4 Mai 2010
Il est le nouvel homme fort de la Guinée, célébré par tous. Un nouveau dictateur en puissance ? Tous rêvent que non et assurent que ce militaire n’a jamais voulu du pouvoir.
Le peuple de Guinée s’est trouvé une nouvelle idole, Sékouba Konaté, général de son Etat, rentré d’Ouagadougou tout auréolé de gloire. Exit le capitaine Moussa Dadis Camara, dont les portraits, dans un strict treillis de combat, ornent encore les bureaux, les espaces publics, les artères de la capitale. Force graffitis sur des murs délavés, sur des banderoles défraichies, rappellent la ferveur qui a entouré, il n’y a guère, le jeune capitaine intrépide, enivré par son succès. Il a alors gonflé, gonflé, de Dadishow à la télévision au traitement en public des affaires de l’Etat, jusqu’à ce qu’une balle mal ajustée, à défaut de le tuer, en ait fait une pâle copie, lui qui avait bâti sa réputation sur son intrépidité, son arrogance et ses certitudes.
A peine écarté, voici que la Guinée, décidément sourde au conseil de Barack Obama disant depuis Accra que l’Afrique a besoin d’institutions fortes et non d’hommes forts, s’est donnée une nouvel homme providentiel.
Pouvoirs forts
C’est la réminiscence des pouvoirs présidentiels, toujours forts, que le pays a connus. Celui de Sékou Touré d’abord. Premier président de la Guinée, l’homme du « non » à De Gaulle, qui a fait la fierté de tous les progressistes africains, et a rapidement mué en un dictateur sanguinaire.
Puis c’est un duo militaire qui s’empare du pouvoir le 3 avril 1984. Le colonel Lansana Conté est président, le colonel Diarra Traoré Premier ministre. La cohabitation ne dure guère. Le 18 décembre, Conté écarte Traoré en supprimant le poste de Premier ministre. Traoré essaie le 4 juillet de reprendre le pouvoir. La tentative échoue. Il est arrêté et exécuté avec des dizaines de compagnons. Conté peut, à son tour, régenter la Guinée à sa guise. Un règne sans partage qui « gèle » pratiquement le pays pendant un quart de siècle.
Président potiche
Conté, tombé malade, n’est plus qu’une potiche, manipulée par son entourage. Un fantôme conduit le pays jusqu’à sa disparition en décembre 2008. Un Noël bien singulier. Comme dans la Côte d’Ivoire voisine en 1999, le père Noël est en kaki. Un trio s’invite au réveillon et s’accapare le pouvoir.
C’est le moins gradé des trois qui prend pourtant la tête, le jeune capitaine Moussa Dadis Camara. « Le général Konaté a été l’un des éléments moteurs de la prise du pouvoir, pour ne pas dire l’épine dorsale », atteste le colonel Moussa Keïta, ministre secrétaire permanent de la junte. Plusieurs explications sont avancées quant à son refus de prendre le pouvoir, alors même que, par sa position de commandant du Bataillon autonome des troupes aéroportées (BATA), l’unité d’élite de l’armée guinéenne, il avait toutes les armes en main.
Ses relations avec deux hommes d’affaires d’origine libanaise, Roda Fawaz et Ali Saadi, consuls honoraires de Guinée au pays des Cèdres, font également jaser. Il aurait cherché à leur donner le juteux approvisionnement du pays en riz et en hydrocarbures.
« C’est un homme simple, qui n’aime ni le pouvoir, ni les honneurs. Ce qu’il veut, c’est recommencer à aller tranquillement dans les maquis avec ses amis », disent ses proches. « Il n’y a pas d’homme sans ambition », rectifie un de ses proches, le colonel Keïta.
Déjà, rappelle-t-on, sous Conté, il avait eu la possibilité de prendre le pouvoir, mais s’y était toujours refusé. Peut-être, prudent, les faits semblent lui avoir donné raison, préférait-il rester ministre de la Défense pour continuer à contrôler l’armée.
Ses rapports avec Conté sont un autre mystère. L’ancien président a été son tuteur à la mort de son père, en 1982, témoignent les habitants de son quartier d’enfance, Bolbinet, à Conakry. A la demande de Sékou Touré assurent d’aucuns. Est-ce lui qui le pousse dans l’armée peu après son accession au pouvoir en 1984 ? Ou alors le souvenir d’un père qui fut également militaire ?
Ayant rejoint l’armée après son baccalauréat, Konaté fait un brillant parcours. Une bonne formation d’abord. Académie royale de Meknès, au Maroc, cours d’application à Montpellier, section parachutiste à Pau, 1er degré à Mont-Louis et enfin, cours supérieur de guerre en Chine.
Parrain méfiant
Cette formation, autant que le parrainage du président de la République et du chef d’état-major et futur ministre de la Défense, le général Kerfala Camara, un ami de sa famille, explique sa belle carrière. Néanmoins, le général Conté se méfie de lui. Peut-être parce qu’il se méfiait instinctivement des militaires brillants. Ses nombreux stages, comme ses affectations loin de Conakry, notamment aux frontières avec le Liberia et la Sierra Leone, où il gagne son titre de « tigre » et le respect de ses soldats dans la lutte contre les envahisseurs, en procéderaient. Son implication supposée dans les mutineries de 1996, qui lui vaut un court séjour en prison, semble donner raison au méfiant parrain. Ce qui ne l’empêche pas de l’appeler à la rescousse pour mater, entre décembre 2006 et janvier 2007, une série de mutineries, et de prendre enfin le commandement du Bataillon autonome des troupes aéroportées (BATA).
Konaté est un mystère. A commencer par sa date de naissance. 1964 ou 1966 selon les sources. Le père est, en revanche, connu. Un militaire qui avait baroudé avec l’armée française avant de rentrer au pays, après l’indépendance. Il est malinké, musulman, originaire de Kankan à l’est. Sa mère est une métisse libano-guinéenne, chrétienne. Une famille aisée où il mène une enfance agréable.
Konaté est le nouvel homme providentiel que la Guinée attendait. Il a eu les mots qu’elle espérait. « Soyons une armée républicaine, notre pays a trop souffert, la population civile a trop souffert des agissements de certains de nos camarades. »
Fermeté
La réorganisation de l’armée semble être sa première préoccupation. « Nous avons quatre priorités : la reconstruction des camps, la formation des hommes, l’équipement des hommes et le renforcement de la discipline, parce qu’un militaire sans formation, c’est un criminel. »
Même fermeté dans le champ politique. A Ouagadougou, l’issue heureuse des négociations n’était pas acquise. Le médiateur, curieusement, entendait faire une place dans la transition au président Camara. Il a été ferme, assurent les sources proches de la négociation.
Dans l’euphorie qui a saisi autant les Guinéens que la communauté internationale, il est heureusement quelques prudents. Parmi eux, le vice-président de l’Union des forces démocratiques de Guinée : « Je me méfie toujours des premières déclarations des militaires qui arrivent à la tête d’un Etat en Afrique. Le général Konaté prêche la bonne parole dans les casernes, mais je préfère attendre. »
Il est d’autres ombres au tableau. Lors de l’attentat contre Camara, le général se trouvait au Liban. En mission officielle, prétend-on à Conakry. Plutôt pour ses affaires personnelles, avancent d’autres. Le général serait, selon eux, plus attiré par l’argent que par le pouvoir. Il détiendrait des biens immobiliers importants au Maroc. Ses relations avec deux hommes d’affaires d’origine libanaise, Roda Fawaz et Ali Saadi, consuls honoraires de Guinée au pays des Cèdres, font également jaser. Il aurait cherché à leur donner le juteux approvisionnement du pays en riz et en hydrocarbures.
Ce militaire n’aime pas le pouvoir, répète-t-on à l’envi à Conakry, comme pour exorciser le mal. C’est tout le mal que l’on peut souhaiter, pour qu’enfin, cinquante ans après l’indépendance, la Guinée sorte de la dictature.