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La Guinée nouvelle

La vie artificielle est-elle pour demain ?

La fabrication d'une bactérie dont le génome a été produit et assemblé par l'homme ouvre une ère nouvelle.  

 



 

 

Les scientifiques ont-ils ouvert une boîte de Pandore? La mise au point d'une bactérie dotée d'un génome intégralement fabriqué par l'homme marque en tout cas un nouveau tournant en biologie (Science, 21 mai 2010). «C'est une révolution qui va avoir d'importantes retombées sur le plan cognitif et industriel», assure Pierre Tambourin, directeur de Genopole à Évry. Il n'est pas le seul à faire ce pronostic et on devrait entendre parler de la biologie synthétique dans les prochaines années. Ses applications semblent prometteuses.

La plupart des biologistes pensaient que l'on ne parviendrait pas à produire une vie artificielle avant une dizaine d'années. L'équipe de l'Américain Craig Venter, scientifique hors norme et bouillant chef d'entreprise, a encore une fois bluffé tout le monde. «Il a franchi le mur du son. D'un seul coup, il est tout seul», souligne Philippe Marlière, un des pionniers de la biologie synthétique, une technologie protéiforme que les organismes de recherche français n'ont même pas encore intégré dans leurs structures. Craig Venter a toujours aimé bousculer les obstacles. À la fin des années 1990, il est sorti du bois en décidant de séquencer le génome humain tout seul dans son coin, de le faire plus vite que le consortium public international et de vendre ses résultats aux firmes pharmaceutiques.

 

Nombre d'observateurs ont été surpris de voir que cette «importante avancée philosophique dans l'histoire de nos espèces», selon les mots de Craig Venter lui-même, n'a suscité aucun scandale. Estimant que «ces recherches poussent l'ingénierie génétique à un point extrême», plusieurs ONG, comme les Amis de la Terre, ont demandé un moratoire jusqu'à ce que des protocoles de contrôle soient mis en place. Mais, la semaine dernière, Craig Venter a été auditionné sans problème par la commission de l'énergie et du commerce du Congrès américain. Se défendant de vouloir jouer à Dieu, il a expliqué qu'il «n'avai(t) pas créé la vie ex nihilo».

 

 

Séquencer l'océan 


«Tout le monde se demandait comment l'Église allait réagir, confie Philippe Marlière. J'ai été très impressionné par les commentaires du Vatican insistant sur le fait que les avancées techniques sont bénéfiques aux hommes, à condition que ces derniers restent modestes.» En effet, l'Église salue la «prouesse scientifique», mais estime qu'«on ne peut parler de création», car «seul Dieu est créateur et l'homme, lui, fabrique», comme le rapporte l'hebdomadaire chrétien La Vie.

C'est exactement ce que Craig Venter et son équipe ont fait cette fois-ci. Ils se sont contentés de recopier ce qui existe dans la nature. Ils voulaient avant tout montrer que fabriquer un génome viable de A à Z est possible. Pour mener à bien sa démonstration, le groupe de Venter a commandé les séquences génétiques d'une minuscule bactérie (Mycoplasma mycoides) à la firme américaine Blue Heron, un des leaders de l'industrie de l'ADN. Ils sont ensuite parvenus à assembler toutes les séquences en les mettant à l'intérieur d'une levure en plusieurs étapes successives (voir infographie). Pour finir, ils ont introduit ce génome reconstitué dans une bactérie dont ils avaient ôté l'ADN. La bactérie s'étant reproduite, le tour était joué.

«C'est effectivement une prouesse, un vrai tournant, estime Jean Weissenbach, l'un des pionniers français du séquençage du génome, actuellement directeur du Genoscope. Mais, pour l'instant, si on sait séquencer un génome, si maintenant on sait le reproduire de manière viable, on ne sait pas vraiment le lire. On est loin de tout maîtriser. Et si on le modifie, on ne peut pas vraiment prévoir le résultat.»

Craig Venter ne devrait pas tarder, selon Philippe Marlière, à annoncer la fabrication d'une bactérie dotée d'un génome synthétique composé de plusieurs millions de bases. Cette nouvelle étape est nécessaire pour mettre au point des bactéries capables de travailler pour l'homme à l'échelle industrielle. Leurs génomes seront alors entièrement bricolés. Certains évoquent même la possibilité de produire un jour de nouveaux génomes constitués avec d'autres bases que celles qui composent aujourd'hui ceux du monde vivant, des «xénosomes» selon l'expression de Philippe Marlière. Les gènes fonctionnels potentiellement intéressants sont légion dans la nature, et les industriels savent les séquencer sans problème.

Pour les trouver, la biologie synthétique peut profiter de la mise au point de nouveaux appareils de séquençage à luminescence. Capables de lire plus de 500.000 séquences génétiques en dix heures, ils permettent aujourd'hui de faire un inventaire des séquences bactériennes présentes dans les écosystèmes. La plupart de ces micro-organismes sont inconnus, car on ne sait pas les cultiver en laboratoire. Peu importe, on sait repérer leurs gènes et identifier leurs fonctions. C'est d'ailleurs ce que fait Craig Venter lors de ses vacances sur son yacht, dans les Caraïbes, où, selon l'une de ses expressions favorites, il «séquence l'océan».

L'industrialisation de l'ADN a permis de diminuer les coûts de manière considérable en l'espace de dix ans. Il faut désormais compter 250 euros pour la fabrication d'un gène livré en dix jours. C'est tellement peu cher que des petits groupes de passionnés rêvent de tâter à leur tour à la fabrication de la vie artificielle, un peu à l'image des premiers hackers informatiques, comme Bill Gates ou Steve Jobs. Un parallèle contesté par Philippe Marlière. L'ADN ne correspond qu'à 1% des constituants d'une bactérie. Pour qu'elle soit vraiment artificielle, il faudrait aussi pouvoir intervenir sur les 99% qui restent, et qui sont aujourd'hui encore un grand mystère, ce qu'on appelle l'épigénétique.

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