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La Guinée nouvelle

RAPPORTS SUR LES MASSACRES EN GUINEE: La transition face au piège de la justice

La commission d’enquête chargée par la junte de se pencher sur les crimes du stade du 28 septembre de Conakry vient de déposer son rapport. Il prend à contre-pied celui de la commission d’enquête internationale diligentée par les Nations unies et publié précédemment. Les deux versions se contredisent tant au plan des chiffres que du fond. Le rapport issu de l’enquête commandée par la junte disculpe presque les principaux dirigeants militaires. Cependant, il charge le lieutenant Toumba, auteur de la tentative d’assassinat du capitaine Dadis dont il était l’aide de camp.


Un rapport "bien arrangé" qui s’attaque également à des responsables des Forces vives. Avec ce rapport, les militaires disposent aujourd’hui d’une munition qui leur permettra de négocier ferme pour couvrir leurs arrières. C’est de bonne guerre : les militaires protègent les leurs comme en réponse aux charges de la commission internationale qui ne les ménage pas. Dans la foulée de la transition, on va jusqu’à préconiser une amnistie générale.


Toutefois, ce rapport pose problème car il constitue un précédent dangereux. Il donne raison à ceux qui n’ont jamais fait confiance en la justice africaine, généralement considérée comme une justice aux ordres. Dans ce rapport, les victimes sont coupables de leur propre sort. Mais était-ce vraiment opportun de le publier dans un tel contexte ? Quelle sera la réaction des Forces vives ?


Ce rapport tombe à un moment bien particulier et ce n’est pas le fait du hasard. Pourquoi ne s’être pas contenté d’un rapport indépendant ? Pourquoi cette précipitation ? Aurait-on cherché à doubler l’enquête de la communauté internationale qui accable le chef de la junte et ses sbires ? Par ce rapport, la Guinée s’est "auto-caressée" dans le sens du poil. En se précipitant pour assurer sa défense, la junte montre qu’elle n’a pas définitivement renoncé à la gestion du pouvoir d’Etat. Certes, elle lâche du lest en cédant le pouvoir au civil. Toutefois, elle demeure sur ses gardes et pourrait le cas échéant, faire valoir ses prétentions. En effet, l’heure est présentement à la transition et le contexte nous paraît très difficile. D’un côté, l’armée tente de renforcer sa cohésion. De l’autre, la fièvre de la politique politicienne gagne jour après jour les rangs des civils qui éprouvent du mal à gérer leurs rivalités habituelles. Nouveau chef de la junte et nouveau patron du pays en tant qu’intérimaire du capitaine Dadis Camara en convalescence à Ouaga, le général Sékouba Konaté a jusque-là fait la preuve qu’il a un sens élevé de l’Etat. Officier supérieur, il entend à la fois réhabiliter l’armée et rebâtir l’Etat en déliquescence. Pour ce faire, il a prévu de mettre l’accent sur la formation des soldats afin de transformer progressivement l’armée guinéenne en une armée professionnelle, davantage soucieuse des libertés publiques, et de la construction d’un Etat de droit démocratique. Un travail de fourmi qui va sérieusement occuper les hommes en uniforme. Le général Sékouba Konaté, également ministre de la défense, tient un discours rassembleur. Ces derniers temps, il a cherché à galvaniser la troupe en lui insufflant la nécessité de réinstaurer la discipline, d’inculquer l’esprit de famille et le patriotisme au sein de la grande muette. Selon lui, des chantiers se poursuivent pendant que d’autres sont envisagés qui permettront de reconstruire les casernes négligées par les pouvoirs précédents. En ce qui les concerne, les civils, eux, se rendent bien compte que la transition n’est pas si facile à gérer. Beaucoup d’obstacles devront être franchis. Le pays reste encore divisé pour toutes sortes de raisons : tiraillements entre soldats et civils, divergences entre partis politiques, divergences entre syndicats, divergences entre syndicats et partis politiques, divergences au sein de l’armée, rivalités ethniques, etc. Par ailleurs, la transition devra faire face au grand dilemme : ou l’on tient à la justice, et l’on compromet la transition ; ou encore l’on veut d’une transition apaisée et l’on sacrifie la justice. Où et comment trouver la ligne médiane ? Telle semble être la question. Pourtant, seule une issue heureuse permettra de sortir la Guinée des méandres du sous-développement.


Si les Guinéens tiennent à des élections libres et transparentes, il leur faudra mettre les bouchées doubles pour évoluer sereinement pendant la transition. Mais les pièges sont là, nombreux : ceux de la justice, de la diversion, des mesquineries et autres règlements de compte susceptibles de compromettre l’exécution de la feuille de route. Certes, les Accords de Ouagadougou ont balisé la voie ; mais le dur chemin de la sortie de crise passe par un apaisement des cœurs. Il faudra bien de la patience, de la rigueur, et surtout du tact, de l’ouverture d’esprit et de la tolérance. La mission des Forces vives se révèle donc fort délicate. Le gouvernement de Jean Marie Doré doit éviter de se laisser piéger. Le temps est court et les délais vite expirés. Savoir aller à l’essentiel aidera à mieux préparer le transfert du pouvoir. En ce qui concerne les dossiers relatifs aux crimes de sang et aux crimes économiques, ils ne doivent pas rester impunis. Le pouvoir issu des urnes après la période de transition, pourra statuer sur leur cas. Sous peine d’avoir maille à partir avec l’armée, les Forces vives et la communauté internationale. La vigilance sera donc de mise sitôt le nouveau pouvoir républicain mis en place.


La publication du second rapport coïncide avec la fin des travaux du sommet de l’Union africaine (UA), dont les dernières résolutions sont porteuses d’espoir. Il est en effet question de mettre sous quarantaine les régimes issus de coups d’Etat ou qui s’adonneront au tripatouillage de la Constitution. L’espoir est permis d’autant que la présidence de l’UA est désormais assurée par le tout nouveau président du Malawi, un Etat anglophone, membre de la toute puissante SADEC, Communauté économique des Etats d’Afrique australe. Des pays reconnus en général comme étant à cheval sur les principes, ce qui n’a presque jamais été le fort ni des francophones ni des arabophones au sein de l’UA. Pris ensemble, les deux rapports sur les massacres du 28 septembre incriminent donc les uns et les autres. Toutefois, ils ne devront pas raviver les passions. Aux Guinéens de cesser de jouer au chat et à la souris.


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