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Chine, États-Unis : entre interdépendance et Realpolitik

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Depuis le début de l’année 2010, on observe un intérêt marqué des analystes politiques et des journalistes pour la relation bilatérale « Chine — USA ». Cette dernière a connu un certain nombre de tensions récemment avec la colère chinoise contre des ventes d’armes américaines à Taiwan ou encore la visite du Dalaï-Lama à Washington. Mais l’heure est aujourd’hui à l’apaisement, et après la visite surprise à Pékin du Secrétaire au Trésor américain Tim Geithner c’est le Président chinois Hu Jintao en personne qui a fait le déplacement à Washington, à la grande satisfaction de Barack Obama.

 

 

Officiellement ce déplacement du chef de l’État chinois avait pour but d’assister au sommet sur le désarmement nucléaire qui s’est achevé ce mardi à Washington. Officieusement il s’agissait de sceller la « réconciliation » entre les deux grandes puissances après les tensions récentes, notamment autour de la question de l’appréciation du yuan, comme le notait Éric Le Boucher dans Les Échos. Il s’agissait aussi pour les États-Unis d’amadouer la Chine pour obtenir son soutien, ou en tout cas sa neutralité bienveillante, sur le dossier nucléaire iranien dont les États-Unis et d’autres pays comme la France souhaitent accélérer le traitement.


La plupart des analyses sur la relation « Chine — États-Unis » se contentent en effet de souligner l’interdépendance commerciale et financière qui existe entre les deux pays. Pour simplifier, les États unis achètent des biens fabriqués par les Chinois que ces derniers leurs vendent à crédit en achetant les bons du Trésor américain. La crise financière n’a en rien modifié cette réalité.


Mais le débat pourrait bientôt se déplacer de la sphère purement économique vers la sphère de la « haute politique ». À cet égard, le point de vue intéressant de Wen Liao, présidente d’un cabinet de conseil en stratégie et géopolitique dans le Financial Times apportent de la hauteur au débat. Ce point de vue intitulé « Bismark’s Lessons for Beijing » fait un rapprochement audacieux et pertinent entre la situation de la Chine d’aujourd’hui et celle de l’Empire Allemand à la suite de l’unification allemande de 1871, orchestrée de main de maître par le Chancelier Otto von Bismarck.


L’émergence de la Chine comme grande puissance au XXIe siècle rappelle en effet étrangement celle de l’Allemagne bismarckienne de la fin du XIXe siècle. Même système autoritaire à l’intérieur légitimé par un boom économique sans précédent. Même volonté de conciliation à l’extérieur — avec les concepts d’équilibre des puissances et de politique de bon voisinage — et même obsession pour l’achèvement de l’unité territoriale et spirituelle de la nation. Le credo de l’émergence pacifique de la Chine proclamé par les leaders chinois fait indubitablement penser à la politique « défensive » de la Prusse à l’époque de Bismarck.


Si l’histoire se répète cette phase d’émergence pacifique pourrait prendre fin tout comme la Prusse bismarckienne s’est mue en Empire allemand expansionniste et guerrier. Les théoriciens des relations internationales Américains de feu Samuel Huntington à John Mearscheimer (1) ne s’y trompent pas. Selon ce dernier, l’émergence de la Chine risque d’être tout sauf pacifique. Il souligne en effet que l’Empire du Milieu va naturellement aspirer à un rôle d’hégémonie régionale en Asie - rôle qu’il a au demeurant exercé pendant près de deux mille ans - et développer une sorte de pendant de la doctrine Monroe américaine. Mais les États-Unis ne pourront pas rester les bras croisés face à cette volonté d’hégémonie chinoise en Asie. Leur doctrine stratégique actuelle qui date de la période de Georges W. Bush proclame en effet qu’ils ne sauraient tolérer de « peer competitor » où que ce soit dans le monde.


Et même si la Chine et les États-Unis se réconcilient à court terme, il est clair que leurs intérêts divergent à plus long terme. Quand la Chine pourra se passer économiquement du consommateur américain, elle pourra alors réaffirmer sa souveraineté dans d’autres domaines. Saura-t-elle convaincre d’autres États de la région de la suivre et de tisser des alliances autour d’elle ? Tel est le grand enjeu de la diplomatie chinoise au XXIe siècle : exercer une attraction suffisamment forte sur ses voisins et accroître son soft power qui repose plus sur la persuasion que sur la contrainte. À défaut le réveil pourrait être douloureux pour le monde.

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