11 Février 2010
Binyam Mohamed, Ethiopien ayant résidé en Grande-Bretagne, en est le personnage principal. Arrêté en 2002 en Pakistan, il est ensuite transféré au Maroc puis à Guantanamo en 2004, d'où il sera libéré sans inculpation en février 2009. De retour à Londres, il est alors décidé à se faire justice. Il veut tout révéler et raconter les tortures qu'il a subies au Pakistan et au Maroc avec, assure-t-il, la complicité de la Grande-Bretagne.
Pendant un an, le gouvernement britannique tente d'empêcher la publication de tout document compromettant au nom du secret d'Etat et de la "sécurité nationale". Mais la cour d'appel de Londres en décide autrement et oblige, mercredi 10 février, le ministère des affaires étrangère à publier des documents classifiés. Ces documents, prouvant les tortures, ont été remis au MI5 (services secrets britanniques) par la CIA via un certain "témoin B.", qui avait conduit les interrogatoires au Pakistan.
DES AGISSEMENTS "CRUELS, INHUMAINS ET DÉGRADANTS"
Ils révèlent que le MI5 était au courant que M. Mohamed a été victime, notamment, de privations de sommeil, de menaces de "disparition", et qu'il était en outre "enchaîné lors de ces interrogatoires". Des agissements "cruels, inhumains et dégradants", selon les juges, qui concluent que "les autorités britanniques étaient impliquées et ont facilité l'administration de cette torture dont Binyam Mohamed, sous contrôle des autorités américaines, était victime".
Une histoire tragique, mais ce n'est pas tout. Dans sa version originale, et avant que le gouvernement intervienne, le jugement de la cour d'appel était encore plus sévère. Les médias britanniques ont révélé l'existence d'une lettre faisant état de négociations privées entre le président de la cour d'appel et l'avocat de l'Etat britannique quelques jours avant le rendu du jugement final.
Jonathan Sumption, conseiller de la reine, a écrit aux juges le 8 février, leur demandant de "bien considérer cette lettre avant d'établir leur jugement définitif". Il leur demande de revenir sur un passage précis du jugement qui, outre le fait d'être selon lui infondé, constitue une "critique exceptionnellement dommageable de la bonne foi du MI5".
UN PARAGRAPHE ENTIER SUPPRIMÉ
Dans ce passage, le président de la cour d'appel écrit que les services secrets britanniques ont "entretenu une culture de la répression et du mépris des droits de l'homme", et "délibérément induit en erreur une commission parlementaire sur la torture". Il assure aussi que le fameux "témoin B." n'a pas agi seul mais que, au contraire, son comportement est "caractéristique du [MI5] dans son ensemble" et que l'on ne peut donc accorder aucune confiance aux services secrets britanniques.
M. Sumption demande, au terme d'une lettre de trois pages, "à la cour de reconsidérer si le paragraphe est nécessaire à la décision et s'il rend vraiment justice aux protagonistes". Les juges ont purement et simplement supprimé le passage concerné. La partie civile ainsi que les médias britanniques, après avoir pris connaissance de cette lettre, les ont appelés à revoir leur décision. Ils doivent se réunir vendredi pour considérer une nouvelle fois l'affaire et décider s'ils doivent publier ou non l'intégralité du paragraphe concerné.