31 Décembre 2010
Une guerre civile en Côte d'Ivoire représenterait le pire des scénarios. Mais il apparaît malheureusement de moins en moins improbable. Des ressortissants étrangers commencent en tout cas à quitter le pays. Depuis ce vendredi matin, le Quai d'Orsay recommande «à tous les Français qui le peuvent, notamment aux familles avec enfants, de quitter provisoirement la Côte d'Ivoire dans l'attente d'une normalisation de la situation». Et a, «p ar mesure de précaution», décalé au 17 janvier la rentrée des classes.
Alors que l'un des dirigeants pro-Gbagbo menaçait hier de prendre d'assaut au lendemain du 1er janvier l'hôtel où est retranché Alassane Ouattara sous la protection de 800 Casques bleus, Philippe Hugon, économiste à l'Institut international des relations stratégiques (Iris), soulignait qu'une guerre civile est un «drame tout à fait possible» même si «tout sera fait pour l'éviter». Boni Yayi (Bénin), Ernest Koroma (Sierra Leone) et Pedro Pires (Cap-Vert), les trois chefs d'Etat de la Communauté économique des Etats d'Afrique de l'Ouest (Cedeao), qui a menacé de renverser le président Laurent Gbagbo par la force après sont refus de reconnaître l'élection de son rival, Alassane Ouattara, doivent revenir à Abidjan lundi pour de nouvelles négociations. Mais le moindre incident pourrait mettre le feu aux poudres. La mission onusienne a subi récemment plusieurs incidents.
A Abuja, les chefs d'état-major des armées ouest-africaines cherchent d'ailleurs à «s'organiser» pour une éventuelle intervention. Que se passerait-il en pareil cas ? «Très certainement une partition du pays»,juge Christian Bouquet, professeur de géographie politique à l'université de Bordeaux-III. Avec des tensions concentrées d'abord à Abidjan et dans le triangle de San Pedro, le deuxième port du pays. Le nord du pays resterait sous le contrôle des pro-Ouattara, tandis que le Sud serait sous l'emprise de Gbagbo.
Une intervention militaire suivie d'une guerre civile risquerait de déstabiliser la région, ce qui explique l'implication des diplomates américains et français, et affecterait notamment les pays enclavés voisins de la Côte d'Ivoire. Ces derniers, comme le Mali et le Burkina, devraient trouver d'autres routes d'approvisionnement que la Côte d'Ivoire. Une partie de leur activité serait renvoyée vers le Ghana et le Togo, et les ports de Dakar, de Cotonou et de Lomé verraient leur trafic croître. Plus inquiétantes seraient en revanche les conséquences sur les Burkinabés et Maliens présents en Côte d'Ivoire, qui devraient vraisemblablement être rapatriés dans leur pays, tandis que leurs concitoyens participeraient à la force d'intervention de la Cedeao.
Au-delà de ces aspects régionaux, la crise en Côte d'Ivoireaffecterait la filière du cacao, dont Abidjan est de loin le premier exportateur mondial (40 % du marché international). Le commerce du cacao, aux mains des multinationales, aurait a priori les moyens de s'adapter à un conflit de courte durée, quitte à dérouter certaines exportations vers le Togo ou le Ghana pour éviter le port d'Abidjan. Le Ghana, déjà producteur de cacao, dispose des infrastructures permettant d'exporter. Le Ghana pourrait devenir « le gros exportateur de cacao de contrebande de la Côte d'Ivoire », avance Philippe Hugon. Les cours risquent évidemment de flamber. Mais la récolte et l'exportation seraient perturbées en cas de conflit durant plusieurs mois.
Pour sa part, le pétrole -dont la Côte d'Ivoire produit de 50.000 à 60.000 barils par jour -est « off shore et donc à l'abri », prédit Christian Bouquet. Il ne pourrait être affecté que par des désordres sur le port d'Abidjan. « Mais le port est très bien gardé. C'est l'une des tirelires de Laurent Gbagbo, qui perçoit une partie des recettes douanières du port. » Les projets de certains groupes pétroliers annoncés pour 2011 pourraient en revanche être différés.
Plus généralement, les grandes entreprises -Bouygues, Bolloré, Orange, Total ou Vinci pour la France - ont les moyens de faire le dos rond, comme en 2002. Pour les PME, c'est plus compliqué. Celles qui se sont réinstallées après la crise de 2002 ont calculé leurs risques et devraient rester sur place. Une guerre civile donnerait en revanche le coup de grâce à celles qui sont déjà étranglées par le marasme actuel. Quant aux PME libanaises, elles pourraient plier bagage. « En cas de guerre civile, le bouc émissaire c'est l'étranger, avance Philippe Hugon. En période de conflit, la diaspora libanaise réagit généralement en se redéployant dans d'autres pays. » Toutefois, on n'en est pas encore là, tempèrent les spécialistes de la région. La communauté internationale va tout faire pour éviter une guerre civile. Certains rêvent encore d'un exil de Laurent Gbagbo vers l'Angola ou la Guinée équatoriale. D'autres, d'un scénario politique à l'allemande -un président (Laurent Gbagbo) honorifique et un chancelier (Alassane Ouattara) concentrant l'essentiel des pouvoirs. D'autres encore continuent de miser sur l'asphyxie économique du camp Gbagbo, en raison des sanctions qui rendront de plus en plus difficile le paiement des salaires de l'armée.« Le seul moyen d'éviter une guerre civile serait… un coup d'Etat », glisse un connaisseur du pays. Nombre d'Ivoiriens, eux, se sont fait une opinion : ils sont plus de 19.000 à avoir fui vers le Liberia, selon l'ONU.