24 Mars 2011
Pour son premier déplacement en France depuis son élection à la tête de la Guinée, Alpha Condé a réclamé le soutien massif de Paris pour réformer le pays, tout en prévenant qu'il ménagerait l'armée dans un contexte politico-sécuritaire encore délicat.
"L'Afrique est en train d'évoluer, le printemps arabe, c'est aussi le printemps de l'Afrique" où "70% de la population a moins de 30 ans et aspire à un changement profond", a martelé l'ancien opposant, élu en novembre à la tête d'un pays qui n'a connu qu'une succession de dictatures militaires depuis son indépendance en 1958.
Confronté à l'urgence de réformer un pays "qui devrait être en autosuffisance alimentaire et peine à nourrir son peuple", Alpha Condé a demandé à l'ancienne puissance coloniale française un "appui massif" et assure avoir été "entendu" par le président Nicolas Sarkozy qui l'a reçu mercredi.
"Je vais réformer", a-t-il promis assurant avoir déjà obtenu un "soutien" de Paris pour la réforme de l'armée, ainsi que pour d'autres chantiers fondamentaux comme la justice, la cour des comptes ou l'administration publique.
Mais le nouveau président a prévenu que dans le secteur sécuritaire il avancerait "avec prudence": "l'armée a déjà accepté beaucoup de choses. je ne veux pas aller à la confrontation avec les militaires", a-t-il déclaré au cours d'un entretien avec des journalistes.
La Guinée a traversé une période houleuse depuis la mort de l'homme fort du pays Lansana Conté en décembre 2008, marquée par l'arrivée au pouvoir d'une junte et une transition délicate menée par le général Sékouba Konaté après la mise à l'écart du chef des putschistes Moussa Dadis Camara, grièvement blessé fin 2009.
"Le général Konaté voulait aller aux élections, d'autres (officiers) ne voulaient pas. (...) On a changé l'état-major de l'armée, on a délocalisé les armements lourds (hors de la capitale Conakry)", a expliqué le président Condé.
"Mais la situation reste fragile, parce que les conditions de vie sont difficiles. Je dois aller doucement", a-t-il dit.
Interrogé sur ses intentions si la Cour pénale internationale (CPI), qui pourrait enquêter sur le massacre de plus de 150 opposants dans un stade de Conakry le 28 septembre 2009, réclamait son assistance pour procéder à l'arrestation de responsables militaires ou civils guinéens, le président est resté évasif.
"Pour le moment, on n'en n'est pas encore là", a-t-il dit.
"Il faut qu'on ait le courage de regarder notre histoire en face: que les gens qui ont commis des crimes le reconnaissent et que ceux qui en ont été victimes aient le courage de pardonner", a-t-il plaidé, sans toutefois encore annoncer la mise en place d'une commission réconciliation et vérité.
Venu à Paris avec une trentaine de chefs d'entreprises, Alpha Condé a mis tous les dossiers sur la table (infrastructures, transport, énergie...) lors d'une réunion avec le patronat français, qui s'est réjoui de la perspective de nouveaux marchés en Guinée -- dont la France est, hors secteur minier, le deuxième partenaire commercial après la Chine.
Une première "convention de financement de 5 millions d'euros en subvention destinée au renforcement de la filière rizicole" a par ailleurs été signée avec l'Agence française de développement (AFD).
Dans le secteur crucial des mines (25% du PIB), Alpha Condé a confirmé une remise à plat générale: "Tous les contrats qui lèsent la Guinée -- qui détient les deux tiers des réserves mondiales de bauxite, mais aussi du fer, de l'or, de l'uranium et du diamant -- seront annulés".
"J'ai reçu des offres de Chinois qui proposent jusqu'à un milliard de dollars de prêts contre des contrats, mais j'ai dit non. Je ne veux rien négocier avant d'avoir fait un nouveau code minier", explique-t-il.
Au plan politique, le président a confirmé l'organisation d'élections législatives avant la fin de l'année, avançant la date d'octobre.