16 Février 2013
Que font les Américains à Kourémalé ? A 700 km de Conakry, la capitale guinéenne, cette
bourgade poussiéreuse écrasée sous le soleil n'a d'autre intérêt que de s'étirer des deux côtés de la frontière entre la Guinée et le Mali. Pour y parvenir, il faut endurer pendant des heures les
cahots de voies défoncées tout en tâchant d'éviter, à partir de la tombée de la nuit, les «coupeurs de routes», véritables bandits de grand chemin qui dépouillent les occupants des
voitures.
Dans les gargotes de Kourémalé, le long de la nationale 6, côté guinéen,
s'entassent les voyageurs qui viennent de passer la douane, ou qui s'apprêtent à le faire. On avale rapidement un plat de riz à la viande ou au poisson, avant de reprendre la
route. «Ici, c'est un flot ininterrompu, de jour comme de nuit, indique un
gendarme guinéen en poste depuis un an. On voit défiler des gens de toutes les nationalités : Sénégalais, Ivoiriens, Libériens, Mauritaniens, etc. Sans compter les familles maliennes ou
guinéennes réparties des deux côtés de la frontière.»
«Le front de la guerre au Mali est à plus 1 000 km, on est donc assez tranquilles, mais
on surveille», tente de rassurer le gendarme. L'important dispositif sécuritaire déployé récemment à Kourémalé par les autorités guinéennes trahit cependant une réelle inquiétude. Ça grouille
désormais de policiers, gendarmes, douaniers et militaires.
Discret
sanctuaire
Vendredi 25 janvier, le ministre de la Sécurité, Maramany Cissé, vêtu d'un grand boubou
marron, est venu en personne présider sur place une importante réunion de travail. Deux heures pour visser les boulons. Preuve de la tension et de l'enjeu, le ministre refusera tout net de livrer
le moindre commentaire à la sortie. Coïncidence ? Le même jour, des Américains venus de leurs ambassades de Conakry et de Bamako se retrouvent eux aussi à Kourémalé. Officiellement pour étudier
un éventuel plan d'évacuation des personnels diplomatiques de la capitale malienne. Au cas où... Bamako n'est qu'à 129 km par une route bien goudronnée. Pour étudier ce plan à l'abri des oreilles
indiscrètes, et balayer aussi les questions sécuritaires, les Américains se retireront dans un hôtel voisin.
Depuis quelque temps, les services de renseignements guinéens et occidentaux ont acquis
la certitude que des islamistes radicaux en provenance du Mali s'infiltrent en Guinée. D'où l'effervescence constatée sur la frontière. Les «barbus» qui jouissaient jadis d'une certaine quiétude
dans la capitale malienne sont désormais pourchassés, la population n'hésitant pas à les dénoncer à la police. La fuite vers le nord étant impossible en raison de la guerre, les islamistes
intégristes descendent donc vers la Guinée où ils espèrent trouver un discret sanctuaire où se faire oublier en attendant leur heure.
Le chef du district de Kourémalé, un vieillard habillé d'un grand boubou
blanc et coiffé du petit bonnet traditionnel des musulmans, est assis dans un fauteuil sur le seuil du bureau de la douane. Adama Keita est le seul officiel qui acceptera de répondre à quelques
questions. Il livre une information importante. «Nous avons dû accueillir un
groupe important de Touaregs avec leurs moutons, dit-il dans un bon français, mais nous n'avons pas vu passer beaucoup d'islamistes radicaux par ici. Mais je sais qu'ils passent plutôt du côté de
Labé.»Située à plus de 300 km à l'ouest, dans les montagnes du Fouta-Djalon, la grande ville peule est proche à
la fois des frontières malienne et sénégalaise. Or, il existe aussi au Sénégal une frange d'islamistes radicaux dont certains se sont engagés sous la bannière
d'Aqmi.
Dans le bureau de la douane de Kourémalé, les contrôles, beaucoup moins tatillons qu'à
l'aéroport de Conakry, où les passagers sont systématiquement pris en photo, se limitent à l'examen des passeports et à un coup de tampon. Les voyageurs remontent ensuite tranquillement dans
leurs véhicules pour s'enfoncer dans le pays malinké.
Des régimes si
fragiles...
A Conakry, le conflit chez le voisin malien rappelle pourtant de douloureux souvenirs.
En 2000, le Libérien Charles Taylor avait exporté sa sale guerre en Guinée. Les rebelles avaient semé la terreur dans le sud du pays, notamment à Guékédou et dans les villages environnants, où
ils s'étaient livrés à des atrocités. La ville, autrefois prospère, porte encore les stigmates de la guerre et ne s'en est jamais relevée. Raison pour laquelle aujourd'hui la télévision publique
guinéenne évoque le plus rarement possible le conflit du Mali. Même si la Guinée a aussi prévu d'engager un contingent de 500 hommes aux côtés des autres forces africaines. Mais la discrétion du
pouvoir reste de mise pour ne pas inquiéter la population.
Il n'empêche que la présence éventuelle d'islamistes radicaux infiltrés est une mauvaise
nouvelle. D'abord, pour les forces alliées africaines et françaises engagées au Mali. Aucune armée au monde n'aime avoir dans son dos des éléments potentiellement dangereux. Ensuite, parce que la
dissémination des sympathisants d'Aqmi dans toute la sous-région présente à terme des risques de déstabilisation politique de régimes souvent fragiles. Un réel défi, notamment, pour le président
guinéen Alpha Condé, élu il y a deux ans, et qui doit affronter des élections législatives compliquées en mai prochain.
marianne.net