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La Guinée nouvelle

Labé/mythologie: Le fatal baiser de «Madame Sassé» !

 

Il y a des baisers dont on devrait se passer. Fussent-ils offerts nuitamment et librement par une princesse à la beauté angélique. Cela peut faire sourire un fieffé coureur de jupons au sommet de son prestige. Et pourtant…

Réjouissons-nous d’abord de leur fourberie. Le 21 décembre 2012 est passé, nous sommes toujours vivants. Les Mayas et leur maléfique calendrier se sont lamentablement plantés en prédisant la fin du monde. La Terre continue de tourner, les hommes et leurs conneries avec.

Nous sommes à Labé, principale ville de la Région du Fouta Djallon, à quelque 400 km de Conakry la capitale guinéenne. Près de 300.000 âmes peuplant 28 quartiers perchés à 1500 mètres d’altitude sur des collines abruptes entre lesquelles se faufilaient, jadis, quatre marigots d’eau douce (Doghora, Dombi, Pounthioun et Sassé). Température moyenne : 25 degrés Celsius.

C’est dans ce paysage de carte postale qu’en 1755, un certain Alpha Mamadou Cellou (dit Karamökö Alpha) déposa sa canne et sa besace pour jeter les bases d’une petite mosquée, fondement de ce qui allait devenir le royaume du Fouta théocratique. Une véritable oasis de démocratie en terre africaine où l’alternance au pouvoir entre deux grandes Familles, Sorya et Alphaya, se faisait en douceur tous les deux ans. L’islam pouvait se propager jusque dans la côte pendant que les bœufs paissent aux flancs des collines et dans les bowésverdoyants. Le Peulh et la vache ? C’est un peu l’histoire de l’œuf et de la poule. Labé reste une ville-pâturage !

Elle garde aussi intacts les secrets mystiques d’une cité naguère habitée par des païens (Peulhs et Djallonkés) reconvertis à l’islam. Rites, interdits, mythes, légendes et croyances font partie de la vie sociale et animent celle-ci. A ce sujet, les Mayas n’ont rien inventé. Et comment !

Sassé est donc l’une des quatre rivières qui irriguaient la ville de Labé jusque dans un passé récent. Telle une mère nourricière, elle roulait ses eaux à travers la cité de Karamökö Alpha  abreuvant ses habitants et leurs bêtes d’une eau douce, rafraichissante et vivifiante. Ses berges étaient jalonnées de magnifiques jardins maraichers parfaitement incrustés dans le milieu naturel. Lointain souvenir. Aujourd’hui, ce cours d’eau est presque inexistant, totalement enseveli par l’urbanisation sauvage doublée d’une pollution à grande échelle. A certains endroits, le lit de la rivière est devenu un marché ; une place qui marque la limite entre le quartier administratif de Kouroula et celui de Mosquée. Sassé n’est plus qu’un grand bazar noyé dans le vacarme de pots d’échappement, des cris de vendeuses de condiments, négociants de fripes, réparateurs de motos et autres charretiers impénitents. Au grand dam de «Madame Sassé» !

Qui est «Madame Sassé» ?

Une femme au visage modelé avec une infinie harmonie au milieu duquel sont délicatement posés deux yeux d’ambre dont le bleu azur vous donne l’impression de vous noyer. Les contours de sa bouche, rehaussée par un nez aquilin, sont dessinés par des lèvres couleur mauve à la pulpe tendre et charnue. Du haut de son mètre soixante-douze trône une tête à la chevelure abondante retombant sur deux obus plantés sur sa poitrine recouverte d’une peau veloutée. Voilà le portrait robot que dressent ceux qui prétendent avoir vu «Madame Sassé», la gardienne de la rivière éponyme. Quel homme ne voudrait pas embrasser une telle créature ? Malheur à celui qui oserait !

Les dépositaires du récit fabuleux jurent que Madame Sassé était une diablesse aguichante qui, sous les traits d’un être humain, s’habillait légèrement la nuit pour tendre un piège aux coureurs de jupon. Elle se laissait facilement embarquer par les dragueurs enivrés par son élégance et son charme. Quelle désagréable surprise de se retrouver ensuite dans sa voiture ou dans sa chambre avec une tête de femme sur le corps d’un animal hérissé de poils ! Des fois, elle disparaissait comme par enchantement alors que vous la teniez entre vos bras, prêt à déposer un tendre baiser sur ses lèvres mauves. Ceux qui y parvenaient, toujours selon les narrateurs, perdaient immédiatement la tête, s’arrachant les cheveux et poussant des cris démoniaques.

Le Capitaine Moussa Dadis Camara a-t-il embrassé «Madame Sassé» ? Question démoniaque pourriez-vous penser. Pourtant…

Le 26 septembre 2009, l’ex-chef de la junte militaire qui a pris le pouvoir à la mort du président Lansana Conté, en décembre 2008, débarque à Labé en véritable chef de guerre. Pour «défier» ses détracteurs avait-il martelé au stade Saïfoulaye Diallo de la ville. Son impressionnant cortège composé des centaines de véhicules militaires transportant tout type d’armes traverse la ville noyée dans un immense nuage de poussière. Il passe par Sassé. Une erreur monumentale. Un chef ne passe jamais par Sassé dans un cortège, dit-ton. La punition est immédiate. Au moment de faire le plein pour le retour, Dadis lui-même arrache le pistolet à essence d’un pompiste pour remplir le réservoir d’un véhicule diesel ! Deux jours plus tard, le 28 septembre 2009, ce sont 150 personnes qui se faisaient violées et tuées au stade de Conakry par les hommes du capitaine Camara !  «Madame Sassé» n’avait visiblement pas apprécié la visite. On connait la suite.

Mythe ou réalité ? Allez-y comprendre quelque chose.

 

ma guinée plurielle

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