23 Juin 2010
A cinq jours de l’élection présidentielle guinéenne, Conakry, la
capitale, est dans l’attente d’un ralliement des 24 candidats qui continuent d’investir le pays profond. Notre envoyé spécial revient ici sur l’ambiance dans la capitale, la multitude de
candidature, leur raison, le contenu programmatique...
Conakry. La capitale guinéenne est dans l’attente de l’arrivée des différents candidats à la présidentielle de dimanche prochain. Toujours en brousse, parcourant le pays d’est en ouest, du nord
au sud ou ses quatre régions naturelles, les 24 candidats semblent avoir atteint leur vitesse de croisière tant la course de fond est encore longue. Débutée quasiment depuis le 17 mai dernier,
elle se poursuivra d’ailleurs jusqu’à la veille de la présidentielle. Soit 40 jours d’une campagne électorale qui n’a pas encore livré tous ses secrets.
Certains des candidats semblent déjà à bout de souffle ou en manque d’imagination à regarder l’utilisation qui est faite de leur temps d’antenne. Avec cinq minutes impartis à chacun des
candidats, le « Journal de la campagne » de la Radio télévision guinéenne (Rtg) dépasse largement les deux tours d’horloge et attire l’attention. Certains candidats ont simplement choisi
d’embellir leur image et de procéder à des montages de leur tournée dans les villes, villages qu’ils parcourent. Toujours l’indispensable invite à voter pour eux, bien spécifiant la case qui
correspond, sur le spécimen du bulletin de vote, à l’endroit qu’il faudra cocher. Les photos de tous les candidats sont également bien visibles.
D’autres ont choisi de parler en langues nationales pour certainement atteindre et convaincre le maximum des 4.297.688 électeurs inscrits dont 121.177 à l’étranger. Il est difficile de cerner le
contenu des programmes des candidats. D’autres s’ingénient néanmoins à en présenter quelques lignes. L’accent est surtout mis sur la volonté de présenter untel ou un autre comme le meilleur
candidat. Les slogans sont utilisés à outrance et des phrases chocs toutes trouvées. Le journal de la campagne de la Rtg ne reflète néanmoins pas le contenu programmatique des candidats.
Un dénominateur commun pour l’essentiel des candidats : une nécessité de consolider le tissu social et la cohésion nationale, une volonté de faire de l’armée guinéenne une armée républicaine. Ils
prônent également l’instauration d’un Etat fondé sur le droit et la séparation effective des différents pouvoirs. L’accès à l’eau potable, aux services sociaux de base, la lutte contre la
corruption, l’amélioration du cadre de vie sont évidemment au cœur du discours politique.
« La différence se fera sur la refondation du mode de gouvernance ; ce qui veut dire qu’il faudra une rupture avec les modes traditionnels. Je veux dire que cette rupture ne se fera pas sur une
négation systématique des acquis du passé, mais il s’agira de se pencher sur les tares et insuffisances des différents régimes politiques et qui ont pour noms : une gouvernance fondée sur
l’ethnie, l’impunité, le népotisme, la corruption... », Souligne l’analyste politique Thierno Diallo, également membre de l’Organisation guinéenne de défense des droits de l’homme (Ogdh). La
rupture à laquelle appelle M. Diallo ne se fera pas, quel que soit le candidat élu, sans une « volonté et un courage politiques ».
Nous n’en sommes pas encore là et il faudra, au-delà de ces considérations, que l’élu puisse apporter un léger mieux au quotidien des populations encore en proie à toutes sortes de difficultés.
Le constat d’un manque de tout (eau, électricité, moyens de locomotion...), dressé en janvier dernier, est encore plus que réel. Les choses ont même empiré, répondent en chœur les populations
interrogées.
A cinq jours du scrutin qui pourrait se jouer en deux tours, Thierno Diallo ne manque pas de tirer, avec bonheur, un enseignement de taille sur la présente campagne. « De mémoire de Guinéen, il
s’agit de l’une des rares fois ou une campagne électorale se déroule sans heurt, sans affrontement suivi de blessure ou mort d’homme. Nous étions habitués plus à des confrontations de militants
rivaux. Le déroulement de cette campagne nous fait penser que la situation de violence entre 1992 et 2008 était le fait du parti au pouvoir et des membres de l’administration du territoire à tous
les niveaux, mais aussi des services de maintien d’ordre. Cela est d’autant plus évident que le parti au pouvoir (Ndlr : parti de l’unité et du progrès) est aujourd’hui réduit à sa plus simple
expression même s’il est engagé dans la course. L’Etat est au-dessus de la mêlée et non partisan », se félicite M. Diallo.
L’absence de violences physique ou verbale ne permet pas au Guinéen d’y voir clair sur les promesses de la pléthore de candidats qui, pour la plupart, ont été ministres ou chefs de gouvernement
sous Lansana Conté. Les observateurs s’accordent à dire que seuls sept candidats au maximum, parmi les 24, ont une « envergure nationale ». Ce sont eux d’ailleurs qui polarisent l’attention de
l’opinion nationale et internationale. L’explication de cette multitude de candidatures, malgré une caution jugée salée de 400 millions de francs guinéens, obéit à la volonté de prendre part au
premier scrutin organisé sans que l’Etat soit partisan. Cette absence de l’Etat suscite un regain d’espoir chez certains qui ont une possibilité de jauger, pour une fois, leur capacité à
mobiliser.
Certains encore dénoncent une stratégie de gens tapis dans l’ombre de susciter des candidatures pour éventuellement nouer des alliances et négocier, en cas de second tour, des strapontins. A
noter qu’une seule dame est à la ligne de départ, Mme Saran Daraba Kaba, leader de la Cdp.
La campagne d’affichage tous azimuts des différents candidats vantant leur mérite dans les panneaux publicitaires de la ville ou dans les murs ne convaincra pas sur le choix le plus judicieux
pour la Guinée.
« La position partisane des militants est essentiellement fondée sur l’ethnie et la région. Il est plus facile de dire que je vote pour untel parce que nous sommes de la même ethnie et ou de la
même région que de dire que je vote pour tel programme », reconnaît Thierno Diallo. La question reste de savoir si le fort repli identitaire pourra peser sur la balance pour qu’un candidat
l’emporte haut la main au 1er tour, étant entendu que c’est l’enrôlement et non les mouvements de foule qui sera déterminant.
La plupart des Conakryka interrogés balaient d’un revers de main des lendemains de scrutin difficile. Ils s’accordent à dire que les élections seront transparentes, à moins des imperfections et
couacs qui n’affecteront pas leur validité.
POUR UNE GUINÉE NOUVELLE : Le CNT lance le processus de réconciliation
Réconciliation. En cinq syllabes, les autorités guinéennes de la transition veulent imprimer une nouvelle marche à la Nation. Tout un contenu et une œuvre à réaliser indépendamment du président
qui sera élu. L’essentiel est d’« exorciser les démons du passé » pour une Guinée réconciliée avec elle-même. A l’initiative du Conseil national de transition (Cnt), le processus de
réconciliation national a été lancé par les autorités à six jours de l’élection présidentielle.
« La Guinée, pour son équilibre, doit avoir le courage d’affronter son passé. Nous commettons tous des erreurs, mais chacun est appelé à plus de tolérance et de générosité pour que la
cohabitation soit possible. Il nous faut aujourd’hui avancer dans le temps pour ne pas en être l’otage ». Ces mots du général de brigade, président par intérim de la Guinée, Sékouba Konaté, tenus
avant-hier au Palais des Congrès à Conakry, sonnent comme un aveu. Un aveu de taille. Mais surtout comme une invite non seulement à respecter ce « devoir de mémoire »¸ mais à « tirer les leçons
du passé ».
Dans une salle archi-comble ou ont pris part membres du gouvernement, du corps diplomatique, de la société civile, des représentants des formations politiques, du clergé, le président par
intérim, le président de la République, en treillis et très ovationné par un public acquis à sa cause, est largement revenu sur la douloureuse histoire guinéenne. Il a d’emblée sollicité une
minute de silence à la « mémoire des compatriotes disparus, parfois dans des moments tragiques, comme ceux du 28 septembre 2009 ( Nlrd : massacre de populations et de leaders politiques au stade
qui porte le même nom) ».
Mettant le doigt dans la plaie, il s’est plu à rappeler le drame guinéen : « très souvent, nous avons voulu bâtir notre bonheur sur le malheur des autres ». Une attitude qui a entraîné des
violations systématiques de droits humains et du citoyen. Aussi a-t-il fustigé le fait que la « volonté du chef compte plus que tout dans notre société ». Les populations ne sont pas en reste
puisqu’elles ne devraient pas, selon le général Konaté, condamner les dirigeants sans se condamner elles-mêmes. Très en verve, le brigadier a accusé le « silence » et la « complicité » coupables
des populations. Les dirigeants, de Sékou Touré à Moussa Dadis Camara en passant par Lansana Conté, ont chacun en ce qui le concerne essayé d’inscrire leurs actions, bonnes ou mauvaises pour le
rayonnement de la Guinée, selon Sékouba Konaté.
Pour le président guinéen, le premier président est le « père de l’indépendance », tandis que l’avènement de Conté a « suscité un immense espoir, avec notamment un retour noté de longs exils de
populations guinéennes ». Moussa Dadis Camara, dont l’évocation du nom a suscité une salve d’applaudissements très nourris dans la salle, a été « accueilli en héros avec la possibilité de pouvoir
conduire le pays vers des élections démocratiques et transparentes ».
Pour lui, tous les présidents guinéens ont fait de leur mieux. Et de se demander à qui la faute face à l’échec. Pour le président intérimaire, les dirigeants ont été « enfermés dans la solitude
du pouvoir avec une cour de partisans qui chantaient leurs louanges ».
L’essentiel est, avec le lancement du processus national de réconciliation, d’« éviter les erreurs du passé ». Puisque le « besoin de vérité et de justice » est impératif pour le Conseil national
de la transition (Cnt).
« L’amertume du passé ne doit pas peser sur notre avenir. Il nous faut un effort de pardon et de tolérance pour construire notre pays. Je constate que les forces de défense et de sécurité sont à
l’avant-garde de la démocratie. Il nous faut regarder devant plutôt que de s’attarder sur un passé de remords », a encore exhorté le président. Pour lui, le seul défi est de se réconcilier pour «
libérer la patrie » en vue de « bâtir une société de prospérité, d’égalité et de tolérance ». Pour se faire, dira-t-il, il faudra se pardonner les fautes et les crimes. Il s’est largement
félicité de la prochaine élection présidentielle du 27 juin dont il sera le « grand gagnant », selon nombre d’observateurs.
A l’initiative de la Commission réconciliation et droits humains du Conseil national de transition (Cnt), la journée a pour objectif, selon la présidente du Cnt, Hadja Rabiatou Diallo, d’«
amorcer un dialogue national franc et objectif dans un cadre institutionnel porteur de démocratie ».
« Le temps est venu pour une réconciliation fondée sur la paix et la justice. Cette réconciliation exige des réparations matérielles et morales des préjudices subis conformément aux accords de
Ouagadougou », a estimé Rabiatou Diallo.
Tout en saluant l’initiative des autorités guinéennes, certains ne manquent pas d’émettre des réserves par rapport à la démarche empruntée pour cette réconciliation. « Il ne s’agit pas pour le
président de demander pardon. Il faut simplement que les bourreaux reconnaissent leurs crimes et que les victimes bénéficient d’une réparation. Je crains que l’on n’escamote le processus »,
semble regretter un Guinéen d’un âge mûr qui dit avoir vécu de pires moments dans l’histoire de son pays. Il rappelle simplement que le passif humanitaire de victimes disparues a été estimé à
50.000 disparus sous le régime de Sékou Touré, et met en garde contre le négationnisme du Parti démocratique guinéen (Pdg), dirigé aujourd’hui par Mohamed Touré, fils du premier président.