14 Avril 2011
Un câble américain révélé en novembre dernier par WikiLeaks disséquait la «nouvelle politique africaine» impulsée par le président français. Une fausse rupture, entre «calcul d’intérêts» et redéploiement militaire sous paravent onusien.
C’était bien avant qu’il n’endosse le costume de gendarme de l’Afrique pour prendre, sous couvert de l’ONU, la tête des expéditions militaires en Libye, puis en Côte d’Ivoire. Le 19 mai 2006, à Cotonou, le candidat Sarkozy promettait d’en finir avec la « Françafrique » et son cortège de « réseaux d’un autre temps », d’« émissaires officieux », de « complaisances » et autres « secrets ». Le candidat de la « rupture » projetait alors « une relation nouvelle, assainie, décomplexée, équilibrée, débarrassée des scories du passé ». En fait de rupture, la Françafrique a opéré, sous l’impulsion de Nicolas Sarkozy, une mutation destinée à adapter la relation de la France avec ses ex-colonies d’Afrique à la nouvelle donne internationale dessinée par la mondialisation. Objectif : établir une relation « décomplexée », résolument tournée vers le monde des affaires et la défense des intérêts des entreprises françaises, multinationales en tête. Une transformation tout en continuité, décrite par les câbles diplomatiques américains que révélait, en novembre 2010, la plate-forme WikiLeaks.
Une politique africaine qui ravit les États-Unis
Dans un document confidentiel transmis, le 1er août 2008, par l’ambassade des États-Unis à Paris, la diplomatie américaine dissèque « la révision de la politique africaine de la France » annoncée par Nicolas Sarkozy, qui prétend « nettoyer les ardoises, débarrasser les relations de la gueule de bois de l’ère coloniale ». Elle sonde son intention affichée de « normaliser » les relations avec les anciennes colonies françaises d’Afrique pour aller vers « une relation de type commercial », avec un « engagement fondé sur un calcul d’intérêts ». « Cette nouvelle politique ouvre, pour les États-Unis, l’opportunité d’étendre leur influence en Afrique sans se heurter à des résistances ou à des interférences de la part de la France », relève le câble.
Paris et Washington unis contre le « péril » chinois
En fait, analysent ses auteurs, « la politique de Sarkozy prend en compte les nouveaux acteurs en Afrique comme la Chine » et « les Français sont à l’aise avec une présence croissante des États-Unis en Afrique comme contrepoids à l’expansion régionale de la Chine ». La traditionnelle concurrence entre Paris et Washington laisse place, dans le schéma sarkozyste, à une alliance politique, économique, voire militaire, pour tenter de contrecarrer la montée en puissance de la Chine, devenue un acteur économique incontournable sur le continent. Un repositionnement stratégique qui colle parfaitement à la « nouvelle volonté américaine » de « partager le fardeau en Afrique », précise la note. Fardeau d’autant plus acceptable que Washington, qui cherche surtout à sécuriser ses approvisionnements énergétiques, souhaite étendre sa domination sur un golfe de Guinée riche en ressources pétrolières. Au final, se réjouit l’ambassade américaine, « la politique de Sarkozy laisse aux États-Unis les mains plus libres en Afrique, qui est de moins en moins le “pré carré” de la France ». D’ailleurs, l’Élysée affiche ouvertement son intention de partager le gâteau africain avec l’allié américain : un conseiller du président Sarkozy cité dans le câble insiste sur la nécessité de « se débarrasser » des « accords donnant à la France le monopole exclusif sur les ressources naturelles ».
Redéploiement militaire
Ce câble américain décrit ensuite la stratégie de redéploiement militaire poursuivie par Paris sur le continent africain : « Les Français envisagent de consolider leur présence militaire et veulent l’orienter vers des coopérations avec les ensembles sous-régionaux africains (Communauté des États d’Afrique de l’Ouest, Communauté de développement d’Afrique australe). Ils prévoient de concentrer leur présence militaire sur deux centres, l’un sur la façade atlantique (Sénégal ou Gabon), l’autre sur l’océan Indien (Djibouti ou le département français de l’île de La Réunion). »
Paravents européen et onusien
Mais surtout, analyse l’ambassade américaine, Paris recherche, dans le même temps, « un engagement plus grand de l’UE et de l’ONU pour (…) permettre à la France d’opérer discrètement sous couverture » de ces institutions. Par un actif « lobbying », la France cherche à « engager l’UE dans les crises », comme au Tchad et en Centrafrique avec l’Eufor. Elle veut également « accroître le rôle de l’ONU dans la gestion de crise, un processus déjà en place en Côte d’Ivoire avec les liens entre l’opération française Licorne et l’Onuci ». Avec cette stratégie, « les Français peuvent ainsi se réfugier derrière le paravent » européen ou onusien, indique le document. C’est d’ailleurs le mandat onusien autorisant Licorne à faire usage de la force pour « protéger les populations civiles » que l’Élysée, le ministère des Affaires étrangères et le ministère de la Défense n’ont cessé d’invoquer pour justifier les bombardements visant les positions de Laurent Gbagbo, puis l’aide française à la capture du président sortant accroché au pouvoir. Les considérations budgétaires, souligne le câble américain, ne sont toutefois pas étrangères à cette nouvelle stratégie militaire s’appuyant sur l’ONU et l’Union européenne, « le coût d’une présence militaire globale durable » devenant incompatible avec « les exigences européennes de limitation des déficits » et les politiques de coupes budgétaires.
Coûteuse opération Licorne
Le câble américain revient, bien sûr, sur la crise ivoirienne, élégamment décrite comme un « feu de brousse difficile et coûteux à éteindre ». Pour constater que « les Français sont très amers sur la Côte d’Ivoire, ancien joyau de la Françafrique, prise dans une spirale du chaos après la mort de l’un des plus grands défenseurs et bénéficiaires de la Françafrique, Houphouët-Boigny ». Commentant la présence militaire tricolore de longue durée sur les bords de la lagune Ébrié, les diplomates américains en poste à Paris calculent que « l’opération Licorne en Côte d’Ivoire, peut-être la dernière intervention militaire française unilatérale dans le style ancien, a coûté à la France environ 250 millions d’euros par an, soit plus de 1 milliard d’euros au total, sans résultats décisifs ». C’était avant que les forces françaises ne prêtent la main, « dans le style ancien », à l’assaut final à la résidence de Laurent Gbagbo.