8 Avril 2012
Qui sont-ils ? L'élite de la franc-maçonnerie ? Les détenteurs d'un savoir
occulte ? Un lobby militaro-financier ? Pour certains, les Illuminati incarnent l'intervention du diable sur terre: ils seraient les alliés de l'Antéchrist. A moins que le nom
Illuminati ne désigne un super-lobby tentaculaire, dont l'identité véritable est tenue secrète, et qui tirerait les ficelles dans les coulisses de la politique et de la
finance.
Nous sommes en Allemagne, au XVIIIe siècle. Alors que
la franc-maçonnerie se répand en Europe, une société secrète apparaît en Bavière, fondée en 1776 par Adam
Weishaupt, un ancien jésuite : c’est l’Ordre Illuminati.
Les Illuminati de Bavière ("Illuminés", ou "ceux qui savent") ne sont guère nombreux. Mais
ils infiltrent quelques loges franc-maçonnes allemandes. Quels sont leurs buts ? Difficile à dire. Les Illuminati se réclament des Lumières, ils sont matérialistes et
anticléricaux.
En 1784, l'électeur de Bavière Charles Théodore de Bavière décide de dissoudre toutes les
sociétés secrètes. Considérés comme des criminels, contraints à l'exil, les Illuminati auraient complètement disparu avant 1789.
Mais en est-on bien sûr ? Et ne seraient-ils pas apparus des siècles plus tôt
?
Satan ou Wall
Street
L’Ordre Illuminati aurait survécu… comme il le fait depuis des millénaires !
Car le groupe serait détenteur d'un savoir ésotérique qui remonterait aux antiques Sumer et Babylone, il y a 5.000 ans. Leur influence aurait perduré à travers les âges, infiltrant l’Eglise romaine, les Templiers, les Rose-Croix puis les
francs-maçons.
A moins que ces racines historiques ne relèvent que d'un folklore, d'un nuage de fumée
destiné à cacher leur véritable identité: celle d'une caste dont le but ultime serait la maitrise du monde, détruisant gouvernements et religions pour l'instauration d'un "Nouvel ordre
mondial".
Traversant l'Atlantique, ils se seraient notamment implantés au sein des élites d'un pays
neuf: les Etats-Unis.
Aussi surprenant que cela puisse paraître, la puissance des Illuminati serait
exhibée bien en évidence : sur lebillet vert. Le roi dollar incarnerait ainsi l'avènement de leur empire. C’est après l’élection en 1933 du président américain Franklin D. Roosevelt - un
franc-maçon - que le billet de 1 dollar adopte son aspect actuel :
- Dans la partie gauche du billet figure une bien étrange pyramide
égyptienne, coupée en deux. A la base de cette pyramide est inscrit le nombre MDCCLXXVI, soit 1776. C'est l'année de
la fondation des Etats-Unis. Mais aussi celle de l'ordre des Illuminati de Bavière…
- Au sommet, "l'œil irradiant dans toutes les
directions" représente "l'œil qui espionne tout".
- Sous la pyramide, l'expression latine Novus Ordo Seclorum"explique la nature de
l'entreprise : la signification serait 'un Nouvel ordre social' ou une 'nouvelle donne’", soit un "New Deal". Annuit Coeptis signifierait: "Notre
entreprise [la conspiration] a été couronnée de succès". (source: "Pawns in the Game", Des Espions sur l'échiquier, William Guy carr, 1958).
Et de nombreux autres codes seraient cachés dans le billet vert.
Sauf que... le dessin ornant le billet de 1 dollar est le
même que sur le Grand sceaux des
Etats-Unis, utilisé dès 1782, soit six ans seulement après la création des Illuminati de Bavière.
EtNovus Ordo Seclorum ne se traduit pas par "nouvel ordre mondial" mais par "nouvel ordre pour les siècles",
une expression qu'il faut entendre en gardant à l'esprit les valeurs de la Déclaration d'indépendance. Annuit Coeptis (qu’on traduit par quelque chose ou qu'un "approuve ce qui est commencé") place
l'Amérique-la nouvelle "Terre promise"- sous la protection de
Dieu.
Le propre des symboles est de laisser une large place à
l'interprétation. En cherchant bien, on découvre ainsi que les différents billets américains auraient annoncé les attentats du 11 Septembre.
Le complot a aussi ses adversaires. Le 17 janvier 1961, le
président Eisenhower, au moment de quitter le pouvoir, prononça un discours mettant en garde le pays contre le pouvoir du lobby militaro-industriel :
'"Nous devons nous méfier d’une influence non justifiée, qu’elle soit voulue ou non, par
le complexe militaro-industriel. Le risque d’un accroissement funeste des abus de pouvoir existe et persistera. Ne laissons jamais le poids de ce complexe mettre en danger nos libertés ou notre
démocratie."
Pour les conspirationnistes, les inquiétudes d'Eisenhower annoncent
l'assassinat du président Kennedy, deux années plus tard.
6 mars 1991. La Guerre froide est finie. "Nous avons face à nous
l'opportunité de fonder pour nous et les générations futures, un nouvel ordre mondial un monde fondé sur le règle de la loi", déclare George Bush père.
Bush fait-il référence au "Nouvel ordre mondial" des Illuminati ? Veut-il, au nom des
droits de l'Homme, étendre au monde entier la domination des Etats-Unis - et de ceux qui contrôlent le pays ? Depuis la fin de la Guerre froide, la mondialisation de l’économie et la
multiplication des institutions internationales alimentent les théories du complot. De la Banque mondiale à l'OMC, des Nations unies à l'Union européenne, des instances jugés non démocratiques
seraient à l’œuvre pour abattre la souveraineté des nations et concentrer les pouvoirs dans les mains d’un petit nombre.
Car outre Skull and Bones, plusieurs groupes, dont l’existence est avérée, alimentent les
soupçons de complot:
- Le groupe Bilderberg rassemble chaque année, depuis 1954, 130 personnalités du monde des affaires, des médias et de la
politique. Ce qui est dit lors de ces réunions reste confidentiel. Et les médias en parlent très peu.
- La Commission trilatérale, fondée en 1973, fonctionne sur le même principe de confidentialité et recrute au sein de la Triade
(Etats-Unis, Union européenne, Japon). Ce club fait l'objet de controverses. Il est accusé d'orienter l'économie du monde.
La guerre en Irak enfin, est
présentée comme une preuve de l’existence d’un complot. L’administration Bush et les services américains de renseignements ont prétendu que le régime de Saddam Hussein était lié à Al Qaïda et
qu’il détenait des armes de destruction massive. Si le président des Etats-Unis a menti cette fois-ci, pourquoi ne l'aurait-il pas fait à d’autres occasions ?
Dès lors, la surveillance sur internet, la vidéosurveillance dans la rue,
les passeports biométriques, les recherches sur le génome, les nanotechnologies... seraient autant de moyens pour les Illuminati de parvenir àun contrôle sans cesse plus étroit sur la population, dont les médias seraient les complices.
Des indices, des indices soigneusement choisis... mais pas de preuve (on
trouve bien sur le web une interview du président des Illuminati de France, Raoul V., mais c'est un canular). Alors au final, faut-il croire aux Illuminati ? Car il s'agit bien ici
de croyance, au sens où aucune démonstration rigoureuse ne permet de valider l'hypothèse.
Et pour cause. "Il est difficile d'attraper un chat noir dans une pièce sombre... surtout lorsqu'il n'y est
pas", souligne le philosophe et politologue Pierre-André Taguieff, citant un
proverbe chinois. "Celui qui ne veut pas entendre n'entend pas. Au contraire, il intègre les objections à sa théorie", poursuit le chercheur au CNRS, interrogé par nouvelobs.com, "les théories du complot sont imperméables à une argumentation, elles relèvent du
dogme".
Les théories du complot répondent selon Pierre-André Taguieff à un besoin
de "réenchantement du monde". Il s'agit de trouver un sens caché à ce qui n'en a pas forcément. D'où un succès incroyable au cinéma, en littérature, en BD...
"Les récits complotistes s’adaptent au contexte politique, militaire,
économique ou culturel. Cette accommodation à l'événement étant une condition de leur vraisemblance, donc de leur efficacité symbolique", poursuit le chercheur. Ainsi, les acteurs de ces récits
complotistes auront successivement été les francs-maçons, les juifs ou
les sionnistes, l'Eglise catholique ou l'Opus
Dei, les bolchéviques, les
"200 familles"... C'est dans la seconde moitié du XXe siècle que les Etats-Unis deviennent la nouvelle menace. "Dans les théories du complot, il faut poser une
fois pour toute que l'Amérique a toujours tort et qu'elle a toujours de mauvaises intentions", écrit la politologue Nicole Bacharan.
Internet permet de diffuser largement les théories du complot, et chacun fait son marché. "En mêlant le vrai et le faux, le possible et le réel, le
vraisemblable et le certain, Internet contribue puissamment à la légitimation et
à la banalisation culturelles des croyances complotistes", estime Pierre-André
Taguieff. "Il est bon de douter, à condition d’être capable de douter aussi de ses doutes".