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Youssou Ndour peut-il devenir président du Sénégal?

Le célèbre chanteur sénégalais a annoncé le 2 janvier sa candidature à la présidentielle de février 2012. Peut-il succéder à Abdoulaye Wade? 

 

Cette fois, Youssou Ndour ne s’en est pas sorti avec une nouvelle pirouette. De celles dont est coutumier le chanteur de mbalax. Il a vraiment plongé dans le bain de la politique. Après des mois de tergiversations, Youssou Ndour a enfin annoncé sa candidature à la présidentielle de février 2012 au Sénégal. 

«C’était devenu un secret de polichinelle. A Dakar, tout le monde savait qu’il allait se présenter», estime Hassan, un étudiant sénégalais. 

Pourtant, nombre de ses compatriotes ne voulaient pas y croire. «Youssou Ndour commet une grave erreur. Que va-t-il faire dans cette galère. Il a arrêté ses études à l’école primaire. Avec un pareil C.V. quelle image va-t-il donner du Sénégal? Les Libérians n’ont pas voulu du footballeur Weah comme président pourquoi vondrions-nous d’un chanteur à la tête de l’Etat», s’exclame Khadiatou, l’une de ses fans qui préfère de très loin le voir se consacrer à son premier métier: la musique. 

Un handicap de poids 

Combien de Dakarois se disaient, «Youssou en parle, mais il n’osera pas franchir le pas, il a trop à perdre»? Pourtant sa décision ne surprend pas vraiment. A chaque fois que j’ai eu l’opportunité de l’interviewer, il a toujours laissé entendre qu’il n’hésiterait pas à se présenter un jour si le pays avait besoin de lui. 

Ces derniers mois, il a donné l’impression de préparer le terrain. Il a d’abord créé un parti politique. Et il s’est inquiété d’une possible dérive monarchique du régime. Youssou Ndour a fait savoir qu’il n’était pas favorable à une succession héréditaire: à un Karim Wade qui succéderait à son père. En outre, il a expliqué publiquement qu’à son avis la Constitution ne permettait pas au président Wade de se représentait à la présidentielle. Dès lors que celui-ci a déjà effectué deux mandats (il est arrivé au pouvoir en 2000). 

Reste que pour se présenter à cette élection, Youssou Ndour a un handicap de poids, comme il l’a expliqué lui même dans sa déclaration de candidature le 2 janvier sur les médias qui lui appartiennent, à savoir la radio RFM et la chaine TFM. 

«Il est vrai que je n’ai pas fait d’études supérieures mais la présidence est une fonction et non un métier. A l’école du monde j’ai appris, j’ai beaucoup appris. J’ai appris de mes voyages. Je peux diriger ce pays. Je suis l’alternative à l’alternance. J’ai les moyens de mettre le Sénégal au travail.» 

Pourtant aux yeux de bien des compatriotes de Youssou ce handicap pourrait se révéler rédhibitoire. «Le Sénégal se considère comme la patrie des intellectuels africains. La capitale culture de l’Afrique francophone», explique Almami Ba, un enseignant de la capitale. 

La magie du verbe 

Le premier président du pays, Léopold Sedar Senghor qui a régné de 1960 à 1980 était agrégé de grammaire, condisciple de Georges Pompidou à l'Ecole Normal Supérieure. Et bien entendu l’un des poètes francophones les plus en vue. 

Le normalien était un adepte des discours en… latin. Langue peu usitée au Sénégal. Il a également fait interdire un film du grand cinéaste Ousmane Sembène: l’orthographe du titre en wolof n’étant pas à son goût. 

Abdoulaye Wade, au pouvoir depuis 2000, a accumulé de nombreux doctorats. Il aime à se présenter à tort ou à raison comme le plus diplômé des Africains. Quoi qu’il en soit personne ne lui conteste une certaine culture générale qui peut parfois irriter. Puisqu’il entreprend régulièrement d’asséner des cours à ses homologues chefs d’Etats. Ses cours d’économie notamment ne sont pas les plus appréciés. Le Sénégal est loin d’être l’économie la plus florissante du continent. Mais tous reconnaissent à Wade une parfaite maîtrise de l’art oratoire en français comme en wolof. Une qualité «mitterrandienne» appréciée dans un pays où la magie du verbe est considérée comme une qualité essentielle. 

«On n’acceptera jamais un président qui ne possède pas cette qualité. Cette magie du verbe», explique Abdou, un commerçant de la banlieue dakaroise. 

La politique est un «sport violent» 

La perplexité des Sénégalais vient aussi de leur connaissance de la politique dakaroise. Au Sénégal, la politique est un «sport violent» où il y a beaucoup de coups à prendre, au sens propre comme au figuré. Certes la politique est moins «agitée» du côté de Dakar qu’à Lagos ou Kinshasa. Mais il n’en reste pas moins que maître Babacar Seye, vice président du Conseil constitutionnel a été assassiné en 1993. Que ses assassins présumés ont été amnistiés par le régime Wade. A Dakar, Talla Sylla, un opposant de Wade a pris en 2005 des coups de marteau sur la tête dans un célèbre restaurant de la place. 

Un maire socialiste, Barthélémy Dias, a répliqué à coups de revolver en décembre 2011 alors que des hommes de main du régime attaquaient sa permanence. L’un des nervis a été abattu lors de cet affrontement «politique». 

Après qu’il a critiqué le régime, Youssou Ndour a connu, selon ses médias, un avant goût des pressions qui seront exercées sur lui… un contrôle fiscal particulièrement salé. 

Youssou Ndour est un chanteur qui est adulé par plusieurs générations de Sénégalais. Dans ses concerts au Thiossane, la boîte de nuit qu’il possède à Dakar, toutes les générations se cotoîent. Il a réussi à séduire trois générations: à ses concerts, il n’est pas rare de voir, une grand-mère, une mère et ses filles. 

Ses concerts font salle comble en Afrique, en Europe, au Japon et aux Etats-Unis. 

Au Sénégal, il possède un studio d’enregistrement et un groupe de presse prospère. Son quotidien, L’Observateur est le plus lu du Sénégal. Sa radio, RFM est la plus écoutée. Et sa jeune télévision TFM connaît des débuts prometteurs. 

Alors bien des Sénégalais se demandent que vient-t-il faire en politique? «En Afrique, la politique est souvent perçue comme un moyen facile de s’enrichir. Alors pourquoi un homme déjà riche irait se mettre dans une pareille galère», se demande Aïcha, une admiratrice de Youssou Ndour. 

Un rêve américain 

Dès lors son entrée en politique peut aussi susciter des sentiments ambivalents: admiration ou suspicion. «Vient-il en politique pour mieux négocier avec le régime. Obtenir une licence de téléphonie mobile ou de nouvelles autorisations pour son groupe médiatique» se demandent des Sénégalais qui n’ignorent rien des qualités d’hommes d’affaires de Youssou Ndour. 

D’autres le soupçonnent de vouloir régler ses comptes avec le régime. «Il a peu apprécié que Karim Wade, le fils du président, tente de prendre le contrôle de son quotidien. Il lui a dit que si Karim Wade voulait un titre, il n’avait qu’à en créer un» explique un Dakarois qui a travaillé pour le groupe médiatique que Youssou Ndour. 

Quoi qu’il en soit la candidature de Youssou Ndour va compliquer la tâche du président Wade. Celui-ci affirme qu’il peut être élu dès le premier tour de la présidentielle. Mais la multiplication des candidatures rend cette perspective de plus en plus improbable. Même les journalistes entrent dans la danse: Latif Coulibaly, le plus célèbre journaliste d’investigation, s’est lui aussi porté candidat. 

Comme le souligne vieux Savané, autre grande plume de Dakar, il semble qu’au Sénégal tout le monde veuille devenir président. 

Ce constat déroutant peut être considéré comme un signe de vitalité démocratique. Les Sénégalais aiment à se comparer aux Américains. Dakar n’est-elle pas la terre la plus à l’ouest de l’Afrique? En face de l’Amérique. Dakar est peut-être devenue la terre de tous les possibles? Le pays où Youssou Ndour, un enfant de la médina peut s’imaginer à la présidence. Mais attention, il y a Amérique et Amérique. 

Pour justifier sa volonté de succéder un jour à son père, le fils du président Karim Wade avait invoqué la «jurisprudence américaine». Georges Bush junior après Georges Bush senior. Une comparaison qui ne lui a guère porté chance. Quelques jours plus tard, il perdait les élections de la mairie de Dakar. Et ses ambitions présidentielles se voyaient renvoyées aux calendes grecques. 

Youssou Ndour c’est un autre goût d’Amérique, celui-ci des self made men. Mais sera-t-il au goût des Sénégalais? Trop tôt pour le dire. A Dakar, Youssou a encore tout à prouver au monde politique. Savoir chanter c’est une chose. Danser dans le marigot politique, c’est un art qu’il va devoir maîtriser au plus vite. Au rythme endiablé du mbalax. Meilleur moyen d’éviter les croches pattes en tout genre. 

Pierre Cherruau 
Slateafrique

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