22 Août 2012
Les rebelles du Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA), mis en déroute par les groupes islamistes du nord du Mali, se restructurent avec le soutien de la Suisse, pays pourtant connu pour sa longue tradition de neutralité. Enquête.
Le Département fédéral des affaires étrangères (DFAE) a
participé à l’organisation et au financement d’une réunion politique des rebelles touaregs indépendantistes du Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA) les 25, 26 et 27 juillet à
Ouagadougou, la capitale du Burkina Faso, a appris Le
Temps auprès de sources concordantes. Organisée dans le cadre de la médiation de la Cédéao (Communauté
économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest), cette rencontre devait permettre au bureau politique du MNLA de clarifier ses revendications en vue d’un règlement politique de la crise dans le
nord du Mali.
Cependant, comme l’atteste le communiqué de presse final du mouvement,
le débat portait également sur des enjeux de politique interne, avec l’adoption de ”dispositions urgentes pour l’atteinte des objectifs du MNLA”. Directeur de recherche émérite au Centre national
de la recherche scientifique à Paris (CNRS), spécialiste de la zone sahélo-saharienne et des populations touaregs, André Bourgeot s’en étonne : "Le MNLA revendique, comme objectif principal, une
partition territoriale non reconnue internationalement et qu’une immense majorité des populations du septentrion malien ne veut pas. Il dit avoir tenu ces discussions afin d’y parvenir. Je suis
surpris par l’implication politique du DFAE, les autorités suisses étant officiellement neutres. Cela équivaut à une caution politique."
Selon la synthèse des travaux de cette rencontre
que Le
Temps a pu se procurer, les discussions ont également porté sur la propagande à mener auprès des différentes
communautés du nord du Mali. Des ordres ont été donnés pour restructurer le bureau politique. Plusieurs cadres du MNLA, menacés de radiation pour des prises de position jugées non conformes à la
ligne directrice du mouvement, ont été placés sous stricte surveillance pour une durée d’un an. Deux représentants du DFAE étaient présents à cette réunion, en ouverture et en clôture de session,
mais pas durant les débats que suivait un conseiller technique du ministère burkinabé des Affaires étrangères. ”Ils nous ont dit que la Suisse était là pour promouvoir la paix dans cette région
du monde. Ils nous ont encouragés à poursuivre sur cette voie”, révèle Moussa Ag Assarid, porte-parole du MNLA. Dans son discours, le président du mouvement rebelle touareg, Bilal Ag Acherif, a
même chaleureusement remercié le "gouvernement fédéral suisse" pour son travail de "facilitation".
La Confédération s’implique depuis plusieurs années déjà pour un
règlement de la crise au Mali, à travers son programme de politique de paix en Afrique de l’Ouest. Mais dans ce cas, la gêne est perceptible. Le MNLA a mauvaise presse. "Trois rapports d’ONG ont
condamné les exactions des groupes armés dans le nord du Mali, dont le MNLA. Des cas de vols et de sévices sexuels ont été rapportés", témoigne le chercheur André Bourgeot. Curieusement,
plusieurs photos dans lesquelles apparaissaient les représentants du DFAE lors de cette réunion ont été retirées des sites Internet pro-indépendantistes, quelques jours après leur
publication.
Le DFAE a également réglé la facture logistique de cette
réunion, a appris Le
Temps de sources concordantes. Une aide ponctuelle et très ciblée, tient à clarifier le porte-parole du
MNLA, Moussa Ag Assarid : "La Suisse n’a pas financé autre chose que la réunion de Ouagadougou." Le DFAE, que Le
Temps a sollicité afin de confirmer ces informations, ne les dément pas mais refuse d’entrer dans le détail.
"La réunion du MNLA fin juillet à Ouagadougou s’inscrit dans le cadre du processus de médiation du Burkina Faso auquel la Suisse apporte un soutien, à la demande des parties au conflit", fait
savoir Carole Wälti, porte-parole au DFAE. Impossible d’obtenir le détail de la facture logistique de cet événement, aucun des organisateurs ne souhaitant nous communiquer les chiffres précis.
Mais selon une source proche du mouvement, le montant avoisine les 15 000 francs.
L’engagement suisse dans le processus politique du MNLA
fait naître les espoirs les plus fous au sein d’un mouvement isolé et affaibli, après la mise en déroute de ses unités combattantes par les principaux groupes islamistes du nord du Mali à la fin
juin. Selon le journaliste touareg Acheick Ag Mohamed, ”le MNLA consulte régulièrement la Suisse”. Cet homme, rédacteur en chef de Toumast
Press,un site Internet d’information proche des milieux indépendantistes touaregs, estime que la facilitation
suisse s’apparente à ”un soutien, l’un des rares dont peut se prévaloir le MNLA”. Le Département fédéral des affaires étrangères s’en défend. "Le DFAE ne soutient pas le MNLA mais la médiation du
Burkina Faso et travaille dans ce cadre avec les parties au conflit”, communique la porte-parole Carole Wälti.
Personne n’est actuellement en mesure de clarifier le rôle joué par la
Suisse ni de pronostiquer celui qu’elle acceptera ou non à l’avenir. Beaucoup s’interrogent et s’impatientent. Mohamed, un adolescent touareg de Tombouctou qui a combattu avec le MNLA avant de
déposer les armes, témoigne : "Tout le monde parle de la Suisse au MNLA. Beaucoup de combattants sont persuadés que la Suisse veut l’indépendance de l’Azawad. L’un de nos chefs se faisait même
appeler le Suisse. Il est persuadé qu’il sera un jour ambassadeur de l’Azawad en Suisse."
Ceux sont des populations berbères nomades musulmanes. Bergers, ils vivent essentiellement au Niger, au Mali, en Algérie et en Libye. Les Touaregs sont organisés en tribus. Les hommes portent un voile indigo (tagelmust), d’où leur surnom d’“hommes bleus”. Ce sont des musulmans sunnites et ils parlent une langue berbère : le tamacheq.
Nomades dans l’âme, les Touaregs se nomment eux-mêmes Imajeren (hommes libres). Ce peuple compte de 1 à 3 millions d’individus, d’après l’Unesco ; 85 % d’entre eux vivent au Mali, où ils représentent 10 % de la population. Dans la société touareg, les femmes bénéficient d’un statut inégalé : détentrices des savoirs et des richesses, elles sont les gardiennes des traditions.
Claude-Olivier Volluz | Le Temps