La Guinée nouvelle
21 Mai 2011
Un enquêteur de Guidepost Solutions serait déjà parti en Guinée... La rumeur court, à New York. Maintenant que les premiers éléments du dossier d'accusation, validés par le grand jury, sont accessibles à la défense de Dominique Strauss-Kahn, ses avocats peuvent réfléchir à leur stratégie. Elle dépendra, en grande partie, de ce que les limiers de Guidepost auront déniché lors de l'enquête qu'ils mènent à décharge.
Ils sont payés pour répertorier tous les éléments permettant soit de disculper DSK lors d'un procès, soit de permettre à ses avocats de négocier dans la meilleure position de force un accord amiable avec le procureur pour réduire les charges à l'encontre de leur client. D'où la nécessité d'enquêter dans le pays d'origine de la jeune Guinéenne qui affirme avoir été sexuellement agressée par l'ex-patron du Fonds monétaire international (FMI).
Guidepost Solutions, à laquelle se sont adressés les avocats de DSK, est une société de sécurité et d'investigation où, première surprise, la quête d'informations liées aux délits de droit commun - catégorie à laquelle ressort l'accusation de viol - ne constitue qu'une très petite part des activités. Le gros de son chiffre d'affaires et lié à la mise en place de systèmes de sécurité technologique pour les entreprises, à la protection de leurs avoirs et de leurs dirigeants, aux enquêtes sur les crimes financiers, à l'expertise comptable et informatique, au "business intelligence" ainsi qu'aux "enquêtes en entreprises" et à la collecte d'informations électroniques, comme l'explique sa plaquette. On l'a compris, il s'agit d'espionnage et de contre-espionnage industriel.
Son président, Bart Schwartz, est un ancien patron de la division criminelle du bureau du procureur de New York, spécialisé dans la criminalité financière et en entreprise. Son adjoint, Joseph Rosetti, a été le chef de la sécurité d'IBM pour le monde. Son directeur général, Andrew O'Connell, est un ex-procureur fédéral et"agent spécial du United States Secret Service", l'agence chargée de la protection rapprochée des personnalités, à commencer par le président du pays. Ses autres principaux dirigeants sont un juriste spécialiste des affaires de corruption et deux experts (de protection physique des locaux et des télécommunications). Le siège de la firme est à New York, elle détient des filiales à Washington et dans cinq grandes villes américaines. Elle a refusé nos demandes d'entretien et le nombre de ses salariés n'est pas divulgué. Comme ses consoeurs, dont la plus connue est Kroll, elle est extrêmement discrète.
Selon un juriste ayant travaillé dans une firme du même type, les deux premières pistes que suivront les enquêteurs des avocats de DSK consisteront, d'une part, à démolir le témoignage ou la personnalité de la plaignante et, de l'autre, à remettre en cause la validité des "preuves matérielles" de l'accusation. "Face aux jurés, dit-il, quand on ne peut pas "contrer" les faits - et en cas de viol, c'est souvent parole contre parole -, on s'attache à discréditer le témoin de la partie adverse." Fouiller en Guinée le passé de la plaignante - cette jeune femme de 32 ans surnommée "Ophelia" à l'Hôtel Sofitel où elle travaillait et arrivée à 19 ans aux Etats-Unis - constituera donc une des premières pistes des enquêteurs. Y a-t-elle commis un larcin ? Fraudé, ou signé une déclaration mensongère, quel qu'en soit le motif ?"Trouver un faux, même anodin, même commis à 18 ans, serait très intéressant. Cela permettrait de dire aux jurés : si elle a menti une fois, pourquoi ne mentirait-elle pas de nouveau ?" Or, dans un procès, la défense n'a qu'à instiller un doute, les jurés devant prononcer la culpabilité à l'unanimité.
De même, les enquêteurs vont-ils chercher dans l'entourage de la plaignante tout élément à décharge en faveur de Dominique Strauss-Kahn ou pouvant jeter sur elle le discrédit depuis son arrivée aux Etats-Unis, il y a treize ans.
"Se salir les mains"
Ils vont aussi confier à des experts de leur choix l'établissement de rapports contredisant partiellement ou frontalement ceux établis par le laboratoire de médecine légale du procureur - toujours dans le but d'instiller un doute. Ils exigeront de la direction du Sofitel d'accéder à la suite où le viol se serait déroulé. Si elle refuse, les avocats de DSK saisiront le juge pour qu'il force l'hôtel à s'y soumettre. Une fois dans les lieux, et connaissant le rapport médico-judiciaire de l'accusation, ces experts chercheront tout ce qui pourrait s'interpréter en sens contraire.
"Procureurs et avocats doivent respecter des règles légales. Eux peuvent se salir les mains", juge notre interlocuteur. Il connaît un cas où un témoin a reçu des messages téléphoniques anonymes pour qu'il craque. Mais avec la multiplication des écoutes, la méthode est tombée en désuétude. Si la direction du Sofitel a donné l'ordre au personnel de ne parler à quiconque, ils peuvent glisser un billet, puis un autre, pour obtenir des informations. Pourraient-ils soudoyer un témoignage ? "Ce serait très dangereux, ajoute-t-il. Si le "proc" vous pince, vous perdez votre réputation et votre client est foutu."
L'objectif de ces enquêtes est d'aider les avocats à se déterminer. Si les éléments nouveaux qu'ils décèlent peuvent faire pencher la balance au procès et si la plaignante est perçue comme friable, la propension à plaider non coupable en sera renforcée. Si c'est l'inverse, les avocats peuvent changer de stratégie et chercher à négocier une culpabilité sur des chefs d'accusation plus mineurs. Et combien coûte le recueil de ces éléments d'"aide à la décision" ? Une firme dotée de gros moyens se fait payer en honoraires : "700 dollars de l'heure" par enquêteur, dit notre interlocuteur. Si elle met sur l'affaire trois ou quatre personnes à raison de huit heures par jour durant un mois, la somme tournerait entre 400 000 et un demi-million de dollars, "hors frais"...