21 Août 2012
En Guinée, la prorogation de la transition démocratique met en difficultés le Conseil National de Transition (CNT). Comme son nom l’indique, il est l’organe de transition investi du pouvoir législatif. Selon l’article 157 de la constitution « le Conseil National de la Transition assumera toutes les fonctions législatives définies par la présente Constitution jusqu’à l’installation de l’Assemblée Nationale ». Cela veut dire que le CNT doit rester en fonction pendant tout le temps qu’il faudra pour organiser les législatives. À contrario, l’article 159 indique que cette transition est limitée dans le temps. Selon l’article 159 : « Il sera procédé aux élections législatives à l’issue d’une période transitoire qui n’excèdera pas six (6) mois à compter de l’adoption de la présente Constitution ». Cela signifie que le mandat du CNT est fixé pour une période de 6 mois au maximum sans possibilité de dépasser.
Cependant, à la lecture de ces 2 articles (157 et
159) de la constitution, il apparaît une nette contradiction entre eux. Cette contradiction est née du fait que l’article 157 dit que le CNT reste en fonction jusqu’à l’installation d’une
nouvelle Assemblée Nationale ; alors que l’article 159 dit qu’il ne reste en fonction que pour une période de 6 mois. Ici deux hypothèses se posent dont l’une conduit inévitablement à un risque
de blocage :
En effet, si les élections législatives sont
organisées dans le délai de 6 mois, dans ce cas, aucun problème ne se poserait (il y a complémentarité entre ces deux articles) ; mais si au contraire, les législatives ne sont pas organisées
dans le délai de 6 mois il y a problème, dans la mesure où, il y a contrariété réciproque entre deux articles d’un même texte que le constituant n’avait pas prévu.
C’est exactement cette dernière hypothèse qui se
produit actuellement en Guinée ! En effet, voilà bientôt deux ans que la Guinée tarde à organiser ses élections législatives afin de remplacer le CNT et sortir de la transition. Pire, ce dernier,
a non seulement dépassé son mandat de 6 mois prévu par la constitution, mais surtout, il n’arrive pas à adopter les 20 autres lois organiques prévues par la constitution pour parachever la
transition démocratique. Cette situation de carence et/ou vide juridique divise les acteurs politiques.
L’intérêt de cet article est de montrer cette
carence de la loi constitutionnelle qui malheureusement n’est pas la seule dans la constitution guinéenne. Cette pathologie juridique pose même le problème de qualification juridique, car il
s’agit deux articles de même nature qui se contredisent. Dans ce cas, est-il possible de parler de l’inconstitutionnalité de la loi ? De notre point de vue, la réponse est négative. En effet, est
qualifié d’inconstitutionnelle lorsqu’une loi législative viole la constitution. Or, en l’espèce, ce n’est pas une loi législative qui vient contredire la constitution, mais plutôt deux articles
(157 et 159) d’une même constitution qui se bousculent. De ce fait, nous sommes en présence d’une question juridique, celle de savoir, si, à l’expiration du mandat constitutionnel de 6 mois, le
CNT doit être dissout, même si les législatives ne sont pas organisées (II) ou bien le CNT doit rester, quoi qu’il arrive, jusqu’à l’installation d’une nouvelle Assemblée Nationale, même après
l’expiration de son mandat de 6 mois (I) ?
I- Le maintien légal du CNT : Article 157
Selon l’article 157 de la constitution, le CNT
reste en fonction jusqu’à l’installation d’une nouvelle Assemblée Nationale. En d’autres termes, le CNT bénéficie d’un mandat indéterminé c’est-à-dire non limité dans le temps. La durée de ce
dernier est tributaire de l’installation d’une nouvelle Assemblée Nationale. Ainsi, tant que des élections législatives ne sont pas organisées, le CNT ne peut être dissout, il se maintient en
fonction, car, il est considéré conforme à l’article 157, donc légal. Selon l’esprit du constituant exprimé dans la philosophie de l’article 157, dans un Etat de droit, il n’y a pas de place à un
vide juridique c’est-à-dire entre la fin du mandat de CNT et le début du mandat de l’Assemblée Nationale, pas de vide institutionnel. Cette idée est étayée par le principe de continuité de l’État
(A) et l’expérience guinéenne (B).
A- Le principe de la
continuité de l’Etat et ses services publics :
D’une manière générale, l’Etat de droit se
caractérise par le principe de la continuité de l’Etat et ses services publics. C’est un principe fondamental du droit public, qui inspire tant le droit constitutionnel français que le droit
administratif de manière générale. Selon le Conseil Constitutionnel français ce principe est placé au bloc de constitutionnalité des lois depuis la décision du 25 juillet 1979. Ce principe a été
complété par la décision du Conseil d’État du 13 juin 1980 qui l’érige au rang des principes généraux du droit.
C’est pourquoi, afin d’éviter de créer une
situation de vide juridique contraire à ce principe sis-visé, cet article 157 de la constitution prévoit le maintien en fonction du CNT. Il serait plus judicieux de proroger le mandat du CNT pour
garder la continuité de l’Etat que de le dissoudre au risque de déstabiliser le pays. N’oublions pas que la Guinée ne peut être confondue à la Belgique, où pendant dix huit mois, une crise
gouvernementale n’a pu déstabiliser les institutions politiques du pays. En Guinée, on imagine mal le pays sans Assemblée Nationale, sans Gouvernement, sans Président de la République même
pendant 24 heures.
B- En Guinée, l’exception
devient le principe :
Depuis longtemps en Guinée, l’expérience montre que
la fin du mandat des députés demeure un problème récurent. A titre illustratif, pendant la deuxième République, aucun mandat des députés ne s’est terminé à la date prévue malgré la durée de la
législature prévue par l’article 47 de la Loi Fondamentale de 1990. C’est pourquoi, nous pourrons affirmer sans risque de se tromper que l’article 47 n’a jamais été appliqué à juste titre. Dans
ces conditions, la question de la prorogation du mandat du CNT est un non événement en Guinée. Car, aux années passées, à deux reprises, cette usurpation de pouvoirs législatifs est intervenue :
d’une part pendant la 1ère législature (1995-2002) et d’autre part pendant la 2ème législature (2002-2008). Donc le non respect du mandat du CNT après l’expiration de la durée de 6 mois n’est
autre qu’une réédition de la prorogation du mandat de l’ancienne Assemblée Nationale de la 2ème Répub lique. Alors les membres du CNT ne font qu’emboîter le pas à ses prédécesseurs de l’Assemblée
Nationale. Cependant, cette pratique exceptionnelle et antidémocratique de l’ancien régime ne doit en aucun cas être érigée en principe démocratique pour la 3ème République. D’où la question de
savoir s’il faut ou non dissoudre le CNT après l’expiration de son mandat de 6 mois ?
II- La dissolution légitime du CNT : Article 159
L’expiration du mandat de CNT soulève la question
de son illégalité (A) et de son illégitimité (B).
A- L’illégalité du CNT
après la période de 6 mois :
Selon l’article 159 de la constitution, le mandat
du CNT n’excèdera pas 6 mois à compter de l’adoption de la présente constitution. Donc à l’expiration de ce délai, le CNT est censé disparaître pour laisser place à une Assemblée Nationale élue.
Aucune circonstance exceptionnelle ne peut être invoquée pour proroger le mandat du CNT, en tout cas, le constituant ne l’a pas prévu. C’est pourquoi, le maintien en fonction du CNT sans qu’une
circonstance exceptionnelle le justifie, viole l’article 159 de la constitution.
Par conséquent, comme l’esprit et la lettre de la
constitution exigent la tenue des élections législatives à bonne date, nulle part, il n’est prévu dans notre constitution l’autorité en charge de l’intérim en cas de prorogation de mandat d’un
Député. C’est donc a bon droit que le constituant n’a pas prévu des suppléants qui vont assurer l’intérim des Députés en cas de prorogation de mandat. Sur cette question de dissolution du CNT
voir les remarquables écrits de Mrs Ibrahima S. Makanera et Sadio Barry.
B- L’illégitimité du CNT
:
Selon l’article 158 : « Les lois nécessaires à la
mise en place des institutions et au fonctionnement des pouvoirs publics sont adoptées par le Conseil National de la Transition et promulguées par le Président de la République ». Ces lois
nécessaires à la mise en place des institutions font l’objet de renvoi à des lois organiques qui sont prévues par les articles 32, 44, 63, 64, 96, 106, 110, 112, 114, 115, 116, 121, 124, 126,
131, 133, 137, 140, 144 et 148 de la constitution. Voir lien ci-après : (http://salioubobotaran.blogspot.fr/2012/01/ce-quil-faut-savoir-du-decret-du.html). Donc en plus de la constitution, 20
autres lois organiques devront être adoptées par le CNT pour installer les différentes institutions républicaines et parachever la transition démocratique.
Mais voilà plus de deux ans, depuis sa date de
création le 08/02/2010, le CNT affiche une certaine incapacité notoire à adopter ces 20 lois organiques. Cette situation est sans nul doute, de manière manifeste, un manque de volonté politique
pour le dénouement rapide, mais aussi heureux de la transition dans notre pays. Dans pareille circonstance, la justice apparaît dans un État de droit comme une solution. Mais hélas, le cas
guinéen s’inscrit dans une antithèse à cette définition de la justice étatique.
Pour illustrer nos propos, reportons-nous au cas
béninois qui, en 2005, a vu la Cour Constitutionnelle voler au secours de l’élection présidentielle. En effet, le Président de la République à l’expiration de son mandat en avril 2006 avait voulu
proroger son maintien au pouvoir, en refusant de débloquer à la Commission Electorale Nationale Autonome (CENA) le fonds nécessaire à l’organisation de l’élection présidentielle. La Cour
Constitutionnelle Béninoise saisie de cette affaire (par deux citoyens Béninois) avait donné 24 heures au Président de la République et son Ministre des finances pour débloquer le fonds
nécessaire. La Cour Constitutionnelle estimant que le Président de la République, le Ministre des finances et l’Assemblée Nationale auraient dû prévoir ce fonds, et devaient le prévoir… Pour
cela, la Cour DECIDE : « Le Gouvernement est tenu de mettre dans les vingt-quatre (24) heures de la présente décision à la disposition de la CENA une avance substantielle de fonds pour assurer le
démarrage immédiat de ses activités » (Voir DCC 05/139 du 17 novembre 2005 et DCC 05/145 du 1er décembre 2005).
Si la justice guinéenne était aussi une justice
indépendante, prestigieuse et audacieuse, elle devrait s’inspirer de cette jurisprudence Béninoise afin de siffler la fin de recréation politique en Guinée. Mais faudrait-il encore qu’elle soit
saisie ! Car rappelons-nous, il n’existe pas l’auto saisine de la justice. Or, jusqu’à présent, sauf erreur de notre part, aucun citoyen guinéen n’a encore saisi la Cour Suprême guinéenne pour
débloquer la vie politique. Qu’est-ce qui pourrait alors expliquer cette réserve de nos citoyens à saisir la justice guinéenne ?
Cela peut s’expliquer par le fait que le guinéen
n’a pas une culture du procès, préférant les arrangements, les négociations et les compromis que les aléas d’un procès, d’une part et d’autre part, par le manque de confiance que le citoyen a, à
l’égard de son système judiciaire.
C’est pourquoi, le problème du CNT est beaucoup
plus profond qu’une simple lecture de texte. Son silence, sa passivité et son inaction face aux enjeux démocratiques et l’État de droit en Guinée plaident en faveur de sa dissolution. Par
conséquent, lorsque le CNT ne remplis pas la mission pour laquelle il fût créé, ses membres ne peuvent pas s’accrocher à des artifices juridiques pour éviter sa dissolution. Ses membres étant
rémunérés sur le dos du contribuable guinéen, en contre partie, il leurs est d’un devoir moral de procéder à l’adoption des 20 lois organiques nécessaires à l’installation des institutions
Républicaines et à la sortie rapide de la transition.
A défaut, vous conviendrez avec nous que le CNT n’a
plus sa raison d’être. De nos jours, de par son comportement par rapport aux enjeux démocratiques, le CNT tend à perdre sa légitimité. Il apparaît aux yeux du citoyen guinéen comme un simple
organe de collabo du gouvernement dans le seul objectif égoïste et malhonnête de gonfler ses revenus mensuels…
En tout état de cause si nous avons salué la
rapidité avec laquelle le CNT avait rédigé la constitution du 7 mai 2010 qui nous a permis d’aller vite à l’élection présidentielle, par contre nous déplorons aujourd’hui son inaction pour
adopter les autres lois organiques conformément à l’article 158 de la constitution.
Au total, toute critique objective allant dans le
sens de faire bouger le CNT, en lui rappelant qu’il est « l’œil », « l’oreille » et la « voix » du peuple, peut être la bienvenue. Car, cela résulterait d’une trahison à l’égard de tous les
guinéens de ne pas pointer du doigt le laxisme et la passivité du CNT à s’impliquer activement à une sortie rapide de la transition politique en Guinée.
Et vous qu’en pensez-vous ?
Dr Saliou Bobo Taran
DIALLO
Paris.