27 Août 2010
En proposant une réforme constitutionnel pour dessaisir la Ceni de sa mainmise sur le processus électoral, le Premier ministre de transition a visiblement dépassé les bornes. Mais sa récente reculade ne signifie pas qu’il a complètement renoncé à ses projets.
« Un soir de début août 2010, alors qu’il me recevait à son domicile, Jean-Marie Doré m’a annoncé sa volonté de donner en ma faveur une consigne de vote dans son fief de la Région forestière. Au même moment, j’apprenais qu’en échange d’un poste de Premier ministre, le même Doré s’était engagé à faire gagner mon rival Alpha Condé. »
Cette confidence de Cellou Dalein Diallo, l’un des deux candidats au second tour de l’élection présidentielle guinéenne du 19 septembre prochain, résume peut-être à elle seule toute l’ambiguïté de Jean-Marie Doré, le chef du gouvernement de transition censé conduire la Guinée à des élections transparentes.
Cellou Dalein Diallo sort de sa réserve
Vieux crocodile du marigot politique guinéen, le locataire de la Primature n’a jamais perdu le nord. Au cours de la dictature d’Ahmed Sékou Touré (de 1958 à 1984), il est l’un des rares opposants
en exil qui peut effectuer des déplacements à Conakry et rencontrer le despote. Puis, sous Lansana Conté (de 1984 à 2008), il reste dans l’opposition mais réussit à demeurer proche des principaux
collaborateurs du chef de l’État.
Nommé à la tête du gouvernement de transition le 21 janvier 2010, il multiplie les manœuvres pour repousser le second tour de la présidentielle synonyme de fin de son bail à la Primature. Après des décennies d’une interminable traversée du désert dans l’opposition, ce Guerzé né en juin 1939 à Bossou, un bourg de l’actuelle préfecture de Lola, entend faire durer le plaisir d’être aux affaires.
Sa dernière trouvaille ? Une proposition de réforme de la Constitution et du Code électoral qui aurait de facto repoussé l’élection. Trop cousue de fils blancs, la manœuvre a fait sortir Cellou Dalein Diallo de sa réserve naturelle. Le 22 août, il est allé se plaindre auprès médiateur dans la crise guinéenne, le président burkinabè Blaise Compaoré : « Doré a un deal avec Condé. Il veut modifier la Constitution, dessaisir la Commission électorale nationale indépendante (Ceni) de l’organisation du scrutin au profit du ministère de l’Administration du territoire, contrôler ainsi le processus électoral et faire gagner frauduleusement mon adversaire en échange de son maintien à la primature », a-t-il expliqué.
Décisions lourdes de conséquences
Face à la fronde de tous les acteurs du processus, à l’exception notable d’Alpha Condé, et devant la vive polémique que sa proposition a suscitée dans les médias guinéens, le très rusé chef du gouvernement a
rapidement fait machine arrière. Le 23 août, il transforme son projet de réforme constitutionnelle en un décret d’application de l’article 2 du Code électoral censé « définir les modalités de
l’appui technique du ministère de l’Administration du territoire à la Ceni ». Une sorte de « remake » superflu du protocole d’accord du 15 janvier qui a jusqu’ici bien régi les rapports entre les
deux structures.
Si Jean-Marie Doré a reculé suite à la levée de boucliers, il reste étroitement surveillé, soupçonné par ses adversaires politiques de vouloir revenir à la charge à tout moment pour déstabiliser le processus électoral.
Visiblement plus préoccupé à assurer sa survie politique qu’à gérer le pays, le chef du gouvernement n’avait pas tenu de conseil des ministres depuis le 24 juin. Et ne l’a convoqué le 24 août que pour débattre de son projet de décret.
À la tête d’une simple équipe de transition, il s’empresse pourtant de prendre des décisions engageant l'avenir du pays : cession du tiers de l’offshore guinéen à Hyperdynamics le 25 mars ; signature, le 15 avril, d’une convention pour évacuer le minerai de fer de Simandou par le Liberia ; paraphe d’un accord portant fabrication de cartes d’identité biométriques avec une société malaisienne… Bien à l’étroit dans le contenu et la durée de son mandat, Jean-Marie Doré risque de s’attirer des critiques bien après la fin de sa gestion.
Jeune Afrique