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La Guinée nouvelle

Jean Marie Doré est-il tombé sur la tête ?

 

 

En voulant amplifier ses pouvoirs de premier ministre chef de gouvernement de la Transition, Jean Marie Doré a failli créer un hybride juridique.

 

La « créature » de Jean Marie Doré « l’ordonnance- décret ou décret - ordonnance »

 

Sur un papier à entête Présidence de la République, Secrétariat général du gouvernement avec le cachet de la signature du général d’Armée Sekouba Konaté, Président de la Transition, Président de la République par intérim, Ministre de la Défense nationale, Jean Marie Doré s’apprêtait à faire modifier deux textes par un seul.  Il voulait ainsi réviser les articles 2 de la Constitution et du Code électoral par le même texte.

Un texte hybride qui commence avec le titre Ordonnance….mais se termine à l’article 2 (son texte a omis le mot article et dit le 2) par « le présent décret qui abroge toutes les dispositions antérieures contraires sera publié au Journal Officiel ».

En fin des comptes il est très difficile de savoir si Jean Marie voulait faire une ordonnance ou un décret. C’est l’un ou l’autre car notre système juridique ignore l’hybride de Jean Marie « l’ordonnance - décret ».

 

La folie des grandeurs

 

Ainsi, par un même texte, Jean Marie a voulu modifier deux textes de nature différente, la Constitution et le Code électoral adoptés récemment et dont les modes de révision sont strictement encadrés par la loi. Ce qu’il ne respecte pas en l’espèce. Dans son projet il décrète que « les élections sont organisées et supervisées conjointement par le Ministre de l’Administration du Territoire et des Affaires politiques (MATAP) et la Commission électorale nationale indépendante (CENI) ». Il voulait ainsi changer la disposition de l’article 2 de la Constitution qui prévoit que « les élections sont organisées et supervisées par une commission électorale nationale indépendante » ainsi que l’article 2 du code électoral qui confie à la CENI l’organisation des élections.

Le texte de JMD fait une répartition insolite des tâches entre le MATAP et  la CE NI.

Selon JMD, la CENI sera chargée de:

-l’installation  des bureaux de vote
-la supervision du vote
-la proclamation des résultats
Et le MATAP de :
-l’assistance technique à la CENI en matière d’audit du système informatique afin de s’assurer  de la fiabilité de la gestion du fichier électoral
-le découpage des bureaux de vote
-la sécurisation du scrutin
-l’appui nécessaire pour le transport du matériel électoral (urnes, isoloirs et autres)
-acheminement des PV vers les points de centralisation

En conclusion, JMD organise une inversion des rôles où c’est le MATAP qui est le pivot de l’organisation des élections, qui assure l’essentiel et la CENI ne fait que l’assister. Ainsi aux yeux du PM, le MATAP aura la gestion du fichier électoral, le découpage des bureaux des votes et la charge des PV. Tout un programme, la seule chose qu’il a oubliée d’ajouter aux nouvelles attributions du MATAP c’est la comptabilisation des votes.
En réalité cette opération de substitution du MATAP à la CENI a commencé dès après le premier tour où ce sont 22 membres du MATAP contre seulement 12 de la CENI qui devaient sillonner le pays pour le recrutement et la formation des membres des bureaux de vote et le re-découpage électoral.

Avec ce projet d’ordonnance, le PM s’attribue des compétences qu’il n’a pas. Celui qui est sensé respecter et faire respecter la loi, la viole.

Venant de notre cher pédant JMD qui l’année dernière excusait la furie de Dadis contre le diplomate allemand en faisant un cours de sémantique sur la distinction entre führer et duce, l’erreur est impardonnable.  
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Une ordonnance et encore moins un décret ne peuvent pas modifier une loi organique

 

Le code électoral est une loi organique. Une loi organique est celle qui porte sur l’action et le fonctionnement des institutions et des organes publics. Elle complète les dispositions constitutionnelles. Elle est votée et modifiée à la majorité absolue de 2/3 des membres de l’Assemblée nationale. De surcroît la Cour Constitutionnelle exerce un contrôle a priori sur sa conformité à la Constitution.
Or la Constitution est très explicite, une ordonnance ne peut pas modifier une loi organique (art 82). Jean Marie doit également comprendre que l’ordonnance est une habilitation qui est donnée par le Parlement au Président de la République, pas au Premier Ministre, pour prendre une mesure dans le domaine de la loi.

Donc Jean Marie Doré n’est pas habilité à prendre une ordonnance. Et en aucun cas une ordonnance ne peut modifier le code électoral.
Puis au cas où il serait tenté de suivre ceux qui veulent lui suggérer un décret d’application, il doit avoir à l’esprit les articles 72 et 74 de la Constitution qui délimitent les domaines de la loi et règlementaire.

 

-Une violation du mode de révision de la Constitution

 

Une ordonnance et encore moins un décret ne peuvent pas non plus modifier la Constitution. Il y a deux modes de révision de la Constitution. La révision par l’Assemblée nationale par un vote à la majorité de 2/3 ou bien la révision par référendum.
Dans son acharnement à s’attribuer les prérogatives de la CENI, le chef du gouvernement n’a pas pensé au titre XII de la Constitution consacrant la CENI comme une institution républicaine. La CENI est chargée « de l’établissement et la mise à jour du fichier électoral, de l’organisation du déroulement et de la supervision des opérations de vote. Elle proclame les résultats ». (art 132). Si la révision de Jean Marie était passée, il y aurait eu une confusion avec l’article 132 de la Constitution surtout sur la gestion du fichier électoral.

En projetant de réviser la Constitution et le Code électoral dans ces conditions le PM viole l’esprit de la disposition qui fait de lui le responsable de la promotion du dialogue social et de l’application des accords avec les partenaires sociaux et les partis politiques (art 58 de la Constitution).

Curieusement, pendant que Jean Marie Doré tente de délester la CENI de ses compétences, un membre et le Président de cette institution sont poursuivis devant une juridiction sans que ne fut levée leur immunité qui veut que les membres de la CENI ne soient pas passibles de poursuite sauf en cas de flagrant délit et après l’accord des membres de la CENI. En réalité cette poursuite judiciaire ne concerne qu’un membre car Ben Sekou Sylla s’est provisoirement retiré et a transféré sa charge de Président à un autre membre.
 
Pour ceux qui seraient tentés de modifier unilatéralement la CENI, ils doivent savoir que conformément à la Constitution « c’est une loi organique qui détermine la composition, l’organisation et le fonctionnement de la Commission ». Eh bien, là non plus l’ordonnance et le décret ne passeront pas

Si les acteurs guinéens sont incapables d’organiser le second tour, il y a toujours l’option de confier le scrutin à l’ONU.

C’est tout de même dommage que le CNT n’ait jamais exercé un contrôle de l’action du gouvernement comme le lui autorise la loi. Il pourrait demander des explications au PM et à l’équipe qui a concocté cette aberration juridique. D’autant que le gouvernement n’a jamais été interrogé sur les conclusions de contrats miniers aux enjeux économiques énormes mettant en jeu des milliards de dollars qu’il a conclus avec des sociétés comme Hyperdynamics , la joint venture entre Vale et la BSGR et celle de Rio Tinto et Chinalco etc. L’argent est le nerf de la guerre. Laisser le gouvernement gérer seul de telles sommes sans exercer de contrôle sur lui contribue à lui donner la grosse tête. Et comme l’appétit vient en mangeant, JMD est gloutonnement vorace. Par conséquent il est prêt à tout pour se cramponner à son juteux poste. Toute personne qui a du pouvoir sans contrôle est tentée d’en abuser.

 

Dr Hassatou BALDE

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