23 Janvier 2010
Paradoxe guinéen, pourrait-on qualifier la crise ambiante, face à l’immensité des ressources du pays et au sous-développement qui le caractérise. La situation du pays n’a rien d’étonnant, selon nombre d’observateurs. Elle résulte simplement d’une mauvaise gouvernance et du manque de vision politique de ses différents dirigeants qui se sont succédés au pouvoir.
Du régime de Sékou Touré (1958-1984) au pouvoir actuel du général Sékouba Konaté (président intérimaire depuis la tentative d’assassinat sur le patron de la junte militaire, Moussa Dadis Camara), le pays le plus riche de l’Afrique de l’ouest a toujours été dirigé d’une main de fer, que ce soit par le tenant du « Non » à l’autonomie du référendum de la puissance colonisatrice française que par le militaire Lansana Conté. Réputée abriter un sous-sol très riche, un sol fertile, avec d’abondantes pluies, une région forestière bénie, la Guinée serait aussi « un accident écologique ». L’impossibilité d’exploiter judicieusement les ressources s’explique, en grande partie, par l’absence de ressources humaines qualifiées. Administrateur civil à la retraite, ancien directeur général d’entreprise, directeur général du contrôle d’Etat et secrétaire général chargé des affaires administratives, Alpha Mamadou Barry diagnostique le « mal guinéen ». « J’ai officié en tant que président d’un bureau de vote le 28 septembre 1958 au cercle de Tuddé. A l’époque, ce sont les étudiants, dont je faisais partie, qui ont principalement animé le vote, surtout des membres de la Fédération des étudiants de l’Afrique noire française (FEANF). Il faut dire que chaque village avait son comité RDA et que le parti était très puissant, ce qui a permis au « Non » d’être écrasant. Tous les étudiants étaient sans exception pour le « Non » », se rappelle Alpha Mamadou Barry. L’ancien préfet de Lola et de Kouroussa souligne néanmoins que le cercle de Labé avait massivement voté pour le « Oui ». « Un vote que Sékou Touré n’a jamais oublié. Il en voulait à Labé et ses ressortissants pour qui il n’a jamais eu d’indulgence », souligne-t-il.
Afflux d’intellectuels Africains après le « Non »
Après le triomphe du « Non », l’enthousiaste n’avait n’égal que l’espoir qu’il suscitait. D’ailleurs, de nombreux Africains, Pr. Mouminy, Joseph Ki-Zerbo, David Diop, entre autres, ont
« voulu appuyer la Guinée qui a assumé un rôle historique », selon M. Barry. « Ils sont venus, mais ils ont été déçus par le comportement du pouvoir, en plus du fait qu’il n’y
avait pas de cadres. Il n’y avait à l’époque qu’un seul guinéen à avoir fait l’Ecole française d’Outre-Mer. Il n’y avait pas du tout de cadre. Le pouvoir s’appuie dès octobre 1958 sur les
meilleurs commis du Service administratif et financier. Des vaccinateurs d’élevage et des moniteurs d’enseignement ont été promus parce que simplement ils étaient membres du parti. Des gens qui
n’avaient donc rien à voir avec la fonction étaient cooptés. Il fallait récompenser ceux qui avaient aidé au triomphe du « Non ». C’est là la base des dérapages en Guinée »,
regrette le vieux administrateur civil. Pour lui, dès l’indépendance, tout a été faussé. Il n’y avait pas, à son avis, l’homme qu’il fallait à la place qu’il fallait. « Ce qui est valable
pour l’administration territoriale l’est également pour l’administration générale. Un ministre peut ne pas être un spécialiste, mais il doit nécessairement s’en entourer. Le drame en Guinée est
qu’on voyait un cadre de l’agriculture par exemple envoyé aux travaux publics. Et il n’y avait même pas d’archives qui sont pourtant l’âme de l’administration centrale », regrette-t-il. Le
pays est allé de « dérapages en dérapages » jusqu’au pouvoir actuel. Il fait remarquer, avec beaucoup d’amertume, que le pays ne dispose toujours pas d’école d’administration. N’ayant
pas voulu investir ou n’ayant pas suffisamment investi dans le système éducatif, la Guinée paie toujours un lourd tribu pour ses ressources humaines. « On se fiche bien des ressources
humaines. On a toujours tenu compte de l’engagement politique ou des liens de parenté, ce qui a fait que la démagogie a prévalu », croit savoir Alpha Mamadou Barry. Avec le manque de
liquidités de la période post-indépendance, la Guinée crée sa monnaie le 1er mars 1960.
Purges et tueries pour asseoir l’autorité
Ce qui n’arrange pas pour autant les choses. Le souci de Sékou Touré était « d’approfondir sa révolution tout en œuvrant à asseoir son autorité ». Ainsi, purges et tueries étaient le lot quotidien de tous ceux qui essayaient de rectifier le tir après le mauvais départ. Sékou Touré rétorquait à tous ceux qui parlaient de développement que « le développement, vous le ferez après moi », se rappelle l’administrateur civil. La Guinée traîne encore le fait que le pouvoir n’ait non seulement investi dans l’éducation, mais aussi et surtout dans l’infrastructure sanitaire. « Aucun établissement sanitaire digne de ce nom n’a été créé. Il y aura le lancement de centres universitaires un peu partout, mais sans infrastructures de base », se désole encore Alpha Mamadou Barry. Pire, Sékou Touré nourrissait une « haine » à l’endroit du peu d’intellectuels vivant en Guinée. « Le drame de Sékou Touré qui disait que la politique est la science d’utilisation des autres sciences, est qu’il ne voulait pas entendre parler d’intellectuel ou de personne riche ou populaire. Il a été aussi foncièrement contre les Peulh dont nombreux sont ceux qui ont été tués ou qui sont partis en exil », identifie-t-il comme pour pointer du doigt un problème racial qui existe encore. L’expérimenté administrateur civil est d’avis que le « pouvoir militaire est le pire des pouvoirs » en guise de lecture de la présidence de Lansana Conté. A peine installé au pouvoir, Conté est parvenu à faire regretter son prédécesseur. « Il a été pire que Sékou Touré. Il a été le plus grand trafiquant de drogue et est devenu le parrain en Afrique de l’Ouest. Il a dilapidé et gaspillé les ressources guinéennes, particulièrement l’or et le diamant. L’une de ses épouses qui a été reine de la beauté guinéenne, vendait le diamant comme des cacahuètes », souligne M. Barry. Le règne de Lansana Conté a aussi permis un développement extraordinaire de la corruption. « Sous Conté, il y avait une impunité totale et une corruption effrénée. Les gens n’avaient plus peur de rien et n’avaient nulle crainte de punition pour des actes criminels qu’ils commettaient », fustige encore M. Barry. Le deuxième président, même s’il n’a pas pourchassé les Peulh comme Sékou Touré, a néanmoins fait la promotion des membres de son ethnie, soussou, selon l’administrateur civil.
Pouvoir militaire, la pire des choses
Le régime militaire a une particularité, avertit-il : « les militaires se neutralisent, s’éliminent jusqu’à ce qu’il en reste un seul homme fort. Et puis, ils disent toujours qu’ils vont rendre le pouvoir aux civils, mais progressivement ils prennent goût au pouvoir et oublient leurs promesses ». Le successeur de Condé, le capitaine Moussa Dadis Camara, a aussi vérifié cette loi. Seulement, il n’a pas été aidé par la grande masse d’ « hommes d’intrigues qui peuplent Conakry et qui ne sont pas habitués à travailler ». « Le fait de s’éterniser au pouvoir et la maladie de Lansana Conté ont favorisé la généralisation de la corruption. Se sachant condamné, il a voulu que son fils Ousmane lui succède au pouvoir, mais les gradés de l’armée ont refusé. Ces derniers ont accepté qu’il soit au pouvoir jusqu’à la fin de ses jours, mais qu’après, il ne serait pas question d’une succession. Conté prendra de jeunes officiers ou même sous-officiers, principalement amis de son fils, à qui il donne des pouvoirs surdimensionnés. Il les a amenés surtout à s’opposer aux gradés et les a formatés à leur nourrir une haine viscérale. Ces jeunes, dont faisait partie Dadis et Pivi, faisaient tout ce qu’ils voulaient », explique Alpha Mamadou Barry. Il met en exergue le fait que Claude Pivi, ancien membre de la garde de l’ancien président libérien Charles Taylor, était celui qui portait la revendication de la bande de jeunes militaires. Il souligne aussi que Sékouba Konaté n’était pas membre de la bande. De nombreux Guinéens soulignent que Moussa Dadis est parvenu à prendre la tête de la bande au lendemain du décès de Lansana Conté parce qu’il avait su « tisser sa toile avec le carburant de l’armée qu’Ail gérait ». Il a ainsi pu, avec de considérables moyens financiers, se faire des amis et alliés tout acquis à sa cause. « C’est un secret de polichinelle : Dadis gérait deux milliards de francs guinéens en carburant, par mois. Il y avait à boire et à manger. Il faut surtout rappeler que Conté a été très machiavélique. Il poussait et les jeunes et les généraux de l’armée à l’affrontement en leur faisant miroiter le pouvoir à prendre. Mais dès sa mort, les jeunes ont pris de vitesse tout le monde en prenant le pouvoir », indique Alpha Barry.
, il apprécie les premières décisions du chef de la junte : attaques aux narcotrafiquants, arrêt des détournements, restauration de l’autorité de l’Etat...
Dadis, gérant de carburant
Comme tous les Guinéens « Il n’y a pas eu d’opposition sous Dadis entre les ethnies, mais plutôt entre l’armée et les civils et le pouvoir et l’opposition », juge M. Barry. La corruption et la facilité ont conduit, estime-t-il, de nombreux Conakrykas à ne vivre que de « prébendes et de louanges ». « Ce sont ceux qui étaient habitués au système de Conté et qui voyaient leurs sources de revenus tarir qui ont commencé à vanter les mérites de Dadis qui, du coup, a pensé qu’il pouvait rester à la tête du pays, à prendre goût au pouvoir et renier à ses engagements », dénonce l’administrateur civil de 71 ans. Sur l’avenir de la Guinée, M. Barry milite aussi pour des élections transparentes et le retour des militaires dans les casernes. « Nous allons certes d’évènements en évènements et on semble se chercher, mais je reste optimiste pour l’avenir. Nous ne pouvons pas continuer comme ça », semble se rassurer le passionné d’histoire. Les ressources naturelles du pays, deuxième producteur mondiale de bauxite, qui dispose d’extraordinaires gisements de fer, du pétrole, de l’or et du diamant, bref de tous les minéraux, ne seraient rien par rapport à la riche culture guinéenne dont les ballets africains sont de dignes ambassadeurs, selon M. Barry. La faune et la flore du « Château d’eau d’Afrique » représentent encore plus que cette culture. Une exploitation judicieuse de toutes ces ressources ne sera effective que le jour où l’on « mettra fin à l’hostilité vis-à-vis des ressources humaines, notamment l’éducation et la formation », se convainc M. Barry