27 Juin 2010
Pour la première fois depuis 1958, les Guinéens sont appelés à voter librement ce dimanche pour désigner leur président. Beaucoup ont déjà une idée bien arrêtée des premières décisions que le nouveau dirigeant devra prendre. Reportage.
L’heureux élu qui remportera la présidentielle guinéenne n'aura guère le temps de savourer sa victoire. Après 52 ans de pouvoir autoritaire, les Guinéens placent de grands espoirs dans la première élection démocratique de l’histoire de leur pays et attendent beaucoup de leur futur président. Et s’il manque à ses obligations, ils ne se priveront pas de le lui faire savoir.
L’amélioration rapide des conditions de vie fait partie des priorités absolues fixées par la population pour son prochain dirigeant. "L’eau et l’électricité, c’est ça qui manque au pays. À Conakry, quand il y a du courant dans un quartier, un autre n’en a pas. Avec l’eau potable, c’est la même chose. Il faut pourtant qu’elle arrive chez tout le monde !" lancent en chœur Diallo, Bah et Oumar, trois jeunes assis devant l’étalage d’un vendeur de vêtements du marché Niger dans le centre de Conakry, soumis quotidiennement à des délestages intempestifs.
Dans le reste du pays, la situation est encore plus précaire. À l’exception des habitants
des quelques régions qui bénéficient chaque jour de cinq heures d’électricité grâce à la proximité de barrages, la population a pris l’habitude de vivre dans le noir et sans eau à domicile. "À Conakry même, des enfants de 10 ans nés en ville n’ont jamais vu un robinet", résume Aziz Diop, secrétaire exécutif du Conseil national de la société civile (CNSOC) guinéenne, instance de coordination des associations et des ONG du pays.
"Le candidat que nous allons élire, ce ne sera pas pour qu’il s’en aille voyager"
Le lancement d’une politique de grands travaux permettrait d'offrir davantage d’eau et de courant électrique. Mais à certains seulement. Le chômage prive, en effet, de nombreux Guinéens de tout revenu. Sur l’esplanade du stade du 28-Septembre, des centaines de jeunes font la queue devant un centre de recrutement de la gendarmerie. Quelques-uns n’ont pas hésité à dormir sur place, trempés jusqu’aux os en ce début "d’hivernage", la saison des pluies, pour être sûrs de décrocher le sésame qu’ils sont venus chercher.
"Il n’y a pas de boulot en Guinée. La jeunesse souffre. Je suis sorti de l’université en 2007 avec un diplôme en biochimie, mais je n’ai rien trouvé depuis. Dans la gendarmerie, au moins, je pourrai satisfaire mes besoins et fonder une famille, explique Jean-Marie, qui prend son mal en patience dans la file. Le candidat que nous allons élire, ce ne sera pas pour qu’il s’en aille voyager. Qu’il soit peul, forestier ou soussou, il faudra qu’il fasse quelque chose pour la jeunesse de son pays."
S’il parvient à se faire embaucher, Jean-Marie ne touchera pas le jackpot. Loin de là. "Le salaire des fonctionnaires oscille entre 300 000 et 800 000 francs guinéens (42 et 112 euros). Par comparaison, le prix d’un sac de riz de 50 kg coûte aujourd’hui 220 000 FG ! reprend Aziz Diop. Dans la fonction publique, les plus aisés peuvent couvrir leurs frais pendant les 15 premiers jours du mois seulement..." Or, la majorité des salariés guinéens sont aujourd’hui payés par l’administration, ajoute-t-il encore, ce qui complique davantage l’endiguement de la pauvreté.
Au marché Niger, Oumar, Bah et Diallo ont bien une solution pour sortir le pays de la misère dans laquelle il vit depuis 1958 : "Davantage de justice". Une aspiration à une meilleure gestion du bien public que les experts appellent "gouvernance", en langage technocratique, et que l’on nomme lutte contre la "culture de la fatalité" en Guinée, où la sagesse populaire veut que "Dieu donne le pouvoir et le reprenne dans le pays".