4 Mai 2010
L’écrivain guinéen Tierno Monenembo a suggéré, lundi à Dakar, le remplacement
du militant politique par le militant culturel, pour réaliser ‘’pleinement’’ la ‘’présence africaine’’ dont les premiers jalons ont été posés par Alioune Diop (1910-1980).
‘’Pour réaliser pleinement cette présence africaine, le militant politique doit céder la place au militant culturel, le slogan de circonstance au discours de fond’’, a dit Monenembo dans une
communication intitulée ‘’les statues meurent aussi’’, dans le cadre du colloque sur l’œuvre d’Alioune Diop face aux défis contemporains.
‘’Pour les nouvelles générations, que retenir de ce géant qui se prenait pour un nain, de ce monumental travail de défrichage qui a fourni une aire et un socle à notre culture moderne ?’’, s’est
interrogé Tierno Monenembo.
Il a répondu à sa propre question en énumérant quelques ‘’idées-force’’ qui doivent être, pour les nouvelles générations, ‘’ce que la béquille est au mendiant’’.
Pour l’écrivain, ‘’inutile, ridicule, absolument improductif de nourrir des polémiques stériles avec l’Occident !’’. ‘’Ce n’est pas en haïssant l’Autre que nous allons nous libérer mais en
reprenant conscience de notre valeur historique et culturelle’’, a-t-il dit.
Tierno Monenembo a soutenu, au sujet de la colonisation et de l’esclavage, qu’ils ‘’ne représentent qu’une petite parenthèse’’, ajoutant : ‘’Nous pouvons parfaitement les surmonter en nous
appuyant sur notre solide héritage africain, le tremplin le plus sûr pour rebondir vers la modernité’’.
‘’Le legs traditionnel doit être minutieusement revisité certes mais il ne doit en aucun cas nous servir de refuge (…) Nous ne devons mimer ni les Blancs ni les ancêtres parce que nous ne sommes
si des Blancs ni des ancêtres mais des Africains d’aujourd’hui qui doivent certes s’inspirer du passé mais pour se prémunir des démons de l’avenir’’, a-t-il poursuivi.
Monenembo est revenu sur le rôle d’Alioune Diop dans l’éveil des consciences, le qualifiant pour cela de ‘’trésor’’ et de ‘’bâtisseur’’.
‘’Il ‘Alioune Diop) fait partie de ces rares personnes qui nous auront laissé quelque chose de valorisant, quelque chose d’impérissable, quelque chose qui nous soulage du chaos ambiant, quelque
chose qui nous venge des imposteurs et des tyrans’’, a-t-il lancé.
Il est maintenant possible, a-t-il indiqué, de ‘’percevoir dans toute sa dimension, la stature de ce monsieur. ‘’Maintenant que les faiseurs s’en sont allés, laissant derrière eux le poison de
leurs mensonges et le désastre de leur haine. On peut mesurer enfin la richesse humaine et l’œuvre colossale qu’il nous laisse’’.
Pour l’écrivain guinéen, ‘’il aura fallu du temps mais c’est comme ça, hommes ou objets, les trésors ne sont pas faciles d’accès et c’est bien mieux ainsi’’ .
Il a ajouté : ‘’Quoique sa création au sens littéraire du terme fut plutôt limitée (…), sa place dans la littérature négro-africaine, dans la culture négro-africaine plus généralement, n’en reste
pas moins essentielle’’.
‘’On a du mal à imaginer ce que, sans lui, serait devenue celle-ci, a souligné Tierno Monenembo. Née des vicissitudes de l’histoire, condamnée à labourer sur les terres ingrates du racisme et de
la colonisation, il lui fallait quelqu’un (quelqu’un de généreux, quelqu’un de disponible, quelqu’un de lucide, quelqu’un de minutieux) pour ramasser et engranger sa maigre et précieuse récolte
sans en perdre un grain’’.
Pour lui, ‘’Alioune Diop fut cet homme-là. En nous faisant don de sa personne, il restera, lui qui se méfiait des grands mots, notre éveilleur de conscience aussi bien que le gardien de notre
legs’’.
‘’S’il n’a été ni poète ni conteur ni dramaturge, la plupart de nos poètes, de nos conteurs et de nos dramaturges lui doivent leur venue au monde’’, relève l’auteur, estimant qu’en créant
Présence africaine en 1947, ‘’il a donné un abri à notre jeune littérature encore toute embryonnaire’’.
‘’En nous débarrassant de nos complexes, en nous réconciliant avec nos propres réalités, en forgeant notre personnalité (la vraie, pas celle issue des pommades du mimétisme et de la
dépigmentation, très en vogue, alors), la célèbre enseigne de la Rue des Ecoles nous a dotés d’une personnalité, c’est-à-dire de ce minimum de force intérieure sans laquelle nous ne pouvions
prétendre à une place dans le monde’’, a affirmé Tierno Monenembo.