit en France pour qu’elle le dépose. Je n’ai jamais eu de réponses. Et puis finalement j’ai tout arrêté pour mettre toute mon énergie dans la musique. J’ai eu de la chance que ça marche, parce c’est comme le foot tu vois, les places sont chères, il faut se battre, travailler constamment... Je peux te sortir les noms de tous les grands footballeurs inconnus de la Guinée, des gars qui ont mis des buts plus beaux que ceux qu’on voit à la télé, les plus beaux buts inconnus du football, man.
Il y a peu de Guinéens finalement qui ont vraiment percé en France... Y a eu Morlaye Soumah...
Ah lui il porte le même nom que moi, je suis un Soumah moi ! C’était un bon joueur Kolo. Le seul problème c’est que c’était un milieu qui s’est retrouvé en défense, donc il jouait très calmement, très intelligemment, mais il prenait des risques parfois, il pouvait s’amuser à dribbler pour se débarrasser d’un attaquant et il perdait la balle. Il ne jouait pas la sécurité...
Kaba Diawara ?
Il n’est pas très technique, il arrive à marquer des buts de temps en temps mais c’est pas un attaquant sur lequel tu vas compter.
Y a Fodé Mansaré à Toulouse...
Il est bien sur son côté, il avance mais il ne lève pas la tête, donc quand il centre ça ne tombe jamais dans les pieds des attaquants, ça va dans les tribunes.
Je vois que tu suis bien...
Le plus doué, c’est de très loin Feindouno mais il fait pas une carrière à la hauteur de son talent... Les joueurs guinéens talentueux, leur problème, c’est qu’ils n’ont pas été longtemps à l’école, you see ? Pascal Feindouno voilà un de ces footballeurs qui a tout, mais il ne se prend pas trop au sérieux, et c’est dommage, il croit que le football c’est une playstation qu’on allume, t’es là et tu joues, tu ries quoi... Il est resté dans le délire guinéen dans ses clubs en France, il se contente du minimum, c’est pas un gars qui va avoir des ambitions, se mettre des grosses pressions. Il est tranquille. Je l’ai rencontré dans un studio en ville, il est dans mon clip pour la chanson que j’ai fait pour le Sily National avant la CAN 2008...
Et ça donnait quoi ?
"Maintenant que vous êtes qualifiés / Prenez la coupe ! / Ecoutez le message du Rastaman / Les vieux, les vieilles et les enfants guinéens vous regardent". Ça n’a pas suffit man. Avant le quart contre la Côte d’Ivoire j’étais sur Eurosport à Paris avec un certain Daniel, un journaliste, on a parlé en duplex du Ghana avec Pascal Feindouno qui ne pouvait pas jouer parce qu’il était suspendu. Ils ont perdu 5-0, j’étais coupé quoi, je ne savais pas quoi faire man... Les joueurs ne sont pas assez confiants, ils peuvent créer de grandes surprises dans les tournois mais on a encore jamais atteint une demi-finale. Pourtant quand ils jouent, le pays ne dort pas, même les vieilles, tout le monde est là, rouge jaune vert, tu vois... J’aimerais bien être entraîneur pour relever ce défi là franchement...
Justement, Titi Camara ministre des sports, il faut en rire ou en pleurer ?
Je pense qu’on doit plus en rire parce que Titi Camara, c’est un grand footballeur, il a fait ses preuves dans le monde (sic), il a fait des grands exploits tu vois, donc je crois qu’avec ses relations en Europe, étant ministre, il pourra amener un certain changement, tout dépend du gouvernement dans lequel il travaille, si on lui facilite la tâche, si le sport est une priorité... Titi au moins il fait pas ça pour l’argent lui, il est déjà riche. Je le connais bien, c’est quelqu’un de très humble, quand je joue en Guinée il est devant, après le show il monte sur scène pour me remercier du concert c’est un grand monsieur Titi Camara, un vrai patriote, il a fait pleurer les Guinéens mon frère...
Le concept du sorcier blanc, ça te parle ?
Moi je n’ai pas de problème avec la couleur, je ne me dis pas lui il est Blanc ou lui il est Noir, si il y a des entraîneurs européens c’est parce qu’ils ont plus d’expérience du très haut niveau, plus de relations pour décrocher des stages, des matchs contre des équipes... Et puis ils ont une certaine neutralité, ils sont au-dessus de la mêlée, la plupart des entraîneurs locaux ils sont corrompus, ils ont de l’attirance pour certains joueurs sans réelles justifications objectives. Mais qui que soit l’entraîneur, si il n’y a pas de moyens mis en oeuvre pour que les joueurs aient les bases mentales et physiques... C’est pour ça aussi que la plupart de ceux qui jouent en équipe nationale jouent en Europe, le championnat en Guinée il n’est pas sponsorisé, il n’est pas cher, il n’y a même plus de rivalités entre les clubs, les gens ne sont plus intéressés…
Dans l’équipe nationale actuelle il y a pas mal de binationaux... T’as pensé quoi de la récente polémique en France sur les quotas ?
A chaque fois qu’un gars de la diaspora revient jouer au pays les gens reconnaissent sa bonne foi, ils sont fiers. La France aussi elle a ses raisons, former des jeunes qui ne joueront pas pour elle... C’est une question qui devrait se régler dés le départ. Ils devraient choisir définitivement à leur majorité, à 18 ans non ? Le fils Zidane de ce que je sais ce n’est toujours pas tranché mais comme il est suivi des deux côtés, il fera son choix sereinement... C’est aux fédérations africaines aussi d’être plus responsables vis à vis de leurs jeunes, qu’ils soient au pays ou de la disapora, en étant en contact, en les suivant attentivement. Sur Kevin Constant, ils ont été bons puisqu’il a choisi la Guinée. Il cartonne en ce moment au Chiero Verone en Italie et intéresse les deux Milan paraît-il.
Et la dernière coupe du monde des Français, ça t’a inspiré quoi ?
Quand on voit dans quelles conditions on les met, ce qu’ils sont payés, et ils osent faire la guerre avec l’entraîneur ! Tu peux pas faire ça en Afrique ! Les gens ils vont brûler la maison de ton papa et de ta maman, tu vas retrouver ton frère et ta soeur morts, you see... Quand Adebayor qualifie le Togo et élimine le Mali pour la coupe du monde, là-bas c’est des milliards de francs CFA de casseries qui ont été faites, ils ont tout saccagé. En Guinée quand les footballeurs vont en coupe d’Afrique et que le gardien prend un but con, ou que les gens trouvent que c’est de la faute de tel défenseur, ils vont agresser les familles ! Attention le football c’est trop trop fort chez nous...
C’est les trente ans de la mort de Bob. Tu savais qu’on avait découvert son cancer suite à des examens sur une blessure mal soignée qu’il s’était fait à un orteil en jouant au foot ?
Ouais, c’est une coïncidence magique non ? Quand Bob joue c’est très esthétique, c’est un art, tout le monde a vu des images et pu apprécier sa conduite de balle, alors la plupart des rastas qui ont eu la foi grâce à lui et qui savent qu’il aurait aimé être footballeur ont envie de jouer eux aussi, moi le premier.
Un autre point commun entre le reggae et le foot, c’est que l’homosexualité y est toujours tabou.
Je ne m’occupe pas de la sexualité des gens. Tu peux sentir dans mes nouvelles productions que ma musique est de plus en plus roots parce que j’ai appris Rastafari et j’ai eu mon éducation spirituelle auprès des anciens, je ne vais pas m’égarer, ils nous ont toujours enseigné la tolérance et l’humilité, c’est à dire être conscient de ce que nous représentons, de ce que nous sommes et des propos que nous tenons. Ce n’est pas dans mon style d’être violent naturellement, j’essaie de donner des vibrations positives. En Jamaïque la tendance pour la nouvelle génération c’est de produire un maximum et ils en font trop, et souvent ce qu’ils pensent, c’est ce que le public attend. Mais moi je ne vais pas faire la chasse aux gays. Bob a dit "I and I n’est pas venu pour combattre la chair et les os, je suis venu combattre le mal spirituel qui existe entre le ciel et la terre", tu vois...