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La Guinée nouvelle

Petit précis de la circulation routière en Guinée à l’usage d’un Suisse (suite)

 

Récemment, j’ai fait l’heureuse rencontre de Frédéric Pfyffer, journaliste à la Radio Télévision Suisse. Il était venu à Conakry pour un reportage pour lequel je devais lui servir de fixeur. Au lendemain de son arrivée, on s’est donné rendez-vous à une heure et un endroit précis dans la haute banlieue de Conakry. Après près de deux heures de blocage dans les inextricables bouchons de notre capitale, Frédéric a été obligé d’ajourner notre rendez-vous et de rebrousser chemin. J’avais simplement oublié de lui expliquer qu’il fallait aménager en tout 4 heures pour couvrir les 20 km qui nous séparaient !

Je me rattrape ici en lui concoctant ce petit guide de la circulation routière en Guinée en trois parties. Un mini code de la route plein de caricature et de réalisme (sic). Ça s’appelle de la «Real Traffic». Attachez votre ceinture, euh… si vous n’êtes pas dans un Magbana. Le cas échéant, accrochez-vous. (Suite et fin)

# Par contre si le Magbana te rebute, t’as les taxis ville. Ils ont trois caractéristiques :jaunescollectifs et rapides.  Rapides même en cas de bouchon ? Oui. Un taxi de Conakry est une souris avant tout. Ça passe par tous les orifices, s’incrustant entre les files de véhicule avec une ingéniosité et une rapidité déconcertantes. Quand tout est complètement bouché, ils s’enfoncent dans les quartiers par des chemins détournés et insoupçonnés. Pour la mise à jour du plan directeur la voirie urbaine de Conakry, les chauffeurs de taxi devraient être consultés. Ce sont des experts en déviation.

Par «collectifs» il faut entendre sept personnes, conducteur compris, confinées dans un espace gros comme un mouchoir de poche, souvent dans une chaleur étouffante. Pourtant, pour goûter ce «confort» il faut être à la fois bon coureur, pour rattraper un taxi, et grand bagarreur pour y prendre place. Entre les deux opérations, ton portefeuille ou ton téléphone portable risquent de se volatiliser à jamais. Si tu échappes à une fracture de bras ! L’astuce quand on est une femme aux heures de pointe, consiste à filer 500 francs à ton potentiel voleur, le Coxeur, (rabatteur de clients) pour qu’il s’empare d’une place dans le taxi pour toi. Et ça marche comme sur des roulettes.

Les chauffeurs de taxi en général ont un sale truc en commun : l’antipathie. Si t’es un distributeur de bonnes manières, vas voir ailleurs. Ils n’en ont cure. Ce sont des êtres insensibles aux expressions «bonjour»«excusez-moi», «pardon» et «s’il vous plait».Versatiles à souhait, ils peuvent passer du mutisme d’une carpe à l’insolence d’une mégère en un quart de tour. De tous les mots du dico, il n’existe qu’un seul qui soit capable de fendre leur carapace et les rendre souriants et bienveillants.  C’est le mot «déplacement».A la prononciation de ce sésame, ils se métamorphosent instantanément devenant subitement humains. Au grand dam de ta poche.

Entre Magbanas et taxis, il y a les bus. Ici, c’est pas comme à Genève ou Montreuxhein, où tu as un entrelacs des lignes de bus avec des numéros à trois chiffres et des arrêts aux noms imprononçables. Conakry c’est deux routes principales, donc deux lignes principales. La montée est pareille qu’avec les taxis : c’est la foire d’empoigne. Tu veux descendre, tu cries «ça descend», comme si t’étais un sac de riz. Simple vous a-t-on dit.

D’où viennent nos bus ? De l’Asie. Toujours. Aussi loin que remontent mes souvenirs de citadin, j’ai toujours vu nos bus d’abord à la télé. La RTG, en l’occurrence. Quand des petits Indiens et Chinois sont fatigués de péter dans ces monstres, ils sont retirés de la circulation de Pékin et New Delhi pour subir une opération cosmétique avant de prendre la direction de Conkary. Le ministre en charge des transports les réceptionne à grand renfort de propagande et crée un machin contenant la particule «Gui» (Soguitrans, Sotragui, etc.) pour la gestion. L’embellie dure 2-3 ans, le temps que les nids de poule, les cailloux des manifestants et surtout la gestion calamiteuse ne les anéantissent. Et le cycle recommence.

En ce moment, on est entre deux cycles, donc en transition (tiens, tiens). La Société guinéenne des transports (Soguitrans), alias les bus Kouyaté 2007, est morte, la Société de transport de Guinée  (Sotragui) est née. Du coup, les bus sont «flambants neufs» selon l’expression consacrée. Même s’ils sont toujours bondés, comme tous les bus du monde d’ailleurs.

Attention, à bord des nôtres les militaires ont la priorité, de facto, pour les places assises.Tout  comme un militaire ne se met pas ailleurs que près de la portière dans un Magbana ou un taxi, un militaire accepte rarement de se tenir debout dans un bus.Alors il serait intelligent de leur laisser la place pour ne pas subir l’humiliation de celui qui, un jour, s’assit obstinément à la place qu’un soldat avait réservé en y déposant un simple stylo. L’intéressé s’entêta un moment, avec le français ampoulé et le sarcasme d’un diplômé-chômeur-aigri de Conakry, avant de céder devant les jurons de l’homme en tenue, tous muscles saillants.

# Depuis 2009, la trilogie Mabanas-Taxis-Bus est épaulée par le train Le Conakry-Express pour drainer les dizaines de milliers de voyageurs. Une vraie bouffé d’oxygène pour une capitale à bout de souffle. Je n’ai pas encore expérimenté ce serpent tricolore (Rouge-Jaune-Vert) de banlieue pour restituer l’ambiance qui y règne. Mais lorsque Le Conakry-Express crache son contenu au marché Madina, t’as l’impression que tout le monde voyage en train. On devine facilement que le confort doit être limite à bord. On aura l’occasion d’en reparler…

Pour les taxis-motos, le phénomène est venu de l’intérieur du pays où ces engins constituent l’unique moyen de transport public urbain. A Conakry, ils sont une excellente alternative aux taxis jaunes quand t’as un test d’embauche et que tu es en retard.

Hyper rapides, plus chers et plus … dangereux ! L’amateurisme des conducteurs (pas besoin de permis pour piloter une moto) ajouté à l’excès de vitesse sur des routes étriquées constitue un cocktail idéal pour t’expédier six pieds sous terre.

Dans certaines villes comme Siguiri, Labé et Kindia, les motos (pas uniquement les taxis) seraient la première cause de décès et d’infirmité de la tranche d’âge 14-35 ans. Des salles de traumatologie et même des cimetières leur seraient spécialement dédiés ! Dans ces villes, les jeunes pilotes de motocyclettes mesurent la vitesse à laquelle ils roulent, non pas sur le compteur de bord conçu à cet effet, mais à travers le bruit qui sort du pot d’échappement de l’engin. Ce qui fait qu’ils conduisent toujours en mode profil, le nez dans le vent,  l’oreille appréciant les décibels de la moto.

Avant de monter sur un taxi-moto, il est vital de répéter au taximan que tu n’es pas pressé, même si c’est le cas. Certains sont carrément suicidaires.

Les astuces

Pour éviter les embouteillages de Conakry donc, t’as la solution taxi-moto ou l’heure de sortie. Généralement la nuit jusqu’à l’aube la circulation est fluide (sauf les 24 et 31 décembre). Le reste du temps, c’est la galère. Véhiculé ou pas.

Pour s’extirper des bouchons, certains s’inventent des astuces plutôt audacieuses comme rouler à contresens, même aux heures interdites. Puisqu’il est permis de rouler à contresens à Conakry. C’est même obligatoire à certaines heures (7H-10H le matin vers Kaloum) ! Bonjour les accidents de circulation. Malgré tout, l’expérience est en train d’être appliquée pour le retour en banlieue la soirée. Le matin tout le monde monte, le soir on redescend colonne par deux. Nous avons la capitale la plus stylée au monde !

L’autre trouvaille consiste à simuler l’ambulance (faire croire qu’on transporte un patient ou un défunt), feux et klaxons à fond. Le  fin du fin consistant à suivre un cortège des officiels. Pour les deux premières astuces, tu peux t’en tirer à bon compte en graissant un policier si tu te fais choper. Pour les cortèges, c’est à tes risques et périls.

Pour avancer plus vite, des têtes brûlées tentent de temps en temps de se glisser dans un cortège ministériel ou présidentiel qui fendille les embouteillages. Ils finissent souvent par être hospitalisés suite à la mémorable fessée que les Bérets rouges (garde présidentielle) leur auront administrée. Pire, certains se font enlever et embastiller sans autre forme de procès. Prudence donc.

Les petites voitures tètent les camions

Prudence aussi quand tu sors de la ville de Conakry pour t’engager sur les routes de l’intérieur du pays. Inutile de te dire que ça roule très vite en dépit des routes déglinguées. Quand tu y rajoutes une surcharge quasi-permanente, l’indiscipline comme permis de conduire, des véhicules précambriens et le laxisme des services de sécurité, tu comprends pourquoi les routes guinéennes constituent une hécatombe.

C’est ici que les petites voitures peuvent téter les camions ! C’est l’expression employée par les conducteurs des poids lourds qui roulent la nuit en plein milieu de la chaussée et qui invitent les taxis intrépides à venir «téter» en dessous.

Prudence, enfin, devant des touffes d’herbes ou des rameaux jetés sur la chaussée. Il faut ralentir. C’est le triangle de signalisation qui indique qu’un accident vient de se produire tout près. Si les rameaux sont accrochés sur un véhicule, c’est qu’il transporte une dépouille mortelle.

Dernier petit détail : il est naïf de penser que les pompiers (certains pourraient rêver au SAMU) viendront te secourir en cas d’accident de circulation. Personne n’a leur numéro. Heureusement qu’ici tout le monde est secouriste, même si personne n’est formé pour.

Bienvenue dans la circulation routière en Guinée.

 

slateafrique.com

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