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La Guinée nouvelle

Le Pentagone a un ennemi intérieur : le PowerPoint

Ces présentations illustrées dévorent le temps des soldats, pour un résultat qui frôle parfois l'absurde. 

 

L'été dernier, le général McChrystal, commandant des forces alliées en Afghanistan, a eu droit à un étonnant «briefing» à Kaboul. Afin d'illustrer la complexité du pays et des enjeux de l'opération militaire, un de ses officiers a cru bon de composer le graphique reproduit ci-contre : un «bol de spaghettis», selon le New York Times, où se mélangent les priorités de la coalition, les atouts et faiblesses du gouvernement afghan, les groupes rebelles intérieurs et extérieurs, l'entrelacs d'ethnies et de croyances au sein de la population locale, l'état des infrastructures, etc. «Le jour où nous comprendrons ce schéma, nous aurons gagné la guerre», a sèchement réagi le général américain, provoquant l'hilarité de son état-major.

L'affaire, d'abord révélée par la chaîne NBC, suscite l'intérêt parce qu'elle illustre jusqu'à l'absurde un travers répandu du sommet à la base du Pentagone. Du patron de la première armée du monde jusqu'au simple lieutenant sur le terrain, aucun plan de bataille, aucune opération, aucun bilan ne peut aujourd'hui être exposé sans l'aide d'un PowerPoint. Le général McChrystal en subirait jusqu'à quinze par semaine à Kaboul.

 

 

«Hypnotiser les poulets» 

 

Ce programme informatique, apparu en 1987 et très vite racheté par Microsoft, permet de mettre en tableau n'importe quel problème, projet ou raisonnement. Il est censé contribuer à clarifier ce qui est confus, à simplifier ce qui est complexe. Mais l'élaboration d'une présentation PowerPoint dévore le temps des innombrables responsables qui s'y adonnent, pour un résultat - comme on le voit ici - pas toujours concluant.

Les soldats commencent à se demander si l'exercice ne les détourne pas de leur vraie mission - accomplir ce que préconisent leurs beaux graphiques. «Les PowerPoint nous rendent stupides», a tranché récemment le général James Mattis, commandant des marines, lors d'une conférence en Caroline du Nord où il s'exprimait sans support visuel. «Cet outil, écrit le New York Times, s'est insinué dans la vie quotidienne des chefs militaires jusqu'à atteindre le niveau d'une obsession.» Company Command, un site Internet spécialisé, a demandé au lieutenant Sam Nuxoll en Irak comment il occupait la majeure partie de son temps : «À faire des PowerPoint», a-t-il répondu le plus sérieusement du monde.

Il y a beau temps que des plaisanteries courent sur le sujet dans les rangs de l'armée américaine. On parle de «mort par PowerPoint» pour décrire l'ennui suscité par ces exposés où les tableaux s'enchaînent sur un écran. Mais le général H. R. McMaster y voit carrément une menace intérieure : «C'est dangereux car cela crée l'illusion que l'on comprend une situation et qu'on la contrôle.» Lui avait banni tout PowerPoint de son QG de Tal Afar, au nord de l'Irak, en 2005.

Le PowerPoint garde néanmoins une vertu cardinale aux yeux des militaires : il permet d'occuper avantageusement un «briefing» à la presse - 25 minutes de tableaux, 5 minutes de questions. Les soldats appellent ça «hypnotiser les poulets».

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