24 Octobre 2010
A 60 ans, Youssouf Sano vit pour la première fois une élection présidentielle libre en Guinée. Mais cet habitant de Conakry ne supporte plus la campagne et ses affrontements politiques ou ethniques, "pas beaux à voir", alors que le second tour du scrutin se fait attendre.
Longeant une rue transformée en terrain de football, Youssouf Sano, perdu dans ses pensées, marche en direction du bord de mer.
"Ce qui me préoccupe, c'est l'insécurité, parce que les deux candidats (Cellou Dalein Diallo et Alpha Condé) n'arrivent pas à canaliser leurs militants", dit ce professeur de lycée, regard grave derrière ses fines lunettes, qui s'annonce d'ethnie "malinké", prêt à voter pour l'opposant historique Alpha Condé.
Pour lui, "le report du second tour était nécessaire", car "la Commission électorale n'avait rien fait, que mentir à la télévision!". Mais quoi qu'il arrive, dit-il, "plus besoin de campagne", car "ce qui s'est passé n'était pas beau à voir: les affrontements politiques et ethniques très graves pour le pays!"
Né au temps de la colonisation française, ce professeur dit que les violences ethniques sont revenues "de temps en temps, dans l'histoire du pays". Les Guinéens ne veulent pourtant "que la paix, base de tout développement", affirme ce malinké dont la femme est d'ethnie soussou.
Vendredi, il a eu "très peur" quand des dizaines de militants du parti de Condé ont été hospitalisés pour des vomissements ou des maux de ventre, après avoir consommé des boissons au cours d'un meeting.
La rumeur a alors couru que "les peuls du parti de Cellou Dalein Diallo avaient empoisonné l'eau", déclenchant des agressions contre les Peuls à Conakry, Kankan (est) ou Siguiri (nord-est),
Partant boire un verre au bord de l'Atlantique, deux jeunes femmes enjouées tiennent à peu près le même langage que le professeur malinké, bien qu'elles soient d'ethnie peul, partisanes "à 100%" de l'ancien Premier ministre Cellou Dalein Diallo.
Sac doré assorti à ses souliers, Massoud Barry, employée au port de commerce, estime qu'il "faut arrêter toute campagne pour calmer la population", "chacun chez soi avec sa conviction".
"Des femmes nous injurient quand elles nous entendent parler notre langue, elles traitent les Peuls de singes ou de Chinois, disant que nous sommes trop nombreux. C'est nouveau!", assure cette jeune femme de 30 ans.
"On a été dirigé par Sékou Touré (1958-1984), malinké, le général Conté (1984-2008), soussou, le capitaine Camara (2009), guerzé, le général Konaté, malinké... Mais, en fait, nous sommes tous des Guinéens et ils ne peuvent pas nous chasser!", dit-elle.
Sa nièce, Kadiatou Barry, 21 ans, se montre elle des plus optimistes: "On sait qu'il y aura des contradictions mais ça va aller, avec un civil à la tête du pays". "C'est difficile, la démocratie, on s'est lancé là-dedans sans connaître. Depuis 50 ans, on n'avait que des régimes qui s'imposaient aux populations", dit cette élégante étudiante en sciences juridiques, déplorant "un manque d'instruction" dans le pays.
Dans les ruelles du quartier Sandervalia, le débat politique prend parfois une drôle de tournure. "Il y a tellement de tensions, le général Sékouba Konaté aurait dû éliminer les deux candidats!", lance un homme, sous couvert de l'anonymat.
Ibrahima Sory Bangoura, soussou, ne veut plus qu'une chose, "qu'on arrête les campagnes et qu'on vote!" "Nous n'avons besoin que de développement", dit cet enseignant de 32 ans, face aux baraques couvertes de tôles qui parsèment sa capitale.