3 Avril 2012
Officiellement, il est toujours en convalescence. Mais cela fait des mois que l'ancien chef de la junte, en exil forcé au Burkina Faso, a récupéré. Aujourd'hui, Moussa Dadis Camara est bien décidé à profiter de la vie.
La règle, c'est d'être bien accompagné. Toujours. Nous sommes le 10 mars au soir et, lorsqu'il pénètre dans le restaurant Princess' Yenenga Lodge, à Ouagadougou, six jolies femmes le précèdent. Installé au Burkina depuis janvier 2010, Moussa Dadis Camara a renoncé au treillis militaire. Une paire de jeans, un polo de marque, un smartphone... L'ancien chef du Conseil national pour la démocratie et le développement (CNDD) en Guinée rejoint sa table. Il y a là quelques amis et un proche conseiller du président Blaise Compaoré. On lui donne du « monsieur le président ». Dadis apprécie.
Officiellement, il est toujours en convalescence, mais de la balle qui a failli le tuer, le 3 décembre 2009, on ne voit plus rien ou presque - à peine une cicatrice sur le haut du crâne. Les médecins qui l'ont pris en charge à Rabat, au lendemain de la tentative d'assassinat qui l'a contraint à quitter le pouvoir, ont bien travaillé. Depuis, Dadis a récupéré : il fait de la gym, se lève tard, sort beaucoup et a même pris quelques kilos... « Je suis un miraculé, rétorque-t-il. Il faut que j'en profite. »
Avec son épouse, Jeanne Saba, et deux de leurs enfants, il a pris ses quartiers dans une luxueuse résidence de Ouaga 2000, la Villa des hôtes, non loin de la présidence. Quelques mois après son arrivée, il a réclamé une arme, qui lui a été refusée, mais un véhicule 4x4 a été mis à sa disposition. L'ancien capitaine guinéen est systématiquement invité aux cérémonies officielles - Compaoré y a veillé. À la demande de Gilbert Diendéré, chef d'état-major particulier du chef de l'État, des soldats de la sécurité présidentielle assurent sa protection... jusque dans ces restaurants, bars et boîtes de nuit que Dadis - les poches pleines de billets - fréquente assidûment. « C'est vrai qu'il connaît tous les endroits "chauds" de la ville et qu'on se demande comment il fait pour tenir, sourit un proche du président burkinabè. Un jour, certains de ses gardes du corps étaient tellement fatigués qu'ils ont demandé à être relevés. » Pendant les premiers mois de son exil, Dadis avait pris soin de se faire discret, limitant au minimum les apparitions publiques. Ce n'est plus le cas.
Le "bienfaiteur" Compaoré
Pas question, en revanche, de parler politique - il s'y est engagé pour ne pas embarrasser Blaise Compaoré, ce « bienfaiteur » sur lequel il ne tarit pas d'éloges et grâce auquel, explique-t-il, il a eu envie de s'engager dans l'armée dans les années 1990. Tout juste reconnaît-il suivre la préparation des législatives guinéennes, annoncées pour le 8 juillet prochain, et avoir conservé des liens avec des proches restés au pays. Il cite volontiers Papa Koly Kourouma. Originaire comme Dadis de Guinée forestière, Kourouma est arrivé en cinquième position au premier tour de la présidentielle de décembre 2010 et a été nommé ministre de l'Énergie et de l'Environnement, en remerciement de son ralliement à Alpha Condé pour le second tour. Dadis est également en contact avec Idrissa Chérif, qu'il avait chargé de sa communication quand il était au pouvoir et qui préside désormais l'Alliance pour la démocratie et le changement (ADC).
Bien conscientes de l'influence qu'il a conservée sur l'est du pays, les personnalités guinéennes en visite à Ouaga manquent rarement de lui rendre visite : l'opposant Cellou Dalein Diallo et l'un des leaders des Forces vives de Guinée, Moctar Diallo, ont tenu à le saluer. Même chose pour Alpha Condé, qui l'a rencontré à deux reprises à Ouaga (en janvier puis en avril 2011) et qui, à l'approche des législatives, cherche à agrandir son parti, le Rassemblement du peuple de Guinée (RPG), en incluant notamment des formations proches de l'ancien chef de la junte.
Dadis a-t-il changé ? Difficile à dire. On le connaissait lunatique et capricieux ; il a lissé son style. Il s'exprime d'une voix posée et ne parle plus de lui à la troisième personne. Le seul contre lequel il s'emporte parfois, c'est Sékouba Konaté, cet ancien compagnon d'armes qui lui a succédé à la tête de la Guinée. Aujourd'hui encore, Dadis est persuadé que Konaté préparait un coup contre lui. Il lui reproche de ne pas l'avoir associé à la transition alors qu'il avait été convenu qu'il serait consulté (« c'est un faux type », lâche-t-il), pis, d'avoir suspendu les indemnités que l'État guinéen lui versait chaque mois.
De Dadis à Moïse
Autrefois musulman, Dadis s'est converti au christianisme et a pris le nom de Moïse. À l'en croire, il a aussi renoncé à sa carrière militaire et ne souhaite plus faire de politique. Son rêve, raconte-t-il, c'est de faire construire un hôtel à N'Zérékoré, au coeur de cette région qui l'a vu naître. L'argent, comprend-on rapidement, n'est pas un problème, et Dadis organise régulièrement des « castings » pour sélectionner le personnel féminin qui travaillera dans cet établissement qui n'existe pas encore.
Mais peut-il rentrer en Guinée ? Pas sûr. « Alpha Condé a dit que c'était possible, mais ça ne se fera pas dans l'immédiat, confie un proche. Une partie de la troupe lui est toujours fidèle, et son retour pourrait être un facteur de déstabilisation. » Surtout dans cette Guinée forestière, traditionnellement délaissée par l'État (Conakry est à plus de 1 000 km), où sont récemment rentrés des centaines d'hommes que Dadis avait utilisés comme supplétifs et que ses successeurs ont congédiés en faisant le ménage dans l'armée.
La justice guinéenne pourrait aussi être tentée de lui demander des comptes pour son rôle présumé dans le massacre du stade de Conakry, le 28 septembre 2009 (157 morts). À l'époque, l'ONU avait souligné la responsabilité de Moussa Dadis Camara et, le 1er février 2012, l'un de ses proches, le lieutenant-colonel Tiégboro Camara, a été inculpé. Dadis ne bénéficie officiellement d'aucune immunité, mais dit n'avoir « rien à se reprocher ». « Si un enfant part braquer une banque, doit-on accuser son père d'être le commanditaire de l'acte de son fils ? » Le responsable, selon lui, c'est un certain Aboubacar Diakité, dit Toumba (lire encadré). Il était, au moment des faits, son aide camp, et pour l'ONU son rôle fait peu de doute. C'est lui surtout qui a ouvert le feu sur Dadis, le blessant à la tête et au cou. Voilà plus de deux ans qu'il est en cavale.